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dicateur eût été poëte satirique, s'il n'eût pas été prédicateur. Le plaisir de censurer est grand, et la profession qui semble nous faire un devoir de ce plaisir-là, a de quoi tenter les esprits durs et atrábilaires. Que le ministre se défie de cette tentation; qu'il craigne l'exagération et l'emphase déclamatoire dans laquelle ces sortes de sujets ont coutume de jeter les orateurs; qu'en censurant avec une pleine autorité, il le fasse moins d'après ses impressions que d'après les conseils et les inspirations de la Parole de Dieu. —Par-dessus tout, qu'il prenne garde à l'ironie; l'ironie, dans la chaire comme dans les entretiens privés, mortifie le plus souvent sans fruit, et rien n'est plus opposé à l'onction. Ce n'est pas que je veuille absolument l'interdire; elle est quelquefois inévitable; elle châtie vigoureusement, et il faut bien, entre autres offices, que la prédication châtie. Quand notre Seigneur disait aux Juifs prêts à le lapider: « J'ai fait plusieurs bonnes œuvres au milieu

de vous; pour laquelle me lapidez-vous?» (Jean, X, 32) c'était une ironie; mais combien convenable! combien noble et digne de lui! La fameuse ironie de Boileau, dans son imitation de la dixième Provinciale, n'est que la forme naturelle d'une réduction à l'absurde, qui, dans un tel sujet et contre de telles erreurs, était presque la seule argumentation possible:

Au sujet d'un écrit qu'on nous venait de lire,
Un d'entre eux m'insulta sur ce que j'osai dire
Qu'il faut, pour être absous d'un crime confessé,
Avoir pour Dieu du moins un amour commencé.
Ce dogme, me dit-il, est un pur calvinisme.

O ciel ! me voilà donc dans l'erreur, dáns le schisme,

Et partant réprouvé ! - Mais, poursuivis-je alors,
Quand Dieu viendra juger les vivants et les morts,
Et des humbles agneaux, objets de sa tendresse,
Séparera des boucs la troupe pécheresse,

A tous il nous dira, sévère ou gracieux,

Ce qui nous fit impurs ou justes à ses yeux.
Selon vous donc, à moi réprouvé, bouc infâme :
Va brûler, dira-t-il, en l'éternelle flamme,
Malheureux qui soutins que l'homme dut m'aimer;
Et qui, sur ce sujet trop prompt à déclamer,
Prétendis qu'il fallait, pour fléchir ma justice,
Que le pécheur, touché de l'horreur de son vice,
De quelque ardeur pour moi sentit les mouvements,
Et gardât le premier de mes commandements!
Dieu, si je vous en crois, me tiendra ce langage;
Mais à vous, tendre agneau, son plus cher héritage,
Orthodoxe ennemi d'un dogme si blâmé :

Venez, vous dira-t-il, venez, mon bien-aimé;
Vous qui, dans les détours de vos raisons subtiles,
Embarrassant les mots d'un des plus saints conciles,
Avez délivré l'homme, o l'utile docteur!

De l'importun fardeau d'aimer son Créateur;
Entrez au ciel, venez, comblé de mes louanges,
Du besoin d'aimer Dieu désabuser les anges.

A de tels mots, si Dieu pouvait les prononcer,
Pour moi je répondrais, je crois, sans l'offenser:

Oh! que pour vous mon cœur, moins dur et moins farouche,
Seigneur, n'a-t-il, hélas ! parlé comme ma bouche (1)!

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Ce morceau, qui ne messiérait point à la chaire, au cas qu'elle eût à traiter la question de la dixième Provinciale, ce morceau, dis-je, et d'autres citations peut-être, que la chaire elle-même fournirait, ne nous empêchent pas de penser que l'ironie en général sort du caractère de l'éloquence évangélique; il faut la laisser,

(1) BOILEAU. Épitre XII, sur

fin.

je crois, ainsi que l'invective, à l'éloquence, je ne dirai pas profane, mais païenne, attendu qu'un avocat ou un publiciste chrétien ne suivra pas là-dessus d'autres maximes que le prédicateur.

Mais, après tout, qu'il soit permis de le dire, une sainte véhémence prend sa place entre les formes les plus légitimes de l'éloquence religieuse. L'indignation, cette colère de la conscience, est aussi digne du chrétien que la colère l'est peu. L'amour du bien, nous l'avons dit, implique la haine du mal; et pourquoi, si l'amour a ses effusions et ses transports, la haine n'aurait-elle pas les siens? Comment l'exciterions-nous si nous n'osions l'exprimer? Les prophètes, les apôtres, JésusChrist lui-même, n'ont-ils pas donné un libre essor à la douleur et à la pieuse colère dont leur âme était remplie? Il en est de la colère selon Dieu comme d'un tonnerre qui éclaterait dans un ciel d'azur; cette colère n'interrompt ni ne trouble la sérénité de l'âme elle n'est pas opposée à la charité; ce serait, au contraire, manquer de charité que de ne pas là ressentir et de ne pas la montrer: «Les blessures de celui qui aime sont « fidèles. >> (Proverbes, XXVII, 6.) Rappelez-vous bien qu'on ne comprendra jamais votre réprobation du mal et du péché tant que vous n'en paraîtrez pas ému, et qu'on ne croira pas plus à votre haine tranquillement formulée qu'à votre amour froidement exprimé. Vous n'êtes pas, vous ne pouvez pas être avec le péché dans les termes de la politesse. Saint Paul, à ce qu'il me semble, ne l'entendait pas ainsi : telles de ses apostrophes pourraient bien faire qualifier de téméraire et

d'insolent, par certaines gens, celui qui les répéterait; mais il faut, sans jamais mériter un tel reproche, ne pas craindre de l'encourir. Le Seigneur, qui gardera l'ouverture de nos lèvres, y laissera bien sans doute passer la vérité or la vérité consiste en sentiments comme en pensées; la vérité, c'est l'amour; la vérité, c'est donc aussi la haine et même, au besoin, la colère. Mais, ô Seigneur et Sauveur! donne-nous d'aimer comme tu aimes, de haïr comme tu hais, de châtier comme tu châties!

RÉSUMÉ

DE LA PREMIÈRE PARTIE.

Arrivé à la fin de la première partie de ce cours, je voudrais, Messieurs, mesurer avec vous l'espace que nous avons parcouru, faire la somme des connaissances que nous avons rassemblées et des convictions que nous avons acquises. Nous aurons un peu plus tard, dans la suite même de ce cours, l'occasion d'apprendre qu'un résumé exact et concis est du même secours à l'esprit, que l'est au moissonneur, pour emporter sa gerbe, le lien d'osier qui l'environne et la serre. Appliquons, par avance, ce que nous enseignerons plus tard. Nous avons aussi, je l'espère, une gerbe à emporter : serrons-la de notre mieux.

La religion chrétienne a la forme d'une parole. L'être divin qui a fondé cette religion sur la terre et dans nos cœurs, est la Parole même, et ici le mot Parole signifie pensée, raison, la vérité conçue, aussi bien que la vérité exprimée. C'est par la Parole qu'a été fait le monde visible; c'est la Parole qui crée le monde spirituel, avec cette différence que la Parole agit de dehors sur le monde visible, et que c'est du dedans qu'elle travaille le monde spirituel. Pour ce qui est du monde visible, Dieu parle

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