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que peu de gens ont pensé qu'on ne se pouvoit prendre à nous que de ce que nous faisons contre nostre conscience; et sur cette regle est en partie fondée l'opinion de ceux qui condamnent les punitions capitales aux heretiques et mescreans, et celle qui establit qu'un advocat et un juge ne puissent estre tenuz de ce que par ignorance ils ont failly en leur charge.

Mais quant à la coüardise, il est certain que la plus commune façon est de la chastier par honte et ignominie. Et tient on que cette regle a esté premierement mise en usage par le legislateur Charondas, et qu'avant luy les loix de Grece punissoyent de mort ceux qui s'en estoyent fuis d'une bataille, là où il ordonna seulement qu'ils fussent par trois jours assis emmy la place publique, vetus de robe de femme, esperant encores s'en pouvoir servir, leur ayant fait revenir le courage par cette honte. Il semble aussi que les loix romaines condamnoient anciennement à mort ceux qui avoient fuy: car Ammianus Marcellinus raconte que l'empereur Julien condamna dix de ses soldats, qui avoyent tourné le dos à une charge contre les Parthes, à estre dégradez, et aprés à souffrir mort, suyvant, dict-il, les loix anciennes. Toutes-fois, ailleurs, pour une pareille faute, il en condemne d'autres seulement à se tenir parmy les prisonniers sous l'enseigne du bagage.

Du temps de nos peres, le seigneur de Franget, jadis lieutenant de la compagnie de monsieur le mareschal de Chastillon, ayant esté mis par monsieur le mareschal de Chabanes, gouverneur de Fontarrabie au lieu de monsieur de Lude, et l'ayant rendue aux Espagnols, fut condamné à estre degradé de noblesse, et, tant luy que sa

posterité, declaré roturier, taillable et incapable de porter armes : et fut cette rude sentence executée à Lyon. Depuis, souffrirent pareille punition tous les gentilshommes qui se trouverent dans Guyse lors que le comte de Nansau y entra, et autres encore depuis. Toutes-fois, quand il y auroit une si grossiere et apparente ou ignorance ou coüardise qu'elle surpassat toutes les ordinaires, ce seroit raison de la prendre pour suffisante preuve de meschanceté et de malice, et de la chastier pour telle.

CHAPITRE XVII.

Un traict de quelques ambassadeurs.

'OBSERVE en mes voyages cette practique pour apprendre tousjours quelque chose par la communication d'autruy (qui est une des plus belles escholes qui puisse estre), de ramener tousjours ceux avec qui je confere aux propos des choses qu'ils sçavent le mieux :

Basti al nocchiero ragionar de' venti,
Al bifolco dei tori, et le sue piaghe

Conti'l guerrier, conti'l pastor gli armenti

Car il advient le plus souvent, au rebours, que chacun choisit plustost à discourir du mestier d'autruy que du sien, estimant que c'est autant de nouvelle reputation

acquise tesmoing le reproche qu'Archidamus feit à Periander, qu'il quittoit la gloire de bon medecin pour acquerir celle de mauvais poëte. Et par ce train, vous ne faictes jamais rien qui vaille.

Optat ephippia bos piger, optat arare caballus.

Par ainsi, il faut travailler de rejetter tousjours l'architecte, le peintre, le cordonnier, et ainsi du reste, chacun à son gibier.

Et à ce propos, à la lecture des histoires, qui est le subjet de toutes gens, j'ay accoustumé de considerer qui en sont les escrivains si ce sont personnes qui ne facent autre profession que de lettres, j'en apren principalement le stile et le langage; si ce sont medecins, je les croy plus volontiers en ce qu'ils nous disent de la temperature de l'air, de la santé et complexion des princes, des blessures et maladies; si jurisconsultes, il en faut prendre les controverses des droicts, les loix, l'establissement des polices et choses pareilles; si theologiens, les affaires de l'Eglise, censures ecclesiastiques, dispenses et mariages; si courtisans, les meurs et les cerimonies; si gens de guerre, ce qui est de leur charge, et principalement les deductions des exploits où ils se sont trouvez en personne; si ambassadeurs, les menées, intelligences et practiques, et maniere de les conduire.

A cette cause, ce que j'eusse passé à un autre sans m'y arrester, je l'ay poisé et remarqué en l'histoire du seigneur de Langey, trés-entendu en telles choses. C'est qu'aprés avoir conté ces belles remonstrances de l'empereur Charles cinquiesme, faictes au consistoire à

Rome, present l'evesque de Macon et le seigneur du Velly, nos ambassadeurs, où il avoit meslé plusieurs parolles outrageuses contre nous, et, entre autres, que si ses capitaines, soldats et subjects n'estoient d'autre fidelité et suffisance en l'art militaire que ceux du roy, tout sur l'heure il s'attacheroit la corde au col pour luy aller demander misericorde. Et de cecy il semble qu'il en creut quelque chose, car, deux ou trois fois en sa vie depuis, il luy advint de redire ces mesmes mots, aussi qu'il défia le roy de le combatre en chemise, avec l'espée et le poignard, dans un bateau. Ledit seigneur de Langey, suivant son histoire, adjouste que lesdicts ambassadeurs, faisans une despesche au roy de ces choses, luy en dissimulerent la plus grande partie, mesmes luy celerent les deux articles precedens. Or j'ay trouvé bien estrange qu'il fût en la puissance d'un ambassadeur de dispenser sur les advertissemens qu'il doit faire à son maistre, mesme de telle consequence, venant de telle personne et dits en si grand'assemblée. Et m'eût semblé l'office du serviteur estre de fidelement representer les choses en leur entier, comme elles sont advenues, affin que la liberté d'ordonner, juger et choisir demeurast au maistre car de luy alterer ou cacher la verité, de peur qu'il ne la preigne autrement qu'il ne doit, et que cela ne le pousse à quelque mauvais party, et ce pendant le laisser ignorant de ses affaires, cela m'eut semblé appartenir à celuy qui donne la loy, non à celuy qui la reçoit, au curateur et maistre d'escholle, non à celuy qui se doit penser inferieur, non en authorité seulement, mais aussi en prudence et bon conseil. Quoy qu'il en soit, je ne

voudroy pas estre servy de cette façon en mon petit

faict.

CHAPITRE XVIII.

De la Peur.

BSTUPUI, steteruntque comæ, et vox faucibus hæsit.

Je ne suis pas bon naturaliste (qu'ils disent) et ne sçay guiere par quels ressors la peur agit en nous, mais tant y a que c'est une estrange passion, et disent les medecins qu'il n'en est aucune qui emporte plustost nostre jugement hors de sa deuë assiette. De vray, j'ay veu beaucoup de gens devenus insensez de peur, et au plus rassis il est certain, pendant que son accés dure, qu'elle engendre de terribles esblouissemens. Je laisse à part le vulgaire, à qui elle represente tantost les bisayeulx sortis du tombeau enveloppez en leur suaire, tantost des loups-garous, des lutins et des chimeres. Mais parmy les guerriers mesme, où elle devroit trouver moins de place, combien de fois a elle changé un troupeau de brebis en esquadron de corselets! des roseaux et des cannes en gens-d'armes et lanciers! nos amis en nos ennemis et la croix blanche à la rouge! Lors que monsieur de Bourbon print Rome, un port'enseigne, qui estoit à la garde du bourg sainct Pierre, print tel effroy à la

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