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ment loy de recommencer : noble et genereux exemple de mariage.

Les roys de Perse appelloient leurs femmes à la compaignie de leurs festins; mais quand le vin venoit à les eschaufer en bon escient et qu'il falloit tout à fait lascher la bride à la desbauche, il les r'envoyoient en leur privé, pour ne les faire participantes des excez de leurs appetits desreglez et immoderez, et faisoient venir en leur lieu des femmes ausquelles ils n'eussent point cette obligation et ce respect. Tous plaisirs et toutes gratifications ne sont pas bien emploiées à toutes gens. Epaminondas avoit fait emprisonner un garson desbauché, Pelopidas le pria de le mettre en liberté en sa faveur. Il l'en refusa, et l'accorda à une sienne garse qui aussi l'en pria, disant que c'estoit une gratification deuë à une amie, non à un capitaine. Elius Verus l'empereur respondit à sa femme, sur ce propos, comme elle se plaignoit dequoy il se laissoit aller à l'amitié d'autres femmes, qu'il le faisoit par occasion conscientieuse, d'autant que le mariage estoit un nom d'honneur et dignité, non de folastre et lascive volupté. Il n'est en somme aucune si juste volupté en laquelle l'excez et l'intemperance ne nous soit reprochable.

Mais, à parler en bon escient, est-ce pas un miserable animal que l'homme? A peine est-il en son pouvoir, par sa condition naturelle, de gouter un seul plaisir entier et pur, encore se met-il en peine de le retrancher par discours il n'est pas assez chetif si par art et par estude il n'augmente sa misere,

:

Fortunæ miseras auximus arte vias;

quoy que nos medecins spirituels et corporels, comme par complot fait entre eux, ne trouvent aucune voye à la guerison, ny remede aux maladies du corps et de l'ame, que par le torment, la douleur et la peine. Les veilles, les jeusnes, les haires, les exils lointains et solitaires, les prisons perpetuelles, les verges, et autres afflictions, ont esté introduites pour cela mais en telle condition que ce soyent veritablement afflictions et qu'il y ait de l'aigreur poignante; et qu'il n'en advienne point comme à un Gallio, lequel ayant esté envoyé en exil en l'isle de Lesbos, on fut adverty à Rome qu'il s'y donnoit du bon temps, et que ce que l'on luy avoit enjoint pour peine luy tournoit à commodité; parquoy ils se raviserent de le rappeler prés de sa femme et en sa maison, et luy ordonnerent de s'y tenir, pour accommoder leur chastiement à son ressentiment. Car à qui le jeusne aiguiseroit la santé et l'alegresse, à qui le poisson seroit plus appetissant que la chair, ce ne seroit plus recepte salutaire; non plus qu'en l'autre medecine les drogues n'ont point d'effect à l'endroit de celuy qui les prend avec goust et plaisir. L'amertume et la difficulté sont circonstances servants à leur operation. Le naturel qui accepteroit la rubarbe comme familiere, en corromproit l'usage: il faut que ce soit chose qui blesse nostre estomac pour le guerir; et icy faut la regle commune, que les choses se guerissent par leurs contraires, car le mal y guerit le mal.

Cette impression se raporte aucunement à cette autre si ancienne, de penser gratifier au ciel et à la nature par nostre massacre et homicide, qui fut universellement embrassée en toutes religions. Car en ces nouvelles

terres descouvertes en nostre aage, pures encore et vierges au pris des nostres, l'usage en est aucunement receu par tout: toutes leurs idoles s'abreuvent de sang humain, non sans divers exemples d'horrible cruauté. On les brule vifs, et demy rotis on les retire du brasier pour leur arracher le cœur et les entrailles. A d'autres, voire aux femmes, on les escorche vifves, et de leur peau ainsi sanglante en revest on et masque d'autres. Et non moins d'exemples de constance et resolution: car ces pauvres gens sacrifiables, vieillars, femmes, enfans, vont, quelques jours avant, questant eux mesmes les aumosnes pour l'offrande de leur sacrifice, et se presentent à la boucherie chantans et dançans avec les assistans.

Les ambassadeurs du roy de Mexico, faisant entendre à Fernand Cortez la grandeur de leur maistre, aprés luy avoir dict qu'il avoit trente vassaux, desquels chacun pouvoit assembler cent mille combatans, et qu'il se tenoit en la plus belle et forte ville qui fut soubs le ciel, luy adjousterent qu'il avoit à sacrifier aux Dieux cinquante mille hommes par an. De vray, ils disent qu'il nourrissoit la guerre avec certains grands peuples voisins, non seulement pour l'exercice de la jeunesse du païs, mais principallement pour avoir dequoy fournir à ses sacrifices par des prisonniers de guerre. Ailleurs, en certain bourg, pour la bien venue dudit Cortez, ils sacrifierent cinquante hommes tout à la fois. Je diray encore ce compte aucuns de ces peuples, ayants esté batuz par luy, envoyerent le recognoistre et rechercher d'amitié. Les messagers lui presenterent trois sortes de presens, en cette maniere : « Seigneur, voylà cinq

esclaves. Si tu es un dieu fier, qui te paisses de chair et de sang, mange les, et nous t'en amerrons d'avantage. Si tu es un dieu debonnaire, voylà de l'encens et des plumes. Si tu es homme, prens les oiseaux et les fruicts que voicy.

CHAPITRE XXXI.

Des Cannibales.

UAND le roy Pyrrhus passa en Italie, aprés qu'il eut reconneu l'ordonnance de l'armée que les Romains luy envoyoient au devant, « Je ne sçay, dit-il, quels barbares sont ceux-ci (car les Grecs appelloyent toutes les nations estrangieres barbares), mais la disposition de cette armée que je voy n'est aucunement barbare. » Autant en dirent les Grecs de celle que Flaminius fit passer en leur païs. Voylà comment il se faut garder de s'atacher aux opinions vulgaires, et faut juger les choses par la voye de la raison, non de la voix commune.

J'ay eu longtemps avec moy un homme qui avoit demeuré dix ou douze ans en cest autre monde qui a esté descouvert en nostre siecle, en l'endroit où Vilegaignon print terre, qu'il surnomma la France antartique. Cette descouverte d'un païs infini de terre ferme semble de grande consideration. Je ne sçay si je me

puis respondre que il ne s'en face à l'advenir quelqu'autre, tant de grans personnages ayans esté trompez en cette-cy. J'ay peur que nous avons les yeux plus grands que le ventre, comme on dict, et le dit on de ceux, ausquels l'appetit et la faim font plus desirer de viande qu'ils n'en peuvent empocher. Je crains aussi que nous avons beaucoup plus de curiosité que nous n'avons de capacitez: nous embrassons tout, mais je crains que nous n'etreignons rien que du vent.

Platon introduit Solon racontant avoir apris de prestres de la ville de Saïs en Egypte, que jadis et avant le deluge il y avoit une grande isle, nommée Athlantide, droict à la bouche du destroit de Gibaltar, qui tenoit plus de païs que l'Afrique et l'Asie toutes deux ensemble, et que les roys de cette contrée là, qui ne possedoient pas seulement cette isle, mais s'estoyent estendus dans la terre ferme si avant, qu'ils tenoyent de la largeur d'Afrique jusques en Ægypte, et de la longueur de l'Europe jusques en la Toscane, entreprindrent d'enjamber jusques sur l'Asie, et subjuguer toutes les nations qui bordent la mer Mediterranée jusques au golfe de la mer Majour; et pour cet effect traverserent les Espaignes, la Gaule, l'Italie, jusques en la Grece, où les Atheniens les soustindrent: mais que quelques temps aprés, et les Atheniens et eux et leur isle furent engloutis par le deluge. Il est bien vray-semblable que cet extreme ravage d'eaux ait faict des changemens estranges aux habitations de la terre, comme on tient que la mer a retranché la Sycile d'avec l'Italie :

Hæc loca vi quondam et vasta convulsa ruina

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