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toute la force du terme, il parle la parole de Dieu ; vous aurez par là même sanctionné l'étude et la pratique d'un art qui n'est autre chose que l'emploi raisonné et réfléchi de tous les moyens naturels dont le prédicateur dispose.

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Sans doute, c'est Dieu qui convertit: voilà le principe; mais il convertit l'homme le par moyen de l'homme voilà le fait; je dis de l'homme personnel, vivant, moral. Dès que vous admettez ce fait, vous admettez l'art dans la prédication; car que serait-ce que cet homme moins la pensée? ou comment lui laisserezvous la pensée, et l'empêcherez-vous de raisonner ce qu'il fait? Et comment, s'il raisonne, raisonnera-t-il à moitié? Si le Saint-Esprit ne tient pas la plume, il faut bien que ce soit lui qui la tienne; s'il n'est pas inspiré, il faut qu'il réfléchisse. L'inspiration étant mise de côté, je ne sais pas voir pourquoi il se fierait à sa première impulsion plus qu'à la réflexion, au hasard plutôt qu'à l'art. La première pensée vient-elle du SaintEsprit, et la seconde de l'homme? Cette première pensée n'est-elle pas de l'homme aussi bien que la seconde? Et dans les deux cas, l'homme n'a-t-il pas recours à lui-même? Y a-t-il plus de fidélité dans le premier système que dans le second? Au contraire; une fois qu'il est admis que l'homme doit recourir à lui-même, la fidélité consiste à tirer de soi-même le parti le meilleur et le plus complet; à joindre au premier mouvement, involontaire peut-être, le second qui ne l'est pas; en un mot, à la force naturelle la force acquise, qui, apparemment, n'en est pas l'opposé. Oublie-t-on

que nos véritables vertus sont des vertus acquises, des œuvres d'art? Ne pouvant nous fier à nos premières pensées, il nous faut corriger les premières par les secondes. C'est en cela, non dans l'incurie, que consiste la fidélité, et que se trouve la bénédiction. Il en est du talent et de l'art comme des richesses, dont il a été dit : «Faites-vous des amis avec les richesses iniques. » (Luc, XVI, 9.)

Nous avons beau dédaigner les moyens; tout en les dédaignant, nous les employons; ce que nous mettons de nous-mêmes dans notre ministère, si peu que ce soit, appartient à la catégorie des moyens; le premier des moyens, c'est nous-mêmes; puisqu'il faut employer ce moyen, que ce soit dans toute l'intégrité et la perfection possible: «Que tout ce qui est en nous, l'es

prit, l'âme et le corps, soit conservé irrépréhensible << pour l'avénement de notre Seigneur Jésus-Christ. >> (1 Thessaloniciens, V, 23.)

L'homme est comme le milieu à travers lequel Dieu a voulu que la vérité parvînt à l'homme; la vérité seule est lumineuse, le milieu n'est que transparent; mais qu'il soit vraiment transparent, et qu'autant qu'il dépend de nous, les rayons de la vérité ne viennent pas s'obscurcir et se briser dans cet infidèle milieu.

Quand on dit avec Bossuet que Dieu ne dédaigne pas de se servir de moyens, et qu'entre lui et l'homme, l'homme est le premier de ces moyens, on ne sent pas toute la portée de cet aveu. Si Dieu se sert de moyens, nous pouvons bien nous en servir; nos facultés ne sont pas plus indignes de nous que nous le sommes de

Dieu; et s'il est constant que Dieu consent à faire de l'homme son moyen, mettons tout le moyen, c'est-àdire tout l'homme, au service de Dieu; or, l'homme comprend l'art; l'homme est essentiellement artiste; ôtez l'art, l'homme n'est plus l'homme.

A quoi, d'ailleurs, aspirons-nous au moyen de l'art? à ajouter quelque chose à la vérité? Nous l'avons dit, on n'ajoute rien à la vérité. Tout ce qu'on peut faire, c'est d'enlever les uns après les autres tous les voiles qui la dérobent aux regards de l'homme. C'est là le but et l'effet de l'éloquence. Et ceci même sert à distinguer le faux art de l'art véritable. Car de dire que le véritable est celui qui dédaigne le détail, rien ne serait plus arbitraire et moins philosophique, puisque l'art dans le détail, ce n'est que la vérité dans le détail. Le véritable art est celui qui a la vérité pour objet; le faux art est celui qui cultive l'illusion et le mensonge. Il faut, d'ailleurs, si on le peut, être parfait en tout et jusqu'au bout. Mais il est vrai que chaque genre a ses bienséances, que l'art enseigne à distinguer, et le beau exclut le joli.

Nous opposons donc au principe qu'on nous allègue, le fait, l'institution même de Dieu. S'il y a contradiction entre le principe et le fait, ce n'est pas à nous qu'il en faut demander compte, mais à Dieu; mais non, il ne faut demander compte ni à nous ni à Dieu d'une contradiction qui n'existe pas. Quand on dit que la vérité doit se suffire à elle-même, entend-on que la vérité ne doive pas être dite, ou que ceux qui la disent ne doivent pas la dire comme des gens qui la com

prennent et qui la sentent? Entend-on qu'ils ne doivent pas s'unir à elle? La vérité dite avec amour est-elle quelque chose de plus que la vérité? Pourquoi donc la vérité dite avec intelligence serait-elle quelque chose de plus que la vérité? L'adhésion de notre esprit comme de notre cœur à la vérité n'est-elle pas l'héritage naturel de la vérité? Et tout ce qui témoigne de cette adhésion, tout ce qui est propre à la faire naître dans d'autres esprits et dans d'autres cœurs n'est-il pas de plein droit dévolu à la vérité? Ceux qui croient que quelque chose de tumultuaire et de fortuit dans la parole du prédicateur est ce qui convient le mieux à son but, ou que l'absence de tout art est l'art par excellence, sur quel principe, sur quelle expérience se fondent-ils? Nous l'ignorons absolument.

On s'étonnera peut-être de la peine que nous prenons de combattre une opinion qui a si peu de poids. Mais il n'est pas un seul de nos arguments qui ne réponde à quelque préjugé répandu, à quelque opinion souvent répétée. C'est par la même raison que, sans craindre quelques redites, nous discuterons les passages qu'on a coutume de nous opposer.

<< Ne soyez point en peine de ce que vous direz, ni <<< comment vous parlerez; car ce que vous aurez à << dire vous sera inspiré à l'heure même. » (Matthieu, X, 19.)

Cette recommandation paraît se rattacher à la promesse d'une assistance extraordinaire. Quand une telle assistance n'est pas promise, ne faut-il pas la remplacer?

Nous ne doutons pas d'ailleurs que la promesse de cette assistance ne subsiste pour tous les cas où le travail a été impossible et où l'assistance a été demandée.

Ces deux cas exceptés, et s'il ne s'agit que d'une assistance pareille, dans son principe et dans sa nature, à tous les secours que le Saint-Esprit accorde au fidèle, alors nous dirons que la promesse de cette assistance n'interdit pas l'emploi des moyens humains, ou que si l'emploi des moyens humains accuse notre foi dans ce cas, il l'accuse dans tous. Il faudrait ne se pourvoir ni d'habits ni de nourriture, parce qu'il est écrit: «Ne soyez point en souci de ce que vous mangerez, ni « de ce que vous boirez, ni de quoi vous serez vêtus; «< car votre Père céleste sait que vous avez besoin de <«< tout cela.» (Matthieu, VI, 25, 32.)

Encore cette fois nous renverrions beaucoup plus haut le reproche de contradiction; mais le reproche ne va nulle part; l'emploi des moyens humains n'exclut ni la nécessité du secours d'en haut, ni le sentiment de cette nécessité. C'est le marteau et la truelle en main que l'ouvrier dit à Dieu : « Si l'Éternel ne «< bâtit la maison, ceux qui la bâtissent y travaillent en « vain. » (Psaume CXXVII, 1.) Ce marteau et cette truelle sont les premiers dons de Dieu, les premiers témoignages de sa bonté, les premiers sujets de notre reconnaissance. La force et la volonté d'agir sont une première avance du divin prêteur. Nous ne disons pas: « Travaillez, quoique Dieu produise en vous le vouloir « et le faire; mais, avec l'Apôtre : << Travaillez,

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