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cours. Qu'il ne vous suffise pas de pouvoir leur donner un titre : cherchez à les traduire en une proposition ; et défiez-vous de votre œuvre quand vous ne le pouvez pas (1). Reinhard aurait-il jamais pu réduire à une proposition le sermon qu'il a intitulé: Über die Freudigkeit des Glaubens (Sur la joie de la foi)? En voici le contenu :

1. Conditions de cette joie:

a) Sérieux; b) docilité; c) impartialité.

2. Fondements de cette joie:

a) L'Écriture; b) l'excellence de l'Évangile, c) l'expérience.

3. Effets de cette joie :

a) Fermeté; b) confession franche; c) zèle à propager l'Évangile.

4. Prix de cette joie :

a) Certitude qu'elle donne; b) courage dans le malheur; c) espérance bienheureuse.

Si l'on invoque en faveur d'un tel discours le caractère didactique de l'éloquence de la chaire, la conséquence sera de découper en chapitres l'étoffe de la morale et de la théologie; or, nous ne croyons pas qu'un sermon soit un chapitre; dans tous les cas, le chapitre est trop long, j'entends intellectuellement. C'est là un défaut dans lequel il est facile de tomber quand on se permet un titre tel que celui que Reinhard a donné à son discours.

(1) Théremin, sur Hébreux, XII, 11, fait un sermon qu'il n'intitule pas. Die Leiden (les souffrances), — mais: Alles Leiden ist Strafe. (Toute souffrance est un châtiment.)

Même dans l'autre cas, celui où le sermon a pour titre une proposition, le sujet peut-il se trouver trop étendu? En soi-même, non. Il peut y avoir des sujets trop particuliers; nous ne pensons pas qu'il y en ait de trop étendus. L'étendue n'est pas la multiplicité; elle n'exclut donc pas l'unité, laquelle peut aussi bien manquer dans un discours sur un sujet très particulier que dans un discours sur un sujet très général. Tout dépend de l'exécution. Il est légitime et utile de présenter quelquefois à un auditoire un sujet très vaste; mais alors il ne faut pas y faire entrer toutes les idées qu'on pourrait faire entrer dans chacune des parties prise à part, et formant un sermon entier. Il y a, il est vrai, des auditoires très forts; et peut-être un orateur très fort peut faire écouter jusqu'au bout un sermon qui en vaut deux, sans manquer toutefois à la règle de l'unité (1). [Dans les premiers temps, les sujets particuliers sont plus utiles: ils obligent à creuser, à chercher les idées qui, dans les sujets vastes, se présentent d'elles-mêmes en foule. A cet égard il faut étudier avec quelque précaution les grands modèles du dix-septième siècle. Leur majesté, qui nous impose, provient en partie de l'étendue des sujets qu'ils traitent. Cependant Bourdaloue fut très populaire pendant trentequatre ans que dura sa carrière de prédicateur, parce que, dans ses vastes sermons, il observait les règles que nous avons rappelées. Mais] en général, on doit préférer un petit nombre d'idées approfondies ou bien mises en lumière à un grand nombre d'idées effleurées. (1) BOURDALOUE, sur la Passion.

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[Ajoutons, en terminant, pour résumer nos remarques complémentaires, qu'il y a deux critères de l'unité l'un logique, qui consiste à réduire tout le discours à une seule proposition; l'autre psychologique, ou de sentiment, qui consiste à interroger sa propre impression et celle de l'auditoire sur cette double question La carrière est-elle fournie? La limite est-elle dépassée? L'âme et la vie savent, encore mieux que

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l'esprit, ce que c'est que l'unité du sujet.

CHAPITRE II.

INTÉRÊT DU SUJET.

On pensera peut-être que ce chapitre devait être le premier; mais ce n'est pas notre avis. Avant de chercher en quoi consiste l'intérêt d'un sujet de prédication, il fallait prouver que le discours de la chaire doit avoir un sujet.

Que la prédication ne doive traiter que des sujets intéressants, cela n'a pas besoin de preuve; mais qu'est-ce, au point de vue de la prédication, qu'un sujet intéressant? Voilà la question.

L'intérêt, mot subjectif et objectif, est, dans le second sens, la propriété qu'a un objet d'attirer vers lui notre pensée et notre âme, en sorte qu'une partie plus ou moins considérable de notre bonheur en dépende. L'étymologie (inter esse), comme à l'ordinaire, définit le mot. [Au sens subjectif, l'intérêt consiste dans une identification, plus ou moins profonde et durable, avec un objet hors de nous.]

[L'intérêt didactique se manifeste quand notre pensée ou notre raison sent une convenance entre elle et l'objet qu'on lui propose.] L'intérêt oratoire pur se manifeste dans le sentiment de l'importance que nous voyons, pour nous, à prendre telle ou telle détermination proposée. Là où il n'y en a point à prendre, l'intérêt oratoire manque.

Mais quand nous demandons qu'un sermon soit intéressant, nous disons peu de chose ou beaucoup. Veuillez remarquer (car cette observation nous rapprochera de notre but) que l'intérêt n'est pas, aux yeux des artistes, le principal objet et le triomphe de l'art; ils tendent à émouvoir les parties de notre être qu'on peut, par comparaison, appeler désintéressées; ils aspirent à une région plus haute que celles où se meuvent nos affections ordinaires. C'est bien encore de l'intérêt, mais ce n'est pas ce qu'on appelle vulgairement de ce nom.

L'artiste, en ceci, est guidé, sinon par une intention sainte, du moins par un instinct supérieur, et c'est en cela même que réside la dignité de l'art. Mais s'il s'adresse à la faculté contemplative, le prédicateur s'adresse à une faculté encore supérieure, celle que saint Paul appelle l'esprit, par laquelle nous tendons vers les choses invisibles et célestes, à ce meilleur moi dont parle encore saint Paul, qui, dans le péché même, se sent distinct, se sépare de l'autre moi et le désavoue. C'est donc un auditeur idéal que le prédicateur veut intéresser; mais il faut d'abord qu'il l'évoque, qu'il le crée, pour ainsi dire. Le poëte n'a pas cet embarras:

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