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DE LA DISPOSITION AU POINT DE VUE ORATOIRE.

suivent dans l'ordre de leur importance; mais ce progrès ne saurait être comparé à celui d'un discours où, au lieu de deux ou trois parties latérales, tout est successif; où il n'y a pas, en quelque sorte, deux ou trois discours, mais un seul, une seule suite d'idées, dont la première engendre la seconde, celle-ci la troisième, et ainsi de suite jusqu'à la fin, en sorte que les dernières pages sont fortes de la force de tout ce qui précède, et que tout le discours pèse sur le dernier paragraphe. C'est la chute accélérée des corps graves; c'est, au lieu d'une progression arithmétique, une progression géométrique.

CHAPITRE II.

DE L'EXORDE.

On ne trouve chez les prédicateurs exercés que peu d'exemples d'exordes absolument défectueux; on en trouve peu de bons chez les prédicateurs qui commencent. Il est naturel d'en conclure que cette partie du discours a quelque chose de plus délicat que les autres, mais rien qui réclame des facultés particulières. Il en est de l'exorde comme de ces opérations fines et précises de la mécanique, dans lesquelles tout ouvrier finit par réussir, mais après avoir brisé plus d'une fois les instruments qu'on y emploie. On en pourra juger par ce que nous avons à dire du but et de la nature de l'exorde.

L'exorde est-il nécessaire, naturel? Ou bien est-ce un ornement factice et de convention?

Je remarque que la nature nous enseigne elle-même l'art des préparations et des gradations. Nous les aimons en tout, et nous y attachons l'idée de beauté. [L'absence du crépuscule et de l'aurore

ôterait à la

beauté des cieux.]— Sic omnia quæ fiunt, quæque aguntur acerrime, lenioribus principiis natura ipsa prætexuit (1).

Je remarque, en second lieu, que personne ne commence ex abrupto, étant libre de faire autrement, même dans la conversation accidentelle. Si l'on commence ex abrupto, si l'on nous emporte au beau milieu des choses (rapit in medias res), si l'on nous fait entrer dans l'appartement par la fenêtre, c'est que quelque circonstance, ou quelque parole prononcée par un autre, a placé l'auditoire au point de vue où on le veut cela même est un exorde, et l'exception confirme la règle. Mais, hors de ce cas, où la préparation est donnée, chacun, sans s'en rendre compte, éprouve le besoin de préparer l'auditoire.

Il est un cas où l'on se rend bien compte de ce besoin : c'est lorsque quelque éclaircissement est nécessaire à l'intelligence du sujet; lorsque les paroles bibliques, par exemple, sur lesquelles on veut parler, tirent leur clarté de leur liaison avec les paroles qui précèdent.

Mais indépendamment ou dans l'absence de ce motif, il y en a d'autres.

D'abord, il y a un certain degré de gravité dans le seul fait de placer un exorde en tête du discours. On paraît davantage respecter son sujet quand on ne l'aborde pas incontinent, brusquement.

Il est utile de recueillir un moment l'auditeur, afin qu'il n'entre pas distrait dans le fond du sujet; or,

(1) CICERO, De Oratore. Lib. II, cap. LXXVIII.

on ne peut le recueillir que dans des idées voisines du sujet; autrement, ce serait le distraire.

Mais on a besoin ordinairement de quelque chose de plus. On veut mettre l'auditeur, par rapport au sujet, dans une disposition semblable à celle où l'on est soi-même. Il en est de l'orateur et de l'auditeur comme des instruments qui s'accordent avant un concert.

« L'exorde, dit Quintilien, n'a pas d'autre but que « de disposer l'esprit de l'auditeur à bien écouter la << suite de notre discours. On est généralement d'accord << qu'il faut, pour cela, le rendre bienveillant, attentif, a docile; non que nous devions négliger ces moyens << pendant aucune partie du plaidoyer, mais parce << qu'ils nous sont surtout nécessaires en commen«< cant, pour nous introduire dans l'esprit du juge, et, « une fois admis, pénétrer plus avant (1).

L'exorde est donc un discours avant le discours principal, un discours dont le but est, dans tous les cas, d'obtenir des auditeurs bienveillants, attentifs, dociles, par où j'entends disposés à se laisser instruire, et, dans certains cas, de les préparer à bien comprendre ce qu'on a ultérieurement à leur dire.

Remarquons qu'il ne s'agit pas ici de l'intérêt personnel de l'orateur, mais bien plutôt de celui de l'auditeur. Et sous ce rapport, le mot bienveillant pourrait être remplacé par quelque autre.

Mais, dans aucun cas, le choix de l'idée d'exorde' n'est arbitraire, moins encore qu'un prélude ou

(1) QUINTILIEN, liv. IV, chap. I.

une ouverture en musique, pas plus qu'une préface à la tête d'un livre. Ce qu'on veut, sous le nom d'exorde, ce n'est pas un délai ou un intervalle plus ou moins bien rempli, mais une introduction, une préparation, l'excitation d'une attente aussi distincte et aussi vive que possible. A notre avis, l'exorde le plus vrai est celui qui a conduit l'orateur luimême à son sujet, ou bien aussi la hauteur sur laquelle l'orateur, le sujet étant traité, monte, pour le contempler dans son ensemble.

Après ce que nous avons dit, les règles de l'exorde ne sont pas difficiles à trouver. Si nous nous arrêtons longtemps sur une partie matériellement aussi peu considérable, c'est qu'aucune n'est plus difficile ni plus périlleuse.

I. La première [règle de l'exorde] se confond, tant elle en est proche, avec la définition elle-même.

Quand l'exorde n'est pas fourni ou remplacé par une explication du texte ou du contexte, il doit être tiré d'une idée qui touche immédiatement au sujet, sans faire partie du sujet.

Ces deux choses s'entendent d'elles-mêmes. Si l'idée fait partie du sujet, ce n'est plus une introduction ou un exorde. Si l'idée est sans rapport au sujet, ce n'est plus un exorde, c'est un hors-d'œuvre ridicule. Mais si la première partie de la règle se passe de toute explication, il n'en est pas de même de la seconde. Il ne s'agit pas d'une idée voisine de celle du discours, mais d'une idée qui y touche immédiatement, entre laquelle et celle du

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