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parmi tous les travaux du ministère. «Que les pasteurs qui s'acquittent bien de leurs fonctions soient jugés dignes d'un double honneur, principalement ceux >> (il y avait donc des pasteurs dont l'office n'était pas de parler) « qui travaillent à la prédication de la pa« role et à l'instruction. » (1 Tim., V, 17; cf. 1 Cor. XIV, 1-5.)

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La parole est le grand moyen du pasteur. Elle se fait diverse selon ses différents emplois; elle rompt le pain de vie, tantôt en plus petits, tantôt en plus grands morceaux; elle l'émiette, s'il le faut.

Le ministre parle des hommes à Dieu, c'est la prière; et de Dieu aux hommes, c'est la prédication. La dernière de ces paroles doit seule nous occuper ici.

Il prêche aux individus, à la communauté dispersée, à la communauté rassemblée en un même lieu. Nous ne voulons parler que de cette dernière espèce de prédication.

Il faut prêcher à la communauté rassemblée pour atteindre ceux qu'on n'atteindrait pas autrement, pour préparer dans le temple l'Église invisible qu'aucun temple ne peut contenir, et qui n'est à son état de pureté dans aucun, enfin pour donner à la parole tous les caractères et toute l'efficacité dont elle est susceptible. On pourrait s'adresser par écrit à la communauté; mais la parole écrite ne saurait tenir lieu de l'autre et la rendre superflue.

Cette prédominance de la parole dans le culte chrétien lui imprime un caractère à part. Elle donne une réalité à la notion d'Église. Il n'y a pas d'Église maho

métane, ni brahminique; et certes, il n'y avait pas d'Église dans la religion d'Homère. Chez les Juifs, l'enseignement était séparé du culte (on dit le peuple juif plutôt que l'Église juive); s'il y avait une Église juive, c'était l'enseignement qui la formait, non le culte, et cette Église n'avait pas de centre. Ce n'est que chez les chrétiens que le culte et l'enseignement, coordonnés l'un à l'autre, interprétés l'un par l'autre, forment un tout.

[Chez les catholiques, la prédication prend peu de place; chez nous, au contraire, elle est presque tout. Le temple, sauf certains moments du culte et quelques jours de l'année, est un auditoire. Il n'a, ce semble, d'autre but que de réunir des auditeurs autour d'un homme qui leur parle. Aussi dit-on du catholique qu'il va à la messe, et du protestant qu'il va au sermon. On signale ainsi, sans y songer, la prédominance peutêtre trop exclusive de la prédication dans le culte protestant.] Entre autres inconvénients, ce système a celui d'attribuer trop à l'individu.

[Ceci ne détruit pas ce que nous avons dit de la transmission de la vérité d'un individu à l'autre. Cependant n'est-il pas possible que l'habitude de n'aller au temple que pour entendre le discours, et la réduction de tout le reste à peu de chose, ait pour effet de ne faire voir qu'une personne et qu'un moment, le prédicateur et la prédication? Et n'importerait-il pas que l'efficacité du culte fût plus indépendante de la personne du prédicateur (1)? ]

(1) Voyez Théologie pastorale, pages 7-10.

Quoi qu'il en soit, dans les deux cultes qui nous suggèrent ces réflexions, la parole est d'une haute importance. Un ministre, dans l'un comme dans l'autre, est essentiellement un homme qui parle la parole de Dieu. Or, la parole de prédication, qui est une parole de réconciliation et de sanctification « selon les oracles << de Dieu » (1 Pierre, IV, 11), peut-elle être l'objet d'un art?

Il est certain que l'éloquence est une; qu'on n'est pas éloquent dans la chaire à d'autres conditions qu'à la tribune ou au barreau ; il n'y a pas plus deux rhétoriques qu'il n'y a deux logiques; mais la nature du discours ecclésiastique apporte des différences, ajoute des règles, qui constituent, sous le nom d'homilétique, un art particulier.

Voyons ce que la rhétorique et l'homilétique ont de commun; nous verrons ensuite ce que l'homilétique a de spécial.

La rhétorique est le genre, l'homilétique est l'espèce.

La matière de la rhétorique correspond à l'objet de l'éloquence publique.

Qu'est-ce que l'éloquence en général ?

La Bruyère nous répond: « C'est un don de l'âme « qui nous rend maîtres du cœur et de l'esprit des <«< autres; qui fait que nous leur inspirons ou que << nous leur persuadons tout ce qu'il nous plaît (1). » Je dirais C'est le don de se rendre maître par le

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(1) La Bruyère, Les Caractères, Chap. I. Des ouvrages de l'esprit.

langage; car un geste, un regard peuvent être éloquents. Il s'agit même encore d'un discours suivi, non d'un mot seulement. La Bruyère nous indique la source et l'effet de l'éloquence plutôt que sa nature; mais il reste de sa définition quelque chose d'important : l'éloquence est un don, et un don de l'âme. [C'est le don de penser et de sentir avec les autres ce qu'ils pensent et sentent, et d'y assortir les paroles et le mouvement de son discours, de parler la pensée d'autrui. L'éloquence repose sur la sympathie. Jamais on n'est éloquent qu'à condition de parler ou d'écrire sous la dictée de ceux à qui l'on s'adresse; ce sont les auditeurs qui nous inspirent, et si cette condition n'est pas remplie, on peut être profond et agréable, mais on ne sera pas éloquent. Pour être éloquent, il faut sentir le besoin de communiquer sa vie aux autres et comprendre intimement quelles sont les cordes qu'il faut faire vibrer en eux.]

Pascal, entrant plus avant [que La Bruyère] dans le secret de l'éloquence, dit : « L'éloquence consiste << dans une correspondance qu'on tâche d'établir entre

l'esprit et le cœur de ceux à qui l'on parle, d'un côté, et de l'autre, les pensées et les expressions dont « on se sert; ce qui suppose qu'on aura bien étudié « le cœur de l'homme pour en savoir tous les ressorts, « et pour trouver ensuite les justes proportions du dis« cours qu'on veut y assortir. Il faut se mettre à la << place de ceux qui doivent nous entendre, et faire es<< sai sur son propre cœur du tour qu'on donne à son « discours, pour voir si l'un est fait pour l'autre, et si

« l'on peut s'assurer que l'auditeur sera comme forcé « de se rendre (1). »

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Ce qui se présentait chez La Bruyère comme un don, se présente chez Pascal comme une méthode. Mais c'est à la fois un don et une méthode. Et sous l'un et l'autre point de vue, la même idée se rencontre : pénétration vive et intime de l'âme de l'auditeur par celle de l'orateur. Nous trouvons encore un autre élément : celui de la persuasion, qui est la direction de l'âme et de la volonté dans un sens déterminé. L'éloquence, dans le sens de La Bruyère et de Pascal, est une action de la vie réelle, un effort contre une résistance, une compulsion (2), on pourrait dire un drame où un seul personnage paraît, mais où il y en a deux, et qui a son nœud, ses péripéties et son dénoûment. Le dénoûment peut, selon les cas, être une détermination, un acte volontaire de celui à qui l'on parle ; dans d'autres, un sentiment, qui est aussi un acte, et, au point de vue de la philosophie et de la religion, l'acte par excellence.

Ainsi, sans refuser le titre d'éloquent à tout langage propre à porter la lumière et la conviction dans les esprits, nous le donnons plus particulièrement à ce qui a pour but et pour effet de diriger la volonté d'un certain côté ou vers un certain acte immédiat ou éventuel.

Mais n'y aura-t-il que du subjectif, n'y aura-t-il rien d'objectif dans la notion d'éloquence? C'est, selon Pascal et selon La Bruyère, une puissance indifférente, qui

(1) PASCAL, Pensées, Partie II, Art. XVII, § CV. (2) Compelle intrare.

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