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loquence non oratoire; l'éloquence de la narration comme celle du raisonnement; l'éloquence dans les genres les plus divers, afin d'en avoir l'idée la plus générale, la plus pure, la moins conventionnelle; → non-seulement l'éloquence toute faite, mais ce dont se fait l'éloquence. L'éloquence toute faite pourrait bien mettre la vôtre à la porte.

PREMIÈRE PARTIE.

INVENTION.

La division d'un cours sur l'art oratoire est immémoriale et inévitable: Invention, disposition, élocution.

A vrai dire, l'invention se répand sur tout le champ de la rhétorique; on invente son plan, on invente son langage: la même faculté s'applique à tout; c'est tout le talent, c'est tout l'art.

Mais si l'on considère ici, non la faculté, dont l'action n'est point limitée, mais l'objet, qui est spécial, on trouvera une différence et une distinction raisonnable entre ces trois choses: la matière ou le fond (qu'il faut inventer), l'ordre (qu'il faut inventer), le style enfin (qu'il faut inventer): division qui correspond à l'ancienne, et la remplacerait peut-être avantageusement dans notre sujet (1).

Toutefois nous maintenons les termes, en prévenant que sous le nom d'invention nous n'entendons que l'invention des idées, ou de la matière, dont il s'agira

(1) PASCAL, Pensées, Édition Faugère. Tome I, page 254, § XXIV.

ensuite d'inventer la disposition, d'inventer l'expression.

Invention se prend donc ici au sens relatif (invention de la matière du discours); car, au sens absolu, elle se présente à tous les moments de l'art. Il est vrai pourtant que l'invention des idées premières du discours est l'invention par excellence.

Il est difficile de rendre compte de l'invention, prise comme ressort actif, comme puissance de l'esprit. A quelque moment de l'art qu'on la place, l'invention, dans son principe, est un mystère. Le talent peut se rendre compte de ses méthodes, non de lui-même. Le développement du germe est humain, le germe est divin. Dire que l'invention n'est pas une chose sui generis, ce serait dire que l'imagination n'est pas une faculté à part, une force primitive. Et si l'on voulait absolument n'y voir qu'une méthode, encore faudraitil avouer que cette méthode est innée à certains esprits, que cette méthode est un talent: cette méthode instinctive, divinatrice, est peut-être le talent même. L'invention est une sorte de baguette divinatoire (1). Il est impossible de nous la donner absolument; il est même impossible, quand on a de l'invention dans un certain genre, de se la donner dans un autre on peut être inventif en philosophie sans être capable d'inventer la plus simple histoire. Au reste,

(1) « Le commun des écrivains passe et repasse mille fois sur des mines d'or sans «<en soupçonner l'existence. Le génie seul a l'instinct qui avertit que la mine est << riche, comme il a seul la force de la creuser jusque dans ses entrailles et d'en « arracher des trésors. » (MARMONTEL.)

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l'invention est un élément de tout esprit; mais les esprits sont, à cet égard, très inégaux et très différents. Où il n'y a rien, l'art perd ses droits; mais il ne les perd jamais, car il y a partout quelque chose. Nul ne peut tout, mais nul aussi ne fait tout ce qu'il peut. Pour connaître son fonds, il faut le faire valoir. Un esprit inventeur peut le devenir davantage par l'emploi de certains moyens qui ne sont pas le talent, et un esprit en qui l'invention est faible, mais non pas nulle, peut, par l'emploi des mêmes moyens, développer en soi cette force. Les moyens de faire valoir et de développer ce que nous avons d'invention sont les suivants: 1o La connaissance. Plus on sait, plus on est en état d'inventer; un esprit original ne perd pas, mais gagne en originalité par le savoir (1). Le commerce mutuel des esprits, de la pensée avec la pensée, n'est pas hostile à l'individualité : dans cette sphère encore, il n'est pas bon que l'homme soit seul. Tout savoir ne profite pas à l'originalité; mais un esprit original a une érudition originale; la science, élément tout objectif à ce qu'il semble, devient en lui un élément subjectif. Quoi qu'il en soit, il n'est donné à aucun homme de tirer quelque chose de rien; il faut à l'imagination la plus heureuse un point de départ ou un point d'appui. Le talent est le levier, mais seulement le levier. «L'es« prit humain ne peut rien créer; il ne produira qu'après avoir été fécondé par l'expérience (de soi ou

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(1) « Il éprouva (Pétrarque) que connaître sert beaucoup pour inventer, et son ‹génie fut d'autant plus original, que, semblable aux forces éternelles, il sut être présent à tous les temps. » (MADAME DE STAEL, Corinne. Liv. II, chap. III.)

<< d'autrui) et par la méditation. Ses connaissances sont « les germes de ses productions. >>

2o Le second moyen est la méditation, espèce d'incubation qui réchauffe et féconde le germe. C'est la concentration de la pensée et même de la vie sur un point, avec lequel nous cherchons à nous identifier. La méditation est aidée par l'analyse ; mais la méditation n'est pas l'analyse. Si nous ne sommes pas dans l'erreur sur l'étymologie de ce mot, la méditation nous transporte et nous place dans le milieu de l'objet. On cherche à en avoir, non la simple idée ou la formule, mais le sentiment, la perception immédiate. Il y a là encore une analyse, une logique, mais qui est plutôt celle de l'objet que celle du sujet, plutôt celle du sentiment que celle de la pensée: c'est une impression continuée et approfondie de la chose, une sorte de consubstantiation. Cela suppose une force, une aptitude propre, mais comme la volonté y est pour beaucoup, nous rangeons la méditation au nombre des moyens de l'invention; nous n'en faisons pas le principe de l'invention. -La méditation est au talent ce que la conscience est au sens moral.

3o L'analyse, qui n'est pas la même chose que la méditation, s'efforce de remonter à l'idée première de l'objet comme à un sommet, d'où l'on domine toutes les pentes, et d'où l'on voit, à mesure qu'on est plus haut, les limites de l'horizon reculer. Elle gravit sans cesse vers un principe plus simple et plus haut, rencontrant, à mesure qu'elle monte, toujours moins d'éléments contingents ou accidentels. Quand elle est guidée par

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