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Tableau hiftorique du commerce de l'Inde.

Dès que l'Inde fut un peu connue des barbares

de l'Occident et du Nord, elle fut l'objet de leur cupidité, et le fut encore davantage, quand ces barbares, devenus policés et induftrieux, fe firent de nouveaux befoins.

On fait affez qu'à peine on eut paffé les mers qui entourent le midi et l'orient de l'Afrique, on combattit vingt peuples de l'Inde, dont auparavant on ignorait l'existence. Les Albuquerques et leurs fucceffeurs ne purent parvenir à fournir du poivre et des toiles en Europe que par le carnage.

Nos peuples Européans ne découvrirent l'Amérique que pour la dévafter, et pour l'arrofer de fang; moyennant quoi ils eurent du cacao, de l'indigo, du fucre, dont les cannes furent tranfportées d'Afie par les Europeans dans les climats chauds de ce nouveau monde; ils rapportèrent quelques autres denrées

et fur-tout le quinquina mais ils y contractèrent une maladie auffi affreuse qu'elle eft honteufe et univerfelle, et que cette écorce d'un arbre du Pérou ne guérissait pas.

A l'égard de l'or et de l'argent du Pérou et du Mexique, le public n'y gagna rien; puisqu'il est absolument égal de fe procurer les mêmes néceffités avec cent marcs ou avec un marc. Il ferait même très-avantageux au genre humain d'avoir peu de métaux qui fervent de gages d'échange, parce qu'alors le commerce eft bien plus facile cette vérité eft démontrée en rigueur. Les premiers poffeffeurs des mines font, à la vérité, réellement plus riches d'abord que les autres, ayant plus de gages d'échange dans leurs mains; mais les autres peuples auffitôt leur vendent leurs denrées à proportion en très-peu de temps l'égalité s'établit, et enfin le peuple le plus industrieux devient en effet le plus riche. (1)

Perfonne n'ignore quel vafte et malheureux empire les rois d'Espagne acquirent aux deux extrémités du monde, fans fortir de leur palais; combien l'Espagne fit paffer d'or, d'argent, de marchandises précieufes en Europe, fans en devenir plus opulente; et à quel point elle étendit fa domination en fe dépeuplant.

(1) Les mines ont une valeur réelle pour le propriétaire, comme toutes les autres productions; mais leur valeur baiffe à mesure que les métaux qu'on en tire deviennent communs, ce qui arrive toutes les fois que les mines en fournissent plus qu'on n'en consomme.

Obfervons auffi que les métaux précieux qui font fi propres à servir, non de fignes de valeurs, comme on l'a dit trop fouvent, mais de valeurs connues, font en même temps des denrées très-utiles. Il ferait très-avantageux pour l'humanité en général que l'argent et l'or fur-tout fussent très-communs.

L'hiftoire des grands établissemens hollandais dans l'Inde eft connue, de même que celle des colonies anglaifes qui s'étendent aujourd'hui de la Jamaïque à la baie d'Hudson, c'est-à-dire, depuis le voisinage du tropique jufqu'à celui du pôle.

Les Français, qui font venus tard au partage des deux mondes, ont perdu à la guerre de 1756 et à la paix tout ce qu'ils avaient acquis dans la terre ferme de l'Amérique feptentrionale, où ils poffédaient environ quinze cents lieues en longueur, et environ fept à huit cents en largeur. Cet immenfe et miférable pays était très à charge à l'Etat, et fa perte a été encore plus funefte.

Prefque tous ces vaftes domaines, ces établiffemens difpendieux, toutes ces guerres entreprises pour les maintenir, ont été le fruit de la molleffe de nos villes et de l'avidité des marchands, encore plus que de l'ambition des fouverains.

C'eft pour fournir aux tables des bourgeois de Paris, de Londres, et des autres grandes villes, plus d'épiceries qu'on n'en confommait autrefois aux tables des princes; c'eft pour charger des fimples citoyennes de plus de diamans que les reines n'en portaient à leur facre; c'eft pour infecter continuellement fes narines d'une poudre dégoûtante, pour s'abreuver, par fantaisie, de certaines liqueurs inutiles, inconnues à nos pères, qu'il s'eft fait un commerce immenfe, toujours défavantageux aux trois quarts de l'Europe; et c'eft pour foutenir ce commerce que les puiffances fe font fait des guerres, dans lesquelles le premier coup de canon tiré dans nos climats met le feu à toutes les batteries en

Amérique et au fond de l'Afie. On s'eft toujours plaint des impôts, et fouvent avec la plus jufte raison; mais nous n'avons jamais réfléchi que le plus grand et le plus rude des impôts eft celui que nous impofons fur nous-mêmes par nos nouvelles délicateffes qui font devenues des befoins, et qui font en effet un luxe ruineux, quoiqu'on ne leur ait point donné le nom de luxe.

Il est très-vrai que depuis Vafco de Gama, qui doubla le premier la pointe de la terre des Hottentots, ce font des marchands qui ont changé la face du monde.

Les Japonais, ayant éprouvé l'inquiétude turbulente et avide de quelques-unes de nos nations européanes, ont été affez heureux et affez puiffans pour leur fermer tous leurs ports, et pour n'admettre chaque année qu'un feul vaiffeau d'un petit peuple qu'ils traitent avec une rigueur et un mépris (a) que ce petit peuple feul eft capable de supporter, quoiqu'il foit très-puiffant dans l'Inde orientale.

Les habitans de la vafte presqu'île de l'Inde n'ont eu ni le pouvoir ni le bonheur de fe mettre, comme les Japonais, à l'abri des invafions étrangères. Leurs provinces maritimes font, depuis plus de deux cents ans, le théâtre de nos guerres.

Les fucceffeurs des brachmanes, de ces inventeurs de tant d'arts, de ces amateurs et de ces arbitres de la paix, font devenus nos facteurs, nos négociateurs mercenaires. Nous avons défolé leur pays, nous

(a) Il est très-vrai que dans le commencement de la révolution de 1663 on obligea les Hollandais, comme les autres, à marcher fur le crucifix.

l'avons engraiffé de notre fang. Nous avons montré combien nous les furpaffons en courage et en méchanceté, et combien nous leur fommes inférieurs en fageffe. Nos nations d'Europe fe font détruites réciproquement dans cette même terre où nous n'allons chercher que de l'argent, et où les premiers grecs ne voyageaient que pour s'inftruire.

La compagnie des Indes hollandaises fefait déjà des progrès rapides, et celle d'Angleterre fe formait, lorfqu'en 1604 le grand Henri accorda, malgré l'avis du duc de Sulli, le privilége exclufif du commerce dans les Indes à une compagnie de marchands plus intéreffés que riches, et nullement capables de fe foutenir par eux-mêmes. On ne leur donna qu'une lettre patente, et ils reftèrent dans l'inaction.

Le cardinal de Richelieu créa, en 1642, une espèce de compagnie des Indes; mais elle fut ruinée en peu d'années. Ces tentatives femblèrent annoncer que le génie français n'était pas auffi propre à ces entreprises que le génie attentif et économe des Hollandais, et que l'efprit hardi, entreprenant et opiniâtre des Anglais.

Louis XIV, qui allait à la gloire et à l'avantage de fa nation par toutes les routes, fonda, en 1664. par les foins de l'immortel Colbert, une compagnie des Indes puiffante : il lui accorda les priviléges les plus étendus, et l'aida de quatre millions tirés de fon épargne, lesquels en feraient environ huit d'aujourd'hui. Mais, d'année en année, le capital et le crédit de la compagnie dépérirent. La mort de Colbert détruifit prefque tout. La ville de Pondichéri, sur la côte de Coromandel, fut prife par les Hollandais,

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