Page images
PDF
EPUB

disposés à trop attendre de l'homilétique, mais d'abord vers ceux qui attendent trop d'un enseignement d'homilétique. Car quand même l'homilétique, ou la théorie de l'éloquence ecclésiastique, serait capable de créer l'éloquence, il ne s'ensuivrait pas qu'un cours d'homilétique, fût-ce le meilleur qu'on pût entendre, et fût-ce le mieux écouté, pût faire à lui seul un prédicateur éloquent.

Un cours, ou un enseignement régulier d'homilétique, est nécessaire, puisqu'il rassemble et coordonne sous les yeux de l'étudiant une quantité d'idées et de faits que l'étudiant, en général, ne peut rassembler. Ce cours donnera de l'objet de l'art, de l'art lui-même, de son étendue, une idée qu'il est nécessaire d'avoir d'avance, puisque la pratique, dont nous reconnaîtrons plus tard la nécessité, ne donne pas une notion d'ensemble, et ne peut remplacer la méditation des principes. — Il faudrait une organisation bien rare, et des circonstances bien rares aussi, pour que la seule pratique nous enseignât tout l'art. Si les faits réagissent beaucoup sur les idées, les idées éclairent d'avance les faits: or ces idées, c'est l'homilétique.

Mais le professeur n'est pas un de ces chemins qui marchent et qui portent où l'on veut aller (1); ce n'est pas un fleuve, mais seulement un chemin.

Un cours quelconque, mais surtout un cours de la nature de celui-ci, n'a été vraiment donné que lorsqu'il

(1) PASCAL, Pensées. Partie I, Art. X, § XXXVIII.

a été reçu. Et ceci est plus que passif; c'est un 'fait de volonté : apprendre, c'est prendre.

Proprement, que donne le professeur? Non la science, mais des directions pour se la faire à soimême. Ce n'est pas ici que vous apprenez; vous y apprenez à apprendre.

Observez de plus que si, dans un sens, l'art est un, il ne l'est pas dans tous les sens; il se multiplie avec les individus; il s'individualise en chacun. La question qui se posera un jour devant vous, ne sera pas: Que doit-on faire? mais: Que dois-je faire? Dans cette période préparatoire, le discours oratoire peut vous apparaître comme un but; dans l'activité du ministère, ce ne sera qu'un moyen d'atteindre un but actuel, dans une occasion qui ne ressemblera exactement à aucune autre. Le professeur répond à la question : Que doit-on faire? Il ne répond pas à la question: Que dois-je faire? Lui-même est obligé de faire abstraction de son individualité : il enseigne l'art de tout le monde, non le sien.

Le professeur que vous écoutez, le rhéteur que vous lisez, ne peut pas vous faire cette rhétorique individuelle; elle est toujours à faire par chacun.

Mais s'il ne faut pas se reposer trop entièrement sur le cours qu'on entend, il ne faut pas non plus accorder une trop grande confiance à l'homilétique ellemême, c'est-à-dire aux idées abstraites de l'art. Je les appelle abstraites, parce qu'elles s'isolent du sujet, de la circonstance et des idées concrètes, de la substance même du discours.

Je pourrais opposer cette fois à l'art le talent ; à l'art, qui est le talent acquis ou développé, le talent, qui est l'art natif, spontané, intuitif, l'art en germe; et dire qu'aucune théorie ne peut ni donner le talent, ni le suppléer; mais ceci m'importe moins. Je tiens davantage à opposer la théorie, ou les idées abstraites de l'art, à la substance même de cette éloquence que l'art prétend gouverner. Ne l'oublions pas : l'éloquence est d'abord dans les choses; dans un sens, elle est tout entière dans les choses, d'où nous ne faisons que la dégager. L'éloquence n'a pas une existence à elle, indépendamment des choses; quand vous avez mis de côté la vérité, la beauté des objets, et les sentiments qui y correspondent dans l'âme de l'orateur, je demande ce qui vous reste, si ce n'est la logique et la psychologie, dont l'éloquence n'est qu'un emploi plus ou moins heureux. Ce qui est éloquent essentiellement, ce n'est ni la psychologie, ni la logique : c'est la vérité, c'est l'âme.

Voilà un premier point. L'éloquence est substantielle; par là même elle est actuelle, parce que si l'abstrait n'est d'aucun temps, ni d'aucun lieu, la substance appartient au temps et à l'espace : elle est actuelle. Par cela même que les choses sont en première ligne, le moment et le lieu comptent pour quelque chose; l'orateur a quelque chose à apprendre d'eux. Il serait mal inspiré s'il prenait l'art pour une chose finie en soi, absolue et indépendante des circonstances, comme une forme réglée une fois pour toutes, ou un immuable programme; s'il ne se disait pas que la tâche renaît

nouvelle chaque fois et pour chacun, et que, comme il y a un art général de faire un discours en général (discours qui n'existe pas), il y a un art pour faire le discours d'aujourd'hui, un art pour faire celui de demain. L'homilétique du cabinet doit laisser une place à celle du temple et de la paroisse.

L'éloquence est une affaire. Or, ce qui est affaire ne s'apprend pas par abstraction. Le commerce seul apprend le commerce; on apprend la politique dans le maniement des affaires, et la vie en vivant.

:

Les règles sont le résumé, la généralisation des expériences particulières. Une règle ne met pas précisément en état de faire; elle n'a pas une vertu active, elle n'inspire pas, elle ne communique substantiellement rien elle avertit. Les règles ne sont pas pour cela peu utiles: elles aident à voir, elles préservent de voir mal, elles abrègent le temps et l'incertitude du tâtonnement; elles sont, si l'on veut, une expérience anticipée, composée de l'expérience d'autrui et de quelques raisonnements à priori. Nous vivons de ces épargnes, comme l'enfant vit du bien de son père, jusqu'à ce que nous puissions gagner notre vie, et elles nous mettent en état de la gagner; c'est-à-dire que les règles nous apprennent à nous faire des règles.

Il y a même réaction; car si les règles (ou les généralisations, les idées abstraites) nous aident à voir les faits, ceux-ci, à leur tour, nous donnent le vrai sens des règles, et nous en mesurent la portée.

Il peut être dangereux d'accorder aux règles une valeur trop absolue et de laisser captiver son esprit par

elles; il faut du moins les rapporter toujours aux principes plus généraux dont elles émanent; il faut maintenir toujours ouverte et libre cette communication entre les principes et les règles, comme aussi entre les règles et les faits. Les principes, les faits, voilà notre lumière; les règles sont un lien entre les principes et les faits; mais il faut que ce soit un lien vivant. Une règle qui ne touche pas sans cesse par ses deux extrémités aux principes et aux faits est une formule vaine (1).

Pour ce qui est des modèles, dans quel esprit faut-il les étudier (2)? Il en est du beau comme de la vertu ; ni l'un ni l'autre ne se copient; ils s'imposent, l'un au goût, l'autre à la conscience; ils n'ont qu'à se montrer; c'est par la contemplation de ces types qu'on leur devient conforme (3). Cela n'exclut pas la réflexion ni l'analyse; regarder n'empêche pas de voir. Mais les beautés ne se transportent pas toutes faites; et l'on ressemble d'autant moins aux modèles qu'on veut davantage leur ressembler. C'est tout simplement, ou surtout, une contagion à laquelle il faut s'exposer. L'admiration est féconde.

Et quels modèles? Non pas seulement les sermons, mais tous les discours oratoires; non pas seulement tous ceux-ci, mais l'éloquence partout où elle se trouve, l'é

(1) Voyez REINHARD'S Geständnisse, page 51; et page 45 de la traduction pu. bliée en 1816, par M. Jean Monod, sous ce titre : Lettres de F.-V. Reinhard sur ses études et sa carrière de prédicateur. Paris, 1816.

(2) BARANTE, Mélanges, tome II, page 374 et HERDER'S Briefe, etc. Lettre XLI (3) « Nous deviendrons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est. » (1 Jean, III, 2.)

[ocr errors]
« PreviousContinue »