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soubsçon de son faict, il estoit en luy de faire pis qu'il ne fist, car pour sa trahison nous ne perdismes ny homme, ny ville que Fossan, encore aprés l'avoir long temps contestée.

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J'aymerois bien mieux regler mes affaires par le sort des dez que par ces songes. J'en voy qui estudient et glosent leurs almanachs, et nous en alleguent l'authorité aux choses qui se passent. A tant dire, il faut qu'ils dient et la verité et le mensonge; je ne les estime de rien mieux, pour les voir tomber en quelque rencontre. Ce seroit plus de certitude s'il y avoit regle et verité à mentir tousjours. J'ay veu par fois, à leur dommage, aucunes de noz ames principesques s'arrester à ces vanitez. Le demon de Socrates estoit à mon advis certaine impulsion de volonté qui se presentoit à luy sans le conseil de son discours. En une ame bien espurée comme la sienne, et preparée par continuel exercice de sagesse et de vertu, il est vray-semblable que ces inclinations, quoy que fortuites, estoyent tousjours bonnes et dignes

d'estre suyvies. Chacun a en soy quelque image de telles agitations. J'en ay eu ausquelles je me laissay emporter si utilement et heureusement, qu'elles pourroyent estre jugées avec quelque chose d'inspiration divine.

CHAPITRE XII.

De la Constance.

A loy de la resolution et de la constance ne porte pas que nous ne nous devions couvrir, autant qu'il est en nostre puissance, des maux et inconveniens qui nous menassent, ny par consequent d'avoir peur qu'ils nous surpreignent. Au rebours, tous moyens honnestes de se garentir des maux sont non seulement permis, mais loüables. Et le jeu de la constance se jouë principalement à porter patiemment et de pié ferme les inconveniens où il n'y a point de remede de maniere qu'il n'y a soupplesse de corps ny mouvement aux armes de main, que nous trouvions mauvais, s'il sert à nous garantir du coup qu'on nous ruë.

Toutes-fois aux canonades, depuis qu'on leur est planté en bute, comme les occasions de la guerre portent souvent, il est messeant de s'esbranler pour la menasse du coup, d'autant que, pour sa violence et vitesse, nous le tenons inevitable; et en y a meint un

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qui, pour avoir ou haussé la main, ou baissé la teste, en a pour le moins appresté à rire à ses compagnons. Si est-ce qu'au voyage que l'empereur Charles cinquiesme fit contre nous en Provence, le marquis de Guast estant allé recognoistre la ville d'Arle et s'estant jetté hors du couvert d'un moulin à vent, à la faveur duquel il s'estoit approché, fut apperceu par les seigneurs de Bonneval et seneschal d'Agenois, qui se promenoient sus le theatre aux arenes; lesquels l'ayant monstré au seigneur de Villier, commissaire de l'artillerie, il braqua si à propos une colouvrine, que, sans ce que ledict marquis voyant mettre le feu se lança à quartier, il fut tenu qu'il en avoit dans le corps. Et de mesmes, quelques années auparavant, Laurens de Medicis, duc d'Urbin, pere de la royne, mere du roy, assiegeant Mondolphe, place d'Italie, aux terres qu'on nomme du Vicariat, voyant mettre le feu à une piece qui le regardoit, bien luy servit de faire la cane, car autrement le coup qui ne luy rasa que le dessus de la teste luy donnoit sans doute dans l'estomach. Pour en dire le vray, je ne croy pas que ces mouvemens se fissent avecques discours car quel jugement pouvez vous faire de la mire haute ou basse en chose si soudaine ? Et est bien plus aisé à croire que la fortune favorisa leur frayeur, et que ce seroit moyen un' autre fois aussi bien pour se jetter dans le coup que pour l'eviter. Je ne me puis deffendre, si le bruit esclattant d'une harquebusade vient à me frapper les oreilles à l'improuveu, en lieu où je ne le deusse pas attendre, que je n'en tressaille, ce que j'ay veu encores advenir à d'autres qui valent mieux que moy.

CHAPITRE XIII.

Ceremonie de l'entreveuë des roys.

L n'est subject si vain qui ne merite un rang en cette rapsodie. A nos reigles communes,

ce seroit une notable discourtoisie, et à l'endroit d'un pareil, et plus à l'endroict d'un grand, de faillir à vous trouver chez vous quand il vous auroit adverty d'y devoir venir : voire, adjoustoit la royne de Naverre Marguerite à ce propos, que c'estoit incivilité à un gentil-homme de partir de sa maison, comme il se faict le plus souvent, pour aller au devant de celuy qui le vient trouver, pour grand qu'il soit; et qu'il est plus respectueux et civil de l'attendre pour le recevoir, ne fust que de peur de faillir sa route, et qu'il suffit de l'accompagner à son partement. Pour moy, j'oublie souvent l'un et l'autre de ces vains offices, comme je retranche en ma maison toute ceremonie. Quelqu'un s'en offence, qu'y ferois-je? Il vaut mieux que je l'offence pour une fois que à moy tous les jours: ce seroit une subjection continuelle. A quoy faire fuyt-on la servitude des cours, si on l'entraine jusques en sa taniere? C'est aussi une reigle commune en toutes assemblées, qu'il touche aux moindres de se trouver les premiers à l'assignation, d'autant qu'il est mieux deu aux plus apparans de se faire attendre.

Toutesfois, à l'entreveuë qui se dressa du pape Clement et du roy François à Marseille, le roy y ayant ordonné les apprets necessaires, s'esloigna de la ville et donna loisir au pape de deux ou trois jours pour son entrée et refreschissement, avant qu'il le vint trouver. Et de mesmes, à l'entrée aussi du pape et de l'empereur à Bouloigne, l'empereur donna moyen au pape d'y estre le premier, et y survint aprés luy. C'est, disentils, une cerimonie ordinaire aux abouchemens de tels princes, que le plus grand soit avant les autres au lieu assigné, voyre avant celuy chez qui se faict l'assemblée; et le prennent de ce biais, que c'est affin que cette apparence tesmoigne que c'est le plus grand que les moindres vont trouver et le recherchent, non pas luy

eux.

CHAPITRE XIV.

Que le goust des biens et des maux depend en bonne partie de l'opinion que nous en avons.

Es hommes (dit une sentence grecque ancienne) sont tourmentez par les opinions qu'ils ont des choses, non par les choses

mesmes. Il y auroit un grand poinct gaigné pour le soulagement de nostre miserable condition humaine, qui pourroit establir cette proposition vraye tout par

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