Page images
PDF
EPUB

elle ne prétendit jamais représenter les affemblées de la nation, les champs de mars et de mai. Le parlement de Paris ne les a jamais repréfentées; mais il eut d'ailleurs de très-hautes prérogatives.

CHAPITRE II I.

Des Barons fiégeans en parlement et amovibles; des Clercs adjoints, de leurs gages, des jugemens.

Les féances du parlement duraient environ fix

ES

femaines ou deux mois. Les juges étaient tous des hauts barons. La nation n'aurait pas fouffert d'être jugée par d'autres : il n'y avait point d'exemple qu'un serf, ou un affranchi, un roturier, un bourgeois eût jamais fiégé dans aucun tribunal, excepté quand les pairs bourgeois avaient jugé leurs confrères dans les caufes criminelles.

Les barons étaient donc feuls Confeillers-jugeurs, comme on parlait alors. Ils fiégeaient, l'épée au côté, felon l'ancien usage. On pouvait en quelque forte les comparer à ces anciens fénateurs romains qui, après avoir fait la fonction de juger dans le fénat, allaient fervir ou commander dans les armées.

Mais les barons français étant très-peu inftruits des lois et des coutumes, la plupart même fachant à peine figner leur nom, il y cut deux chambres des enquêtes, dans lefquelles on admit des clercs et des laïques, appelés maîtres ou licenciés en droit. Ils étaient confeillers-rapporteurs: ils n'étaient pas juges, mais ils inftruifaient les caufes, les préparaient, et

les lifaient enfuite devant les barons confeillersjugeurs. Ceux-ci, pour former leur avis, n'écoutaient que le bon fens naturel, l'efprit d'équité, et quelquefois leur caprice. Ces confeillers-rapporteurs, ces maîtres furent enfuite incorporés avec les barons; c'eft ainfi que dans la chambre impériale d'Allemagne et dans le confeil aulique, il y a des docteurs avec des gens d'épée. De même, dans les conciles, le fecond ordre fut prefque toujours admis comme le plus favant. Il y eut prefque dans tous les Etats des grands qui eurent l'autorité, et des petits qui, en fe rendant utiles, finirent par la partager.

Les chambres des enquêtes étaient préfidées auffi par des feigneurs et par des évêques. Les clercs eccléfiaftiques et les clercs laïques fefaient toute la procédure. On fait affez qu'on appelait clercs ceux qui avaient fréquenté les écoles, quoiqu'ils ne fuffent pas du clergé. Les notaires du roi s'appelaient les clercs du roi: il avait dans fa maifon des clercs de cuifine, c'est-à-dire, des gens qui, fachant lire et écrire, tenaient les comptes de la cuifine; il y en a encore chez les rois d'Angleterre, qui ont confervé beaucoup d'anciens ufages entièrement perdus à la cour de France.

La fcience s'appelait clergie, et de là vient le terme de mauclerc, qui fignifiait un ignorant, ou un favant qui abufait de fon érudition.

Les rapporteurs des enquêtes n'étaient donc pas. tous des clercs d'églife; il y avait des féculiers favans dans le droit civil et le droit canon, c'eft-à-dire, un peu plus inftruits que les autres dans les préjugés qui régnaient alors.

. Le comte de Boulainvilliers et le célèbre Fénelon prétendent qu'ils furent tous tirés de la condition fervile mais certainement, il y avait alors dans Paris, dans Orléans, dans Reims, des bourgeois qui n'étaient point ferfs; et c'était fans contredit le plus grand nombre. Aurait-on admis en effet des esclaves aux états généraux, au grand parlement ou états généraux de France, en 1302 et en 1305?

Ces commiffaires enquêteurs, qui firent bientôt corps avec le nouveau parlement, forcèrent par leur mérite et par leur fcience le monarque à leur confier cet important ministère, et les barons-juges à former leur opinion fur leur avis.

Ceux qui ont prétendu que la juridiction appelée parlement, s'affemblant deux fois par an pour rendre la juftice, était une continuation des anciens parlemens de France, paraiffent être tombés dans une erreur volontaire, qui n'eft fondée que fur une équivoque.

Les pairs-barons, qui affiftaient aux vrais parlemens, aux états généraux, y venaient par le droit de leur naiffance et de leurs fiefs; le roi ne pouvait les en empêcher ; ils venaient joindre leur puiffance à la fienne, et étaient bien éloignés de recevoir des gages pour venir décider de leurs propres intérêts au champ de mars et au champ de mai. Mais dans le nouveau parlement judiciaire, dans cette cour qui fuccéda aux parloirs du roi, aux confeils du roi, les confeillers recevaient cinq fols parifis par jour. Ils exerçaient une commiffion paffagère; et trèsfouvent ceux qui avaient fiégé à Pâques n'étaient plus juges à la Touffaint.

Philippe le long ne voulut plus que les évêques 1320. euffent le droit de fiéger dans ce tribunal, et c'est une nouvelle preuve que le nouveau parlement n'avait rien des anciens que le nom : car fi c'eût été un vrai parlement de la nation, ce qui eft impoffible, le roi n'aurait pu en exclure les évêques qui, depuis Pepin, étaient en poffeffion d'affifter de droit à ces affemblées.

En un mot, un tribunal érigé pour juger les affaires contentieufes ne reffemble pas plus aux états généraux, aux comices, aux anciens parlemens de la nation entière, qu'un préteur de Strasbourg ne reffemble aux préteurs de la république romaine; ou qu'un conful de la juridiction confulaire ne reffemble aux confuls de Rome.

Le même Philippe le bel établit, comme on a vu, un parlement à Toulouse pour le pays de la langue de oc, comme il en avait établi un pour la langue de oui. Peut-on dire que ces juridictions représentaient le corps de la nation française? Il est vrai que le parlement de Toulouse n'eut pas lieu de long-temps: malgré l'ordonnance du roi, on ne trouva point affez d'argent pour payer les confeillers.

Il y avait déjà à Toulouse une chambre de parlement ou parloir, fous le comte de Poitiers, frère. de Saint-Louis: nouvelle preuve que les mêmes noms ne fignifient pas les mêmes chofes. Ces commiffions étaient paffagères comme toutes les autres. Ce parloir du comte de Poitiers, comte et pair de Toulouse, eft appelé auffi chambre des comptes. Le prince de Touloufe, quand il était à Paris, fefait examiner fes finances à Toulouse. Or, quel rapport peut-il fe

trouver entre quelques officiers d'un comte de Toulouse, et les anciens parlemens francs? Ce ne fut que fous Charles VII que le parlement de Toulouse. reçut fa perfection.

Enfin les grands jours de Troyes, établis aussi par Philippe le bel, ayant une juridiction auffi pleine et auffi entière que le parlement de Paris, achèvent de prouver démonftrativement que c'est une équivoque puérile, une logomachie, un vrai jeu de mots, de prendre une cour de justice, appelée parlement, pour les anciens parlemens de la nation française.

Nous avons encore l'ordonnance de Philippe le long au fujet des requêtes du palais, de la chambre de parlement, et de celles des comptes du tréfor; en voici la traduction, telle qu'elle fe trouve dans Pafquier.

Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, fefons favoir à tous, que nous avons fait extraire de nos ordonnances, faites par notre grand confeil, les articles ci-après écrits, &c. Or quel était ce grand confeil qui donnait ainfi des lois au parlement, et qui réglait ainfi fa police? c'était alors les pairs du royaume, c'était les grands officiers que le roi affemblait il avait fon grand confeil et fon petit confeil; la chambre du parlement obéiffait à leurs ordres; donc elle ne pouvait certainement être regardée comme les anciennes affemblées du champ de mai, puifqu'elle obéiffait à des lois émanées d'un confeil qui lui-même n'était pas l'ancien, le vrai parlement de la nation.

:

« PreviousContinue »