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nombreux. [Qu'on se garde bien, en vue du nombre, de rendre le style périodique, lorsque cette forme ne serait pas en son lieu.] Le style périodique n'a pas été suggéré par l'oreille seule, et ne s'y rapporte pas d'abord. Il se plaît à rassembler autour d'une même pensée, ainsi qu'autour d'un tronc, un certain nombre de pensées, qui, s'épanouissant d'elles-mêmes, forment audessus de l'idée principale comme une cime touffue. Ce style fait naître une idée de calme, de puissance et de dignité; aussi la période est-elle propre au style admiratif et solennel. Mais ce n'est pas un genre à cultiver comme un peintre cultive, selon la nature de son talent, le paysage ou le portrait ; c'est une forme que le style doit prendre selon le mouvement de la pensée, et il faut prendre garde de s'empétrer dans les longues phrases; on n'en sort plus.

J'en dis autant du style coupé. Il ne faut se faire une habitude ni de l'un ni de l'autre: [Le style coupé a de la précision et de la vivacité; quelquefois il respire l'autorité, et à sa place il va bien. Le style périodique a de la pompe, de la grandeur. Il est sonore; mais il peut ralentir l'élan de la pensée, et il est peu favorable aux mouvements du cœur. Il faut donc entremêler ces deux formes de style et alterner entre elles.] Bossuet, préférable à Fléchier, [est, ici encore, un excellent modèle, bien digne d'être étudié] : reconnaissable presque à chaque ligne, il est pourtant toujours différent de luimême. [Mais, pour le mélange heureux du style coupé et du style périodique, Massillon surtout est très parfait.]

APPENDICE.

DISCOURS PRONONCÉ PAR M. VINET, A SON INSTALLATION COMME PROFESSEUR DE THÉOLOGIE PRATIQUE DANS L'ACADÉMIE DE LAUSANNE, LE 1 NOVEMBRE 1837.

er

Monsieur le conseiller d'État, Monsieur le vice-président et Messieurs les membres du Conseil de l'Instruction publique, Monsieur le recteur et Messieurs les membres de l'Académie, Messieurs les régents et instituteurs du Collége académique, Messieurs les étudiants de cette Académie, Honorés auditeurs de tout ordre,

Les discours que nous venons d'entendre (1) suffisent à l'ornement de cette solennité, et à tempérer ce qu'elle a nécessairement de redoutable pour moi; ils ont satisfait vos esprits et restauré mon cœur ; et si cette cérémonie n'avait point d'autre objet, rien n'empêcherait de la clore à ce moment même; mais la loi qui m'impose l'obligation fâcheuse de succéder à deux orateurs bien dignes de fixer et de retenir toute votre attention, cette loi, sans doute, a sa raison, et ne sa

(1) Allusion aux discours de M. Jaquet, président du Conseil d'État, qui présiait la séance, et à celui de M. J.-J. Porchat, recteur de l'Académie.

tisfait pas à une simple convenance. L'homme chargé d'un enseignement dans notre académie n'exercera pas devant le public ses importantes fonctions; néanmoins il est responsable au public; il lui appartient; il est son homme; et, comme tel, il est juste qu'au moins une fois, à son entrée en charge, il comparaisse devant ce public, pour faire honneur à ses garants, je veux dire à ceux qui l'ont nommé, à ces premiers délégués du public, qui l'ont délégué lui-même, et l'ont imposé au public. Il est juste, au moins, qu'à leurs périls et aux siens, il se fasse connaître. Il est juste surtout, quand il s'agit d'une mission grave, que tout le monde puisse savoir dans quel esprit elle sera remplie. C'est de ce dernier point de vue que j'envisage l'obligation qui m'est imposée aujourd'hui. Même involontairement je la remplirai, cette obligation, par cela seul que je parlerai. Intéressé, avant tout, à bien établir, dès l'entrée, ce que je pense et ce que je suis, et, quand je verrais ailleurs mon intérêt, ignorant, en qualité de nouveau-venu, ce qu'il faut dire, ce qu'il faut déguiser, ce qu'il faut taire, quelque sujet que je traite, je paraîtrai moi-même au travers, avec ce que je puis avoir de mauvais ou de bon; et comme un silence affecté me trahirait encore mieux que mes paroles, j'aborderai sans détour les questions qui se rapportent directement à la tâche qui m'est confiée. Veuille seulement celui dont la bonne providence me fait aujourd'hui de la franchise une nécessité de position et de bon sens, ajouter, dans mes paroles, à la franchise la vérité, afin que, si je parle, je parle selon

les oracles de Dieu, et que mes discours communiquent la grâce à ceux qui les entendront!

Appelé désormais à diriger mes pensées sur la prédication, ce levier principal du ministère évangélique, je n'ai pu l'envisager dans un sens purement abstrait; elle n'a pu se présenter à moi comme un art seulement, dont j'aurais à rechercher les principes et à tracer la théorie, mais comme un fait actuel à la direction duquel j'allais être appelé à concourir, comme une œuvre chrétienne à laquelle je venais m'associer; je ne pouvais m'empêcher de la placer, par la pensée, au point de vue d'un certain temps, qui est le nôtre, et d'un certain lieu, qui est notre pays; et, dès l'entrée, une double question réclamait de mon esprit une solution précise: En quoi les circonstances du temps et celles du lieu ont-elles modifié la prédication? et que peut à son tour la prédication sur ce même état qui l'a modifiée?

Je pouvais me poser cette question avant tout examen des faits; car ni l'action, ni la réaction ne m'étaient douteuses: je n'en pouvais ignorer que la nature. Chaque époque a ses caractères plus ou moins saillants; et s'il n'est pas jusqu'aux existences privées, jusqu'à la vie individuelle, et même à la vie intérieure, qui n'en ressentent l'influence, combien moins y pourrait échapper un fait public comme celui de la prédication, surtout en un pays où la religion est une des affaires, et, en quelque sorte, une des propriétés de l'État? Il est vrai que la religion, ne relevant d'aucun fait humain, et prétendant par sa nature à les dominer tous,

son principe semble la soustraire à cette mystérieuse attraction qui entraîne toutes les choses d'une époque dans l'orbite d'une idée ou d'une passion; mais la religion, dans l'homme, devient humaine; il la transporte dans sa propre sphère, se servant, pour la tirer à soi, de la chaîne qui le retient à elle; inaltérable en elle-même, la religion voit s'altérer plus ou moins, dans l'atmosphère des passions humaines, ses institutions et ses caractères; un peu de la poussière de ce monde s'attache à ses pieds augustes; en un mot, tout ce qui vient de la religion, tout ce qui se rattache à la religion, et la prédication surtout, qui en est la représentation la plus vive, reçoit inévitablement l'empreinte des temps et celle des lieux.

Toute époque a ses caractères; mais toutes n'ont pas pour sceau, pour nom propre, un fait puissant, qui frappe les yeux les moins attentifs; un fait qui, se matérialisant dans ses conséquences, devient, par ses dehors, familier à tous, et reçoit de tous une appellation populaire; un fait, en un mot, qui peut bien être jugé diversement, mais que nul ne songe à nier. Une telle empreinte ne manque pas à notre époque; et le fait qui la caractérise, entre plusieurs, est celui qu'on est convenu d'appeler le mouvement religieux.

Le nom même de ce fait paraît devoir l'exclure du nombre de ceux dont j'ai parlé plus haut. Il est religieux, et son influence sur la religion peut sembler une évolution spontanée de la religion même. Il n'en est pas ainsi toutefois. Un fait religieux n'est pas la religion. Consommé par l'intermédiaire des hommes,

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