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CHAPITRE III.

DÉCLARATION DU DESSEIN ET ÉNONCÉ DU PLAN.

[Après avoir fondé l'utilité de l'exorde sur le besoin de préparer les esprits et de les disposer favorablement pour le sujet spécial qu'on a en vue, il est oiseux de prouver que le sujet doit être annoncé. Disons seulement qu'il doit l'être d'une manière précise, en sorte que l'esprit se dirige tout de suite et sans hésiter vers un point déterminé. On ne saurait, dans cet énoncé du sujet, faire usage d'un langage trop clair et de termes trop propres. Ce moment du discours n'admet ni périphrases, ni figures. Il faut en outre se réduire à un petit nombre de mots sévèrement choisis.

[Faut-il de plus énoncer le plan du discours? Ici les avis sont partagés. Quelques-uns ont été d'avis de ne pas même annoncer la division générale.

[ « Il faut un ordre, dit Fénelon, mais un ordre qui ne « soit point promis et découvert dès le commencement « du discours. Cicéron dit que le meilleur, presque toujours, est de le cacher et d'y mener l'auditeur

<«< sans qu'il s'en aperçoive. Il dit même en termes for

mels, car je m'en souviens, qu'il doit cacher jusqu'au << nombre de ses preuves, en sorte qu'on ne puisse les <«< compter, quoiqu'elles soient distinctes par elles«< mêmes, et qu'il ne doit point y avoir de division du << discours clairement marquée. Mais la grossièreté des << derniers temps est allée jusqu'à ne point connaître « l'ordre d'un discours, à moins que celui qui le fait << n'en avertisse dès le commencement, et qu'il ne « s'arrête à chaque point (1). »

[<< Les harangues de ces grands hommes (Démos«<thène et Cicéron), dit le même auteur, ne sont pas << divisées comme les sermons d'à présent... Les Pères « de l'Église n'ont point connu cette règle... Les pré«dications ont été encore longtemps après sans être << divisées, et c'est une invention très moderne qui «< nous vient de la scolastique (2). »

[Gaichiès, sans être aussi absolu, incline vers la même opinion. « Le prédicateur, dit-il, ne pourrait-il << pas quelquefois s'affranchir de la servitude des divi<«<sions? Faut-il qu'il promette toujours tout ce qu'il << veut donner? Les Pères ne s'y sont pas assujettis. << Ils proposaient leurs sujets et conduisaient leurs <«< discours jusqu'à la fin, sans en distinguer les par<< ties (3). >>

[Mais la plupart des maîtres, dont plusieurs sont aussi des modèles et avaient pour eux l'expérience,

(1) FENELON, Dialogues sur l'Éloquence, deuxième dialogue.

(2) Ibid.

(3) GAICHIÈS, Maximes sur le ministère de la chaire, liv. Il, chap. V.

penchent, ou même se prononcent formellement pour le procédé contraire; ils n'admettent que comme exception ce dont Fénelon ferait volontiers la règle.

[Hüffell, partant du fait, selon lui bien général et bien constaté, que la moitié des auditeurs, surtout à la campagne, se trompent sur le sujet même du discours entendu, et n'en remportent que des points de vue accidentels et particuliers, insiste sur un procédé qui a pour effet de les retenir dès l'entrée dans une certaine ligne, de leur faire prévoir de partie en partie ce qui doit suivre, et de les empêcher de prendre les chemins de traverse pour la grande route (1).

[Théremin s'exprime ainsi : « On peut, à la fin de «<l'exorde, annoncer les deux ou les trois parties qui << renferment tout le développement du sujet; car pour« quoi ne pas profiter de cette occasion comme de <«< toute autre, de venir au secours de l'attention de <«l'auditeur, et de lui faciliter la conception de l'en«semble? Si son attention est appelée à de trop grands efforts, ou bien elle se relâche tout à fait, ou bien il « n'y a d'effet que sur l'intelligence et non sur la volonté, ce qui est aussi fâcheux que si aucun effet « n'avait été produit. - Si cet usage n'est pas observé « par les anciens, s'ils n'annoncent pas, en général, << la division de leur discours, cela peut provenir de << deux causes. D'abord, leur marche leur était plus ou « moins prescrite par l'occasion même de leur discours, <«< circonstance qui n'existe guère pour l'orateur de la

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(1) HUFFELL, Über das Wesen und den Beruf des evangelisch-christlichen Geistlichen, tome I, page 294.

<«< chaire; et comme cette marche était à peu près la << même dans toutes les causes, il semblait inutile de <«< l'annoncer. En second lieu, et cette raison me pa«<raît capitale, une telle déclaration du plan que l'ora «<teur se proposait de suivre, aurait trahi une étude «<et une préparation, dont ils évitaient l'apparence <«< avec autant de soin qu'ils en mettaient à se donner << l'apparence de l'improvisation; car ils avaient à faire « à un public soupçonneux, qui n'aurait attribué une

préparation de ce genre qu'à l'intention de le trom«per. Il en est autrement de l'orateur chrétien, qui << peut toujours laisser pénétrer son loyal dessein, de << la découverte duquel il ne peut rien résulter dans « l'esprit de l'auditeur que l'attente d'une instruction « d'autant plus approfondie. L'orateur de la chaire «< peut néanmoins, dans certains cas, avoir ses raisons «< de taire son plan; qu'il le taise alors librement; car << sans doute il est toujours nécessaire de disposer ses «< pensées de la manière la plus lumineuse et la plus «< convenable au but, mais il n'est pas toujours néces<< saire d'annoncer comment on les a disposées (1). »]

Écoutons Ammon: « Après l'exorde vient l'énoncé « de la proposition et de ses principales parties. C'est « ce qu'on appelle la partition. Cette règle souffre « quelque restriction dans les sermons analytiques.... << Mais dans les sermons synthétiques on ne devrait « point s'en écarter: d'abord, parce que la partition « détermine le point de vue d'où l'orateur se propose

(1) THEREMIN, Die Beredsamkeit eine Tugend, page 78.

« d'envisager la proposition; ensuite, parce que c'est « la meilleure manière de constater la justesse de sa << division; enfin, parce que, à la faveur de la partition, <«<l'auditeur, en possession d'une vue d'ensemble, suit plus facilement le développement des idées, et re<< trouve plus vite le fil du discours lorsqu'un moment << de distraction le lui a fait perdre. L'orateur qui « énonce avec clarté et précision le thème de son dis<«<cours; qui, en tête de chacune des parties, énonce << encore les propositions secondaires qu'il veut en « faire sortir; qui, ensuite, les développe avec soin et « les accentue avec justesse; cet orateur est sûr d'être parfaitement clair pour son auditoire, sans numéroter, « comme le font quelques-uns, chacune des sections de <«< son discours (1). »

Nous essayerons de résumer la discussion en la complétant par quelques considérations qui ne se trouvent pas indiquées dans les passages que nous avons cités.

On allègue en faveur de la partition : 1° que l'attention et l'intérêt de l'auditeur sont plus vivement excités que par le simple énoncé du sujet (la partition en est le complément; le plan est quelquefois le vrai sujet); -2° qu'il lui est moins facile de se méprendre sur le sujet ou d'hésiter entre l'idée principale et les idées accidentelles ou de simple développement; 3° qu'elle aide l'auditeur à suivre la marche du discours et à retrouver son chemin, si un moment de distraction l'en a écarté; -4° que'elle prête secours à sa mémoire,

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(1) AMMON, Handbuch der Einleitung zur Kanzelberedsamkeit, page 278.

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