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couppé, et à l'endroit d'un tel nez que celuy du roy François.

Le pape Jule second ayant envoyé un ambassadeur vers le roy d'Angleterre pour l'animer contre le roy François, l'ambassadeur ayant esté ouy sur sa charge, et le roy d'Angleterre s'estant arresté en sa responce aux difficultez qu'il trouvoit à dresser les preparatifs qu'il faudroit pour combattre un roy si puissant, et en alleguant quelques raisons, l'ambassadeur repliqua mal à propos qu'il les avoit aussi considerées de sa part, et les avoit bien dictes au pape. De cette parole si esloingnée de sa proposition, qui estoit de le pousser incontinent à la guerre, le roy d'Angleterre print le premier argument de ce qu'il trouva depuis par effect, que cet ambassadeur, de son intention particuliere, pendoit du costé de France, et en ayant adverty son maistre, ses biens furent confisquez, et ne tint à guere qu'il n'en perdit la vie.

CHAPITRE X.

Du parler prompt ou tardif.

NC ne furent à tous toutes graces données.

Aussi voyons nous qu'au don d'eloquence les uns ont la facilité et la promptitude, et, ce qu'on dict, le boute-hors si aisé, qu'à chaque bout de champ

ils sont prests; les autres, plus tardifs, ne parlent jamais rien qu'élabouré et premedité.

Comme on donne des regles aux dames de prendre les jeux et les exercices du corps, selon l'advantage de ce qu'elles ont le plus beau; si j'avois à conseiller de mesmes, en ces deux divers advantages de l'eloquence, de laquelle il semble en nostre siecle que les prescheurs et les advocats facent principale profession, le tardif seroit mieux prescheur, ce me semble, et l'autre mieux advocat par ce que la charge de celuy-là luy donne autant qu'il luy plaist de loisir pour se preparer, et puis sa carriere se passe d'un fil et d'une suite, sans interruption, là où les commoditez de l'advocat le pressent à toute heure de se mettre en lice; et les responces improuveues de sa partie adverse le rejettent hors de son branle, où il luy faut sur le champ prendre nouveau party. Si est-ce qu'à l'entreveue du pape Clement et du roy François à Marseille, il advint, tout au rebours, que monsieur Poyet, homme toute sa vie nourry au barreau, en grande reputation, ayant charge de faire la harangue au pape, et l'ayant de longue main pourpensée, voire, à ce qu'on dict, apportée de Paris toute preste; le jour mesme qu'elle devoit estre prononcée, le pape, se craignant qu'on luy tint propos qui peut offencer les ambassadeurs des autres princes qui estoient autour de luy, manda au roy l'argument qui luy sembloit estre le plus propre au temps et au lieu, mais de fortune tout autre que celuy sur lequel monsieur Poyet s'estoit travaillé, de façon que sa harangue demeuroit inutile, et luy en falloit promptement refaire une autre. Mais, s'en sentant incapable, il

fallut que monsieur le cardinal du Bellay en print la charge. La part de l'advocat est plus difficile que celle d'un prescheur; et nous trouvons pourtant, ce me semble, plus de passables advocats que prescheurs, au moins en France. Il semble que ce soit plus le rolle de l'esprit d'avoir son operation prompte et soudaine, et plus celuy du jugement de l'avoir lente et posée. Mais qui demeure du tout muet, s'il n'a loisir de se preparer, et celuy aussi à qui le loisir ne donne advantage de mieux dire, ils sont en pareil degré d'estrangeté.

On recite de Severus Cassius qu'il disoit mieux sans y avoir pensé, qu'il devoit plus à la fortune qu'à sa diligence, qu'il luy venoit à profit d'estre troublé en parlant, et que ses adversaires craignoyent de le picquer, de peur que la colere ne luy fit redoubler son eloquence. Je cognois par experience cette condition de nature, qui ne peut soustenir une vehemente premeditation et laborieuse; si elle ne va gayement et librement, elle ne va rien qui vaille. Nous disons d'aucuns ouvrages qu'ils puent à l'huyle et à la lampe pour certaine aspreté et rudesse que le travail imprime en ceux où il a grande part; mais, outre cela, la solicitude de bien faire et cette contention de l'ame trop bandée et trop tendue à son entreprise la rompt et la trouble, comme l'eau qui, par force de se presser de sa violence et abondance, ne peut trouver issuë en un passage ouvert. En cette condition de nature de quoy je parle, il y a quant et quant aussi cela, qu'elle demande à estre non pas esbranlée et piquée par ces passions fortes, comme la colere de Cassius (car ce mouvement seroit trop aspre): elle veut estre non pas secoüée, mais soli

citée; elle veut estre eschaufée et reveillée par les occasions estrangères, presentes et fortuites. Si elle va toute seule, elle ne fait que trainer et languir; l'agitation est sa vie et sa grace. Je ne me tiens pas bien en ma possession et disposition, le hazard y a plus de droict que moy; l'occasion, la compaignie, le branle mesme de ma voix, tire plus de mon esprit que je n'y trouve, lors que je le sonde et employe à part moy. Ainsi les paroles en valent mieux que les escripts, s'il y peut avoir chois où il n'y a point de prís.

CHAPITRE XI.

Des prognostications.

UANT aux oracles, il est certain que bonne piece avant la venue de Jesus-Christ ils avoyent commencé à perdre leur credit, car nous voyons que Cicero se met en peine de trouver la cause de leur defaillance. Mais quant aux autres prognostiques qui se tiroyent de l'anatomie des bestes aux sacrifices, du trepignement des poulets, du vol des oyseaux, des foudres, du tournoiement des rivieres et autres sur lesquels l'ancienneté appuioit la plus part des entreprinses, tant publiques que privées, nostre religion les a abolies. Et encore qu'il reste entre nous quelques moyens de divination és astres, és esprits, és figures du corps, és songes et ailleurs, notable exemple

de la forcenée curiosité de nostre nature, s'amusant à preoccuper les choses futures, comme si elle n'avoit pas assez affaire à digerer les presentes :

...

cur hanc tibi rector Olympi

Sollicitis visum mortalibus addere curam,
Noscant venturas ut dira per omina clades?
Sit subitum quodcunque paras, sit cæca futuri
Mens hominum fati liceat sperare timenti,

si est-ce qu'elle est de beaucoup moindre auctorité. Voylà pourquoy l'exemple de François, marquis de Sallusse, m'a semblé remarcable: car lieutenant du roy François en son armée de là les monts, infiniment favorisé de nostre cour, et obligé au roy du marquisat mesmes qui avoit esté confisqué de son frere, au reste ne se presentant occasion de le faire, son affection mesme y contredisant, se laissa si fort espouvanter (comme il a esté adveré) aux belles prognostications qu'on faisoit lors courir de tous costez à l'advantage de l'empereur Charles cinquiesme et à nostre des-advantage, mesmes en Italie, où ces folles propheties avoyent trouvé tant de place, qu'à Rome fut baillée grande somme d'argent au change pour cette opinion de nostre ruine; qu'aprés s'estre souvent condolu à ses privez des maux qu'il voyoit inevitablement preparez à la couronne de France et aux amis qu'il y avoit, se revolta et changea de party, à son grand dommage pourtant, quelque constellation qu'il y eut. Mais il s'y conduisit en homme combatu de diverses passions: car ayant et villes et forces en sa main, l'armée ennemye soubs Antoine de Leve à trois pas de luy, et nous sans

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