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trop souvent employé, et qui a un sens assez différent).] Dans laquelle de ces deux catégories doit-on ranger l'auditoire que le prédicateur trouve dans les temples? On doit, d'après la définition, le distribuer entre les deux catégories. La fiction légale n'est pas dans ce sens. [ On suppose le temple rempli de croyants réunis pour un culte commun.] Mais la réalité, l'évidence est plus forte, [et dans la constitution actuelle des choses, la supposition de l'existence des deux classes est raisonnable.] Du reste, le ministre n'a point à alterner entre ces deux classes, et à partager entre elles son discours et ses discours. Les deux buts de la prédication ne sont point séparés d'une manière si tranchée : ce qui s'adresse aux infidèles peut profiter aux croyants; ce qui s'adresse aux croyants peut profiter aux infidèles. Quant à ceux-ci, nous disons que tout, dans la prédication chrétienne, est propre à convertir; quant aux croyants, n'ont-ils pas, en un sens, toujours besoin d'être convertis? [Cela n'exclut pas les sermons spéciaux; mais cependant il n'y a pas une partie de la vérité évangélique qui ne soit propre à tous. Quoiqu'il ait été nécessaire de distinguer par différents noms les moments de la vie spirituelle, ce ne sont toujours que des moments d'une même œuvre; oui, l'œuvre de Dieu dans la conversion, puis dans la sanctification, est continue, indivisible. Donc les sermons dits de sanctification et ceux dits d'appel conviendront aux deux classes.] Ce sont les gras pâturages, les parcs herbeux du prophète, dont l'herbe nourrit les brebis saines et guérit les brebis malades.

(Ézéchiel, XXXIV, 13-16.) Bien souvent nous sommes mieux atteints par une prédication qui s'adresse à une classe dont nous ne sommes pas censés faire partie (1). [C'est un fait d'expérience que des hommes ont été amenés à l'Évangile par des prédications qui, prenant l'auditeur sur les plus hauts sommets de la vie spirituelle, ne leur étaient point adressées, et que, d'un autre côté, des sermons de pur appel, tels qu'ils auraient pu être adressés à des païens, ont produit la plus grande componction chez des chrétiens avancés. « Toute l'Écriture est divinement inspirée, et utile « pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour «< instruire dans la justice. » (2 Timothée, III, 16.) Comment une prédication ésotérique ne pourrait-elle pas convertir ceux du dehors, quand il est prouvé que la simple contemplation de la vie chrétienne gagne beaucoup d'âmes à l'Évangile? On est d'abord surpris, bien des choses paraissent inconcevables; mais aussi on est frappé de la beauté des résultats, de leur unité, et l'on est conduit à en étudier plus attentivement la cause. Une prédication dans ce sens exerce un irrésistible attrait. ]

On voit que le but de l'éloquence de la chaire est bien, comme celui de toute éloquence, de déterminer la volonté ; mais ce but se combine chez elle avec celui d'instruire. L'éloquence n'est que la forme, le tranchant, pour ainsi dire, de l'enseignement. Le prédicateur est un docteur sous la forme d'un orateur.

(1) Que l'on se rende bien compte, par exemple, de l'affectation d'inattention et d'indifférence de certaines gens dans certains moments.

Ces deux objets se trouvent bien, si l'on veut, réunis en toute éloquence; mais ici l'instruction est plus en saillie, existe plus pour elle-même que dans d'autres genres d'éloquence. « Je me répétais souvent, dit Rein« hard, qu'après tout, le prédicateur chrétien est plus << instituteur qu'orateur (1). »

Il y a deux choses qui caractérisent les autres genres oratoires à l'exclusion de la chaire : 1° Une circonstance particulière, un intérêt propre à un certain moment donne lieu au discours de la tribune ou du barreau. -2° L'orateur politique ou judiciaire désigne un acte spécial comme devant être accompli à la suite et au sortir de l'assemblée; tandis que le prédicateur ne poursuit pas un résultat immédiat et visible; il n'aspire, en général, qu'à mettre l'âme dans une certaine disposition à l'égard de tel ou tel objet. Cet acte intérieur, ce résultat invisible lui suffit.

En principe, le prédicateur enseigne; c'est là le fond de son œuvre ; l'exhortation, la répréhension, aiguisent son enseignement, mais c'est toujours un enseignement. L'enseignement peut être éloquent; à plus forte raison l'exhortation, même lorsqu'elle ne se rapporte pas à un acte spécial, prochain et palpable; mais il en résulte néanmoins des différences, qui peuvent être en apparence à l'avantage des autres genres; on ne peut les racheter qu'en faisant plus ou moins violence à la nature du discours de la chaire. [ L'orateur de la tribune ou du barreau est plus naturellement

(1) « Ich sagte mir immer, der christliche Prediger sey doch mehr Lehrer als « Redner. » (REINHARD'S Gestændnisse, page 84.)

éloquent; il a l'actualité pour lui; son auditoire est ému, passionné d'avance, pour ou contre l'orateur, peu importe. Cela vaut mieux que l'inertie que trouve le prédicateur (plumbea moles): il doit la soulever par des vérités abstraites. Qu'il garde cette position; qu'il demande à la vérité, à Dieu, cette éloquence qu'il ne trouve pas dans les circonstances. Il ne faut pas qu'il se crée une position comme celle de l'avocat ou du tribun.] L'enseignement suppose un calme qu'on ne peut remplacer par la véhémence qu'en cessant d'enseigner véritablement. Il y a une éloquence calme comme il y a une éloquence véhémente; et si nous avons parlé d'éloquence en première ligne, nous avons entendu par là, non un certain moyen, mais l'ensemble des moyens qui sont propres à porter la lumière dans l'esprit et la décision dans l'âme.-[ Ce n'est pas à dire que la prédication ne doive pas être vive et pressante. Impossible que l'on ne songe que bien des âmes entendent peut-être pour la première et pour la dernière fois le message de paix. Mais cette pensée ne doit pas faire négliger l'instruction. Notre marche d'explication est lente, et on est quelquefois tenté d'abréger et de prêcher aux nerfs des auditeurs. Dieu, au contraire, commande de prêcher aux âmes, aux consciences. Ne brusquons pas les résultats, ne soyons pas plus pressés que Dieu, qui scul a le secret des temps. Rien n'empêche d'instruire à la fois avec calme et avec une instance charitable.]

De plus, l'orateur de la chaire a le choix, et dans un certain sens l'invention de ses sujets. Rarement les

circonstances se chargent pour lui de ce choix. Son ministère est bien, en général, une affaire; mais chacune de ses prédications n'est pas une affaire.

Outre que l'enseignement domine dans l'éloquence de la chaire, disons que le prédicateur a pour base de son éloquence un document. Nous l'avons dit, il parle la parole de Dieu. Tour à tour il va vers ce document et il en part. Il est tour à tour avocat et magistrat : avocat, lorsqu'il plaide auprès des consciences pour l'adoption du document; magistrat, lorsqu'il réclame l'obéissance de l'homme au document adopté. L'orateur du barreau a sans doute un document, la loi; mais il ne plaide pas, comme le prédicateur, en faveur de la loi; et, dans l'application, il est bien loin des développements qui sont ouverts au prédicateur.

Enfin, si l'acte oratoire est toujours un combat, le combat, dans la prédication, est livré à une idée, non à un adversaire personnel; en sorte que ce genre, seul entre tous, ne présente jamais le spectacle d'une discussion. Il y en a une pourtant: mais le même orateur se charge, pour ainsi dire, de deux rôles, dont un seul est le sien; il reproduit, pour les réfuter, les arguments de la partie adverse, qui est l'homme irrégénéré. Chaque auditeur, plus ou moins, renferme en soi les deux parties contendantes.

Ajoutons qu'une grande partie de la tâche consiste à conquérir le terrain du combat. Le prédicateur est un avocat qui plaide la cause de Dieu devant un tribunal de juges corrompus, qu'il s'agit d'abord de rendre intègres.

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