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Art. XXIV. - 26. Les hommes1 ont mépris pour la religion, ils en ont haine, et peur qu'elle soit vraie. Pour guérir cela, il faut commencer par montrer que la religion n'est point contraire à la raison; vénérable, en donner respect; la rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons 5 qu'elle fût vraie; et puis, montrer qu'elle est vraie.

Vénérable, parce qu'elle a bien connu l'homme; aimable, parce qu'elle promet le vrai bien.

read Riorly.

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Art. I.-1. ... Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté ; qu'il éloigne sa vue 10 des objets bas qui l'environnent; qu'il regarde cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers; que la terre lui paraisse comme un point, au prix du vaste tour3 que cet astre décrit, et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate 15 à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre: elle se lassera plus tôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle 20 idée n'en approche.5 Nous avons beau enfler nos conceptions au delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère 7 7 infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c'est le plus grand caractère sensible de 25 la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.

Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature, et que, de ce petit cachot où 30 il se trouve logé, j'entends l'univers,9 il apprenne à estimer

la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix.

Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini? Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans 5 ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes 2 dans ces humeurs, des 10 vapeurs 3 dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme 15 nouveau. Je lui veux peindre non-seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome.4 Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans 20 cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et, trouvant encore dans les autres la même chose, sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ces merveilles, aussi étonnantes, dans leur petitesse, que les autres dans leur étendue; car qui 25 n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant 5 où l'on ne peut arriver?

Qui se considère de la sorte s'effrayera de soi-même, et, 30 se considérant soutenu dans la masse 6 que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera à la vue de ces merveilles; et je crois que, sa

curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.

Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un 5 milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable; également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.

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Que fera-t-il donc, sinon d'apercevoir l'apparence du milieu des choses, dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin? Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui suivra ces étonnantes démarches? L'auteur de ces merveilles les com- 15 prend; tout autre ne le peut faire.

Manque d'avoir contemplé ces infinis, les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature, comme s'ils avaient quelque proportion avec elle.' . . . . Connaissons donc notre portée; nous sommes quelque chose, et ne 20 sommes pas tout. Ce que nous avons d'être 2 nous dérobe la connaissance des premiers principes, qui naissent du néant, et le peu que nous avons d'être nous cache la vue de l'infini.

Notre intelligence tient dans l'ordre des choses intel- 25 ligibles le même rang que notre corps dans l'étendue de la

nature.

Bornés en tout genre, cet état qui tient le milieu entre 'deux extrêmes se trouve en toutes nos impuissances.

Nos sens n'aperçoivent rien d'extrême. Trop de bruit 30 nous assourdit; trop de lumière éblouit; trop de distance et trop de proximité empêche la vue; trop de longueur et

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trop de brièveté de discours l'obscurcit; trop de vérité nous étonne j'en sais qui ne peuvent comprendre que qui de zéro ôte 4 reste zéro. Les premiers principes ont trop d'évidence 2 pour nous. Trop de plaisir incommode. Trop de consonnances déplaisent dans la musique; et trop de bienfaits irritent: nous voulons avoir de quoi surpayer la dette: Beneficia 3 eo usque laeta sunt dum videntur exsolvi posse; ubi multum antevenere, pro gratia odium redditur.

Nous ne sentons ni l'extrême chaud, ni l'extrême froid. 10 Les qualités excessives nous sont ennemies, et non pas sensibles nous ne les sentons plus, nous les souffrons. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêchent l'esprit; trop et trop peu d'instruction. Enfin les choses extrêmes sont pour nous comme si elles n'étaient point, et nous ne sommes 15 point à leur égard: elles nous échappent, ou nous à elles.

Voilà notre état véritable. C'est ce qui nous rend incapables de savoir certainement et d'ignorer absolument. Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d'un bout vers l'autre. Quelque terme où 20 nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte; et si nous le suivons, il échappe à nos prises, nous glisse et fuit d'une fuite éternelle. Rien ne s'arrête pour nous. C'est l'état qui nous est naturel, et toutefois le plus contraire à notre inclination. Nous brûlons de désir 25 de trouver une assiette ferme et une dernière base constante, pour y édifier une tour 5 qui s'élève à l'infini. Mais tout notre fondement craque, et la terre s'ouvre jusqu'aux abîmes. . . •

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2. Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, 30 tête, car ce n'est que l'expérience qui nous apprend que la

tête est plus nécessaire que les pieds. Mais je ne puis concevoir l'homme sans pensée, ce serait une pierre ou une brute.

3. La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. C'est donc être misérable que de se connaître misérable; mais c'est être grand que de connaître qu'on est misérable. Toutes ces misères-là mêmes prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur, misères d'un roi dépossédé.

6. L'homme n'est qu'un roseau,' le plus faible de la na- 10 ture, mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers 15 a sur lui. L'univers n'en sait rien.

Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser: voilà le principe de la morale.

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II. Je sens que je puis n'avoir point été : car le moi consiste dans ma pensée; donc moi qui pense n'aurais point été, si ma mère eût été tuée avant que j'eusse été animé. Donc je ne suis pas un être nécessaire. Je ne suis pas aussi éternel, ni infini; mais je vois bien qu'il y a dans la nature 25 un être nécessaire, éternel et infini.

Art. II.-1. Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons

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