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prince français une condition absolue de la paix, ou bien il eût inséré dans le traité quelque réserve de ce genre; mais il n'en fut rien: Charles VIII avait l'imagination pleine de ses conquêtes en Orient, et il laissa partir Marguerite, emportant avec elle les deux provinces.

La Franche-Comté se trouvait pour la troisième fois séparée du duché de Bourgogne. Rendue à la maison d'Autriche par le traité de Senlis, on va la voir changer de maîtres et continuer son existence isolée. C'est en elle dorénavant que se personnifiera le génie de la vieille nationalité bourguignonne, c'est elle qui s'en montrera la dernière expression; et lorsque viendra le jour où la logique de l'histoire aura marqué sa place dans le grand cycle de la France, elle gardera longtemps encore sa physionomie originale, son vieil esprit traditionnel. Nous venons de la laisser à la fin d'une lutte courageuse, et qui ne devait pas être la dernière aussi jalouse de ses libertés que dévouée à ses princes, la Franche-Comté, « plus grande en sa réputation qu'en son étendue, » comme a dit un historien, ne reculera devant aucun sacrifice pour rester digne et de son antique renom et de l'estime de ses souverains; elle va se soutenir pendant deux siècles avant de trouver son maitre encore faudra-t-il, pour la dompter, que la forte épée de la France vienne à trois reprises s'abattre sur elle, et les hommes qui la tiendront cette épée, s'appelleront Henri IV, Richelieu, Louis XIV.

LIVRE TROISIÈME.

FRANCHE-COMTÉ ESPAGNOLE.

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CHAPITRE PREMIER.

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Philippe le Beau, archidue d'Autriche et comte de Bourgogne. Priviléges accordés par l'empereur Maximilien. Mariage de Philippe le Beau. - Passage de la Franche-Comté sous la maison d'EsGouvernement de Philippe le Beau. Ses visites en Franche-Comté. pagne. Marche. Mort de Philippe le Beau. Son fils Charles. tunes; son caractère; son gouvernement. La noblesse et la bourgeoisie. tinare; son attitude; son énergie. - Démission du président Guatinare; trait de son caractère. — Son passage en Piémont. - Guatinare, grand-chancelier de Flandre. Le pacte de neutralité.

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Olivier de la La comtesse Marguerite; ses inforLe président Gua

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Les Suisses en Franche-Comté. Luther et Munzer. - Guillaume Les paysans allemands. Farel à Montbéliard. -- La jacquerie franc-comtoise. - Noble conduite de Guatinare; sa mort. Philibert de Chalon, prince d'Orange; son éducation. - Tournoi de Nozeroy. Philibert à la cour de France. - Philibert auprès de l'empereur Charles-Quint. — Prise et captivité de Philibert; deuil en Franche-Comté. Philibert en Italie. Le connétable de Bourbon.- Prise de Rome Siége de Naples.

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Sa mort; magnificence de ses funérailles. — Philiberte de Luxembourg. Marguerite. L'église de Brou.

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La guerre de 1492 n'avait fait qu'aggraver l'état de la Franche-Comté, encore toute meurtrie de la cruelle invasion de 1479. Cette province avait besoin, pour cicatriser ses blessures, de deux choses d'un long repos et d'une bonne administration. Elle allait avoir l'un et l'autre, grâce à la politique intelligente d'une femme, de cette même Marguerite que nous venons de voir rendue à son père Maximilien par le traité de Senlis, et que nous retrouverons bientôt, consacrant au gouvernement des pays confiés à ses soins les heureuses qualités qu'elle eût portées sur le trône de France.

On se souvient qu'aux termes dau traité d'Arras la dot de Marguerite devait être reversible à son frère Philippe, en cas de non-exécution du mariage de cette princesse avec le roi de France Charles VIII. Ce fut donc à Philippe qu'échut la possession de la Franche-Comté; mais la jeunesse de ce prince, à peine âgé de quatorze ans alors, ne lui permettant pas de prendre en main la direction des affaires, son père Maximilien se chargea de gouverner en son nom. Maximilien sut se montrer reconnaissant envers les Comtois de l'ardeur avec laquelle ils avaient défendu

sa cause il les aida de sa bienveillance et de ses secours à relever les ruines de leur patrie; il fit à plusieurs villes des concessions importantes ou leur accorda des priviléges pour les indemniser des pertes de la guerre Arbois, comme on l'a vu, obtint de ce prince une mairie avec justice, et l'affranchissement de ses vins; Dôle obtint de lui que le siége du parlement serait fixé dans cette ville, et l'archiduc Philippe son fils confirma cette faveur par des lettres patentes du mois d'août 1502; Gray fut doté par Maximilien d'une mairie, avec haute, moyenne et basse justice; Vesoul, siége du bailliage d'Amont, vit aussi étendre ses priviléges et rétablir ses murs et fortifications. La Franche-Comté, en un mot, eut à se louer de Maximilien: elle trouva en lui ce que l'on rencontre trop rarement chez les gouvernants, la reconnaissance des services rendus; et les Comtois durent regretter qu'il n'eût pas été loisible à ce prince de s'occuper davantage de leur pays mais Maximilien avait à se partager entre des intérêts d'une bien plus haute importance. Revêtu de la pourpre impériale depuis la mort de son père Frédéric III, arrivée le 20 août 1493, il s'efforçait de lutter contre l'ordre de choses établi en Allemagne, c'est-à-dire contre le vieux fédéralisme féodal qui là se maintenait encore dans toute sa vigueur et réduisait les empereurs à n'avoir qu'une puissance fictive, une autorité sans base, sans action, sans force. D'autre part, le nouvel empereur travaillait activement à sceller l'alliance de la maison d'Autriche avec la maison d'Espagne, par un double mariage qui, s'il se réalisait, devait assurer à ses enfants Philippe et Marguerite une position magnifique : Maximilien voulait amener Ferdinand le Catholique, roi d'Aragon, et sa femme Isabelle, reine de Castille, à marier l'infante Jeanne leur fille avec l'archiduc Philippe, et l'infant Juan leur fils avec l'archiduchesse Marguerite. L'empereur, après bien des efforts, avait vu ce grand projet réussir un jour de l'année 1496, des vaisseaux étrangers parurent devant Anvers; c'était une flotte espagnole qui venait chercher l'archiduchesse Marguerite, la fiancée de l'héritier des Espagnes, en même temps qu'elle amenait l'infante Jeanne, la fiancée de l'archiduc Philippe. Par le mariage de Philippe avec l'infante, la Franche-Comté se trouva rattachée à la branche que la maison d'Autriche venait de greffer sur la maison d'Espagne : cette province sortit de la mouvance de l'Empire, pour devenir un fief espagnol gouverné par des archiducs du Brabant, et Philippe allait être le dernier comte palatin de Bourgogne. On manque de documents pour indiquer d'une manière précise la date à laquelle le jeune archiduc prit en main le gouvernement de ses États; mais en ce qui touche la Franche-Comté, le premier acte que l'on connaisse de ce prince est du mois d'août 1495: par cet acte, signé à Bruxelles, il donnait plein pouvoir au prince d'Orange de recevoir en son nom l'hommage des vassaux de la Comté. Deux ans plus tard, on voit Philippe intervenir dans une question concernant les Salinois. Jusqu'alors la ville de Salins était restée partagée en deux bourgs, BourgDessus et Bourg-Dessous, qui s'administraient chacun d'après ses règlements particuliers. Une sorte de rivalité, née de cet état de choses, avait à plusieurs reprises amené de sanglantes collisions; lorsque les Salinois, mieux éclairés sur leurs véritables intérêts, résolurent de mettre un terme à ces conflits, et dans ce but ils s'adressèrent à l'archiduc pour lui demander la réunion des deux bourgs en une seule commune; ce que Philippe leur accorda par une charte du mois de septembre 1 497.

A cette date, Philippe n'avait pas encore fait sa prise de possession officielle de la Franche-Comté; elle n'eut lieu qu'en juin 1499, et les commissaires désignés pour cette solennité furent le prince d'Orange, gouverneur de la province; Guillaume de Vergy, maréchal de Bourgogne; Jacques Gondran, président du parlement de Dôle; Girard Plaine, conseiller et maitre des requêtes; Hugues Ouderne, secrétaire de l'archiduc.

L'histoire nous apprend que Philippe, surnommé le Beau, était un jeune homme doué de brillantes qualités, et que les populations soumises à son obéissance avaient pour lui la plus vive sympathic. Les Franc-Comtois lui portaient une affection toute particulière; ils ne le connurent jamais cependant que d'une manière bien imparfaite et ne le virent que deux fois durant son règne la première fois, c'était en 1503. Philippe, arrivé dans la Franche-Comté vers la fin de juin, s'arrêta d'abord à la Chaux en Montagne, chez Charles de Poupet, son premier sommelier de corps; ensuite il vint séjourner quelque temps au château de Vers, où Philiberte de Luxembourg, veuve du prince d'Orange, le traita d'une manière royale. Du château de Vers il se rendit à Salins, qui lui fit une belle réception. Après un très-court séjour en cette ville, il prit la route de Dôle, dont les habitants déployèrent, pour le recevoir, toutes leurs ressources les autorités municipales s'étaient concertées avec les membres du parlement et de l'université pour ménager au prince une entrée aussi pompeuse que le permettaient les circonstances. Le parlement vint le saluer à cheval et en robes rouges au collège de Saint-Jérôme, où l'on avait préparé son logement. Philippe, durant son séjour dans la capitale de la Comté, présida les états de la province. De Dôle il se dirigea sur Gray, et sa présence en cette ville y fut marquée par la confirmation de la mairie et des droits de justice que son père avait accordés aux Graylois en l'année 1494. L'archiduc passa de Gray à Villersexel, puis de Villersexel à Héricourt, et, s'étant reposé quelques jours en cette dernière ville, il gagna la haute Alsace.

Deux ans avant cette visite de Philippe le Beau en Franche-Comté, la province avait appris la mort d'un de ses plus illustres enfants: c'était Olivier de la Marche, chevalier distingué et chroniqueur remarquable. Olivier n'avait pas reçu le jour à Pontarlier, comme le disent plusieurs auteurs seulement, son père Philippe de la Marche ayant été nommé en 1434 commandant du château de Joux, il amena son fils avec lui. Olivier était alors un enfant de huit à neuf ans. Son père le plaça chez un gentilhomme de Pontarlier, Pierre de Saint-Mauris, dont les fils et les neveux fréquentaient l'école publique, et le jeune Olivier y fut envoyé avec eux. Il demeura cinq ans à Pontarlier, d'où il sortit pour entrer dans les pages de Philippe le Bon: il devint successivement maitre d'hôtel sous le duc Philippe, capitaine des gardes, bailli d'Aval et maître d'hôtel sous Charles le Téméraire, sous Maximilien et sous Philippe le Beau. Olivier était un chevalier aussi brave que modeste, un écrivain aussi plein de naturel que sincère. Il a laissé plusieurs ouvrages estimés, entre autres ses Mémoires historiques: ils commencent à l'année 1434, et concernent particulièrement la maison de Bourgogne, dont Olivier avait pu suivre la splendeur, le déclin et la chute. Ce célèbre Franc-Comtois mourut à Bruxelles, le 1er février 1501, chargé d'ans et laissant un beau nom.

Dans l'été de 1504, Philippe le Beau revint en Franche-Comté. On le reçut partout avec de vives démonstrations de joie; en plusieurs villes on lui donna des fêtes. A Salins notamment, qui savait toujours se distinguer par son esprit d'innovation, on joua devant le prince une pièce de théâtre où ne figurèrent pas moins de quarante-huit personnages. Elle avait pour titre : le Pèlerin de la vie humaine. C'était une de ces pièces dans le goût du temps, et que l'on appelait des moralités. Philippe ne quitta pas la Franche-Comté sans lui laisser des preuves de son attachement; mais il ne devait pas revoir cette province. Au moment de repasser d'Espagne en Flandre, il fut pris à Burgos d'une pleurésie qui fit de rapides progrès et l'emporta le 25 septembre 1506. Il avait à peine vingt-huit ans. Sa femine, qui l'aimait passionnément, devint folle de la douleur de cette mort; elle ne put jamais recouvrer la raison, et l'histoire ne connait plus cette malheureuse princesse que sous le nom de Jeanne la Folle.

L'héritier direct de Philippe le Beau était un enfant de cinq ans, qui s'appelait Charles laissons-le grandir cet enfant, car il porte avec lui de hautes destinées; attendons que l'âge l'ait fait homme, et son ambition ne se contentera pas d'avoir à gouverner les quelques provinces léguées par son père; il aspirera, comme Charlemagne, à gouverner le monde. Cet enfant devait être Charles-Quint. Il était né à Gand, le 24 février de l'an 1500. Le testament de son père lui désignait pour tuteur le roi de France Louis XII, et celui-ci chargea l'archevêque de Besançon, Jean de Vergy, de l'éducation du petit Charles. L'empereur Maximilien, aïeul du jeune archiduc, ent la régence de ses États; mais Maximilien, tout occupé de ses guerres en Italie, abandonna l'administration des Pays-Bas à sa fille Marguerite, et par des lettres patentes du 17 février 1508 il lui céda la jouissance viagère de la Franche-Comté. Marguerite entrait dans la vingt-huitième année de son âge, au moment où son père lui remettait la direction des affaires. Toute jeune qu'était encore cette princesse, elle avait éprouvé bien cruellement déjà l'instabilité des choses humaines: fiancée à trois ans à Charles VIII, elle s'était vue répudiée à treize. Remariée à dix-huit ans à l'infant des Espagnes, elle s'embarque pour aller trouver son époux; mais elle court un si grand péril dans la traversée, qu'elle manque de périr et fait au plus fort de la tempête son épitaphe en ces mots :

Ci-git Margot, la gente damoiselle,

Qu'eut deux maris et ci mourut pucelle.

Au bout de six mois de mariage, l'infant des Espagnes meurt. Après un veuvage de quatre ans, Marguerite se remarie en troisièmes noces à Philibert le Beau, duc de Savoie '; elle s'attache de la passion la plus vive à ce nouvel époux, mais elle

1 M. Pallu nous apprend, dans une brochure qu'il vient de publier tout récemment (février 1851), sous le titre d'Une maison historique à Dôle, que le mariage par procuration entre Marguerite et Philippe le Beau se fit en l'hôtel Vurry à Dôle. Voici comment M. Pallu rapporte ce fait, d'après M. Le Glay, auteur d'une Notice sur Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas : Sur la fin d'octobre ou de novembre 1501, eut lieu dans l'hôtel Vurry le mariage par procuration entre Philippe le Beau, duc de Savoie, et Marguerite d'Autriche, fille de l'empereur Maximilien Jer. René, bâtard de Savoie, était chargé d'épouser la princesse au nom de son frère naturel:

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