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433. La plus véritable marque d'être né avec de grandes qualités, c'est d'être né sans envie.

436. Il est plus aisé de connaître l'homme en général, que de connaître un homme en particulier.

438. Il y a une certaine reconnaissance vive, qui ne nous 5 acquitte pas seulement des bienfaits que nous avons reçus, mais qui fait même que nos amis nous doivent, en leur payant ce que nous leur devons.1

442. Nous essayons de nous faire honneur des défauts que nous ne voulons pas corriger.

449. Lorsque la fortune nous surprend en nous donnant une grande place sans nous y avoir conduits par degrés, ou sans que nous nous y soyons élevés par nos espérances, il est presque impossible de s'y bien soutenir et de paraître digne de l'occuper.

453. Dans les grandes affaires, on doit moins s'appliquer à faire naître des occasions qu'à profiter de celles qui se pré

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458. Nos ennemis approchent plus de la vérité dans les jugements qu'ils font de nous, que nous n'en approchons 20 nous-mêmes.

459. Il y a plusieurs remèdes qui guérissent de l'amour, mais il n'y en a point d'infaillibles.

462. Le même orgueil qui nous fait blâmer les défauts dont nous nous croyons exempts, nous porte à mépriser les 25 bonnes qualités que nous n'avons pas.

463. Il y a souvent plus d'orgueil que de bonté à plaindre les malheurs de nos ennemis ; c'est pour leur faire sentir que nous sommes au-dessus d'eux que nous leur donnons des marques de compassion.

473. Quelque rare que soit le véritable amour, il l'est encore moins que la véritable amitié.

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475. L'envie d'être plaint ou d'être admiré fait souvent la plus grande partie de notre confiance.

479. Il n'y a que les personnes qui ont de la fermeté qui puissent avoir une véritable douceur; celles qui paraissent 5 douces n'ont d'ordinaire que de la faiblesse, qui se convertit aisément en aigreur.

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484. Quand on a le cœur encore agité par les restes d'une passion, on est plus près d'en prendre une nouvelle que quand on est entièrement guéri.

488. Le calme ou l'agitation de notre humeur ne dépend pas tant de ce qui nous arrive de plus considérable dans la vie, que d'un arrangement commode ou désagréable de petites choses qui arrivent tous les jours.

489. Quelques méchants que soient les hommes, ils 15 n'oseraient paraître ennemis de la vertu, et lorsqu'ils la veulent persécuter ils feignent de croire qu'elle est fausse, ou ils lui supposent des crimes.

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490. On passe souvent de l'amour à l'ambition, mais on ne revient guère de l'ambition à l'amour.1

494. Ce qui fait voir que les hommes connaissent mieux leurs fautes qu'on ne pense, c'est qu'ils n'ont jamais tort quand on les entend parler de leur conduite: le même amour-propre qui les aveugle d'ordinaire les éclaire alors, et leur donne des vues si justes, qu'il leur fait supprimer ou dé25 guiser les moindres choses qui peuvent être condamnées.

496. Les querelles ne dureraient pas longtemps si le tort n'était que d'un côté.

CHAPTER IV - BOSSUET

1. ORAISON FUNÈBRE

DE HENRIETTE-ANNE D'ANGLETERRE, DUCHESSE D'ORLÉANS, PRONONCÉE À SAINT-DENIS 2 LE 21 AOÛT 1670

Vanitas 3 vanitatum, dixit Ecclesiastes: vanitas vanitatum, et omnia vanitas.

Vanité des vanités, a dit l'Ecclésiaste: vanité des vanités, et tout est vanité. (Eccles., I, 2.)

Monseigneur, 4

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J'étais donc encore destiné à rendre ce devoir funèbre à très haute et très puissante princesse HENRIETTE-ANNE D'ANGLETERRE, DUCHESSE D'ORLÉANS. Elle, que j'avais vue si attentive pendant que je rendais le même devoir à la 5 reine sa mère, devait être sitôt après le sujet d'un discours semblable; et ma triste voix était réservée à ce déplorable ministère. O vanité ! ô néant! ô mortels ignorants de leurs destinées ! L'eût-elle cru il y a dix mois 7? Et vous, Messieurs, eussiez-vous pensé, pendant qu'elle versait tant de 10 larmes en ce lieu,9 qu'elle dût sitôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même ? Princesse, le digne objet de l'admiration de deux grands royaumes, n'était-ce pas assez que l'Angleterre pleurât votre absence, sans être encore réduite à pleurer votre mort? Et la France, qui vous revit avec 15 tant de joie environnée d'un nouvel éclat, n'avait-elle plus d'autres pompes et d'autres triomphes pour vous, au retour de ce voyage fameux,1o d'où vous aviez remporté tant de gloire et de si belles espérances? «Vanité des vanités," et tout est vanité. » C'est la seule parole qui me reste; c'est 20 la seule réflexion que me permet,12 dans un accident si

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étrange, une si juste et si sensible douleur. Aussi n'ai-je point parcouru les livres sacrés pour y trouver un texte que je pusse appliquer à cette princesse. J'ai pris sans étude et sans choix les premières paroles que me présente l'Ecclé5 siaste, où, quoique la vanité ait été si souvent nommée, elle ne l'est pas encore assez à mon gré pour le dessein que je me propose. Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les grandeurs 10 humaines. Ce texte, qui convient à tous les états et à tous les événements de notre vie, par une raison particulière devient propre à mon lamentable sujet, puisque jamais les vanités de la terre n'ont été si clairement découvertes,2 ni si hautement confondues. Non,3 après ce que nous venons 15 de voir, la santé n'est qu'un nom,4 la vie n'est qu'un songe, la gloire n'est qu'une apparence, les grâces et les plaisirs ne sont qu'un dangereux amusement: tout est vain en nous, excepté le sincère aveu que nous faisons devant Dieu de nos vanités et le jugement arrêté qui nous fait mépriser tout 20 ce que nous sommes.

Mais dis-je la vérité? L'homme, que Dieu a fait à son image, n'est-il qu'une ombre? Ce que Jésus-Christ est venu chercher du ciel en la terre, ce qu'il a cru pouvoir, sans se ravilir, acheter de tout son sang, n'est-ce qu'un 25 rien? Reconnaissons notre erreur. Sans doute ce triste spectacle des vanités humaines nous imposait; et l'espérance publique, frustrée tout à coup par la mort de cette princesse, nous poussait trop loin. Il ne faut pas permettre à l'homme de se mépriser tout entier, de peur que, croyant 30 avec les impies que notre vie n'est qu'un jeu où règne le hasard, il ne marche sans règle et sans conduite au gré de ses aveugles désirs. C'est pour cela que l'Ecclésiaste, après

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avoir commencé son divin ouvrage par les paroles que j'ai récitées, après en avoir rempli toutes les pages du mépris des choses humaines, veut enfin montrer à l'homme quelque chose de plus solide, et conclut tout son discours en disant: << Crains Dieu, et garde ses commandements; car c'est là tout l'homme, et sache que le Seigneur examinera dans son jugement tout ce que nous aurons fait de bien ou de mal. » Ainsi tout est vain en l'homme, si nous regardons ce qu'il donne au monde; mais au contraire, tout est important, si nous considérons ce qu'il doit à Dieu. Encore une fois, IO tout est vain en l'homme, si nous regardons le cours de sa vie mortelle; mais tout est précieux, tout est important, si nous contemplons le terme où elle aboutit et le compte qu'il en faut rendre. Méditons donc aujourd'hui, à la vue de cet autel et de ce tombeau, la première et la dernière parole de 15 l'Ecclésiaste ; l'une qui montre le néant de l'homme,2 l'autre qui établit sa grandeur. Que ce tombeau nous convainque de notre néant, pourvu que cet autel, où l'on offre tous les jours pour nous une victime d'un si grand prix, nous apprenne en même temps notre dignité. La princesse que 20 nous pleurons sera un témoin fidèle de l'un et de l'autre. Voyons ce qu'une mort soudaine lui a ravi; voyons ce qu'une sainte mort lui a donné. Ainsi nous apprendrons à mépriser ce qu'elle a quitté sans peine, afin d'attacher toute notre estime à ce qu'elle a embrassé avec tant d'ardeur, 25 lorsque son âme, épurée de tous les sentiments de la terre et pleine du ciel où elle touchait, a vu la lumière toute manifeste. Voilà les vérités que j'ai à traiter, et que j'ai cru dignes d'être proposées à un si grand prince et à la plus illustre assemblée de l'univers.3

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