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se prête au mal comme au bien, à l'erreur comme à la vérité. S'il en est ainsi, ne faut-il pas repousser bien loin et l'éloquence et la rhétorique, qui en est la théorie ou la méthode?

J'accorde le principe, et je nie la conséquence.

Qu'il y ait une puissance de persuasion pour le mal comme il y en a une pour le bien, que cette puissance ait pour principe, dans les deux cas, le don de trouver et de faire vibrer dans le cœur certaines cordes qui y sont, cela n'est pas douteux. Si l'on ne veut pas appliquer aux deux faits le mot d'éloquence, on en est le maître; mais qu'aura-t-on gagné? Un mot. Il vaut mieux, ce me semble, en reconnaissant que des hommes vicieux peuvent être éloquents, et même qu'on peut être éloquent en conseillant le mal, ajouter d'un autre côté :

1° Que, quelle que soit la pente de l'homme au mal, le mal n'a point dans sa conscience de témoin et de représentant; que la vérité, au contraire, en a un au fond de son âme; qu'il la reconnaît quand elle se montre, et que si « la chair est faible, l'esprit est << prompt (1). » Il en résulte que l'éloquence est plus étroitement unie à la vérité qu'à l'erreur, au bien qu'au mal. La vérité est éloquente en soi; nous ne lui ajoutons pas l'éloquence, nous ne faisons que la dégager ; la vérité, dans quelque sens qu'on prenne ce mot, est la condition et l'étoffe même de l'éloquence. Pour persuader le mal, il faut lui donner l'apparence du bien.

(1) Évangile selon saint Matthieu, XXVI, 41.

2° Ce qui n'est pas peut-être la définition de l'éloquence en est la règle; ou, si vous voulez, la règle de l'éloquence en sera pour nous la définition. Nous dirons que l'éloquence est une libératrice, qui vient en aide au bon principe contre le mauvais, à la vérité contre l'erreur. Ce ne sera pas encore assez nous dirons que, quoique l'action ou la vie, que l'éloquence a toujours en vue, dérive toujours immédiatement de l'affection, et que, par conséquent, l'orateur ait en vue de créer ou de développer une affection, il ne peut le faire que conformément aux idées éternelles et divines, et que, dans ce sens seulement, l'éloquence est une puissance de liberté, et non une puissance de tyrannie.

3o La conséquence du fait que nous avons dû avouer, c'est qu'il faut d'autant plus mettre l'éloquence au service de la vérité qu'elle est plus souvent mise au service de l'erreur, et qu'il faut défendre la vérité avec les armes de la vérité. [Ses meilleurs défenseurs dissimulent trop souvent, et cela parce que la foi à la vérité, qui seule donne le courage, est rare. C'est manquer à une cause sainte que d'employer pour la défendre des moyens en désaccord avec elle. Au fond] être éloquent, c'est être vrai; être éloquent, ce n'est pas ajouter quelque chose à la vérité, c'est enlever l'un après l'autre les voiles qui la couvrent; et ce rôle n'est pas négatif, car la vérité ce sont les faits. Dans ce sens, Pascal est l'orateur par excellence, parce qu'il est aussi nûment vrai que possible. Mais la vérité n'est pas seulement dans les faits, elle est aussi dans le sentiment de la vérité. S'unir à elle, être pathétique à son

sujet, c'est être vrai d'une seconde manière. La vérité, dite avec amour, serait-elle moins vérité? Non, sans doute; mais, vérité en nous, hors de nous, elle n'est pas vérité encore.

Ces conditions de l'éloquence en général se compliquent de celles qui sont propres à un discours public, et toutes ensemble constituent l'art oratoire.

Un discours oratoire est un discours prononcé devant une assemblée dans le but de lui inculquer certaines idées, de lui inspirer certains sentiments, ou de provoquer certaines résolutions, ou de faire ces trois choses à la fois. Mais la dernière est le but final; celui par rapport auquel les deux autres ne sont que des moyens, des chemins. [L'orateur doit parler au cœur aussi bien qu'à l'esprit, puisqu'il en veut à la volonté, et que notre volonté est sous l'empire de nos affections (1).]

Le discours oratoire apparaît donc comme une lutte, un combat. Cette idée lui est essentielle. Tantôt l'orateur combat une erreur par une vérité, tantôt il oppose à un sentiment un autre sentiment. C'est, dans son véritable emploi, un combat livré, avec l'arme de la parole, aux erreurs de l'esprit et aux travers du cœur. « L'orateur cherche à s'emparer de notre vo<«<lonté. Sa tâche est une agression opiniâtre; notre <«< âme est un fort qu'il assiége, mais qu'il ne prendrait << jamais s'il ne s'était ménagé des intelligences dans la << place; l'éloquence n'est qu'un appel à la sympathie;

(1) Sur le rôle de l'émotion dans l'éloquence, voyez Partie I, section Il, chap. II, II.

« son secret consiste à démêler et à saisir dans l'âme d'autrui les parties qui correspondent à la nôtre et à << toute âme ; son but est de s'emparer de la main qu'à << notre insu nous lui tendons sans cesse. C'est de nous qu'elle obtient des armes contre nous; c'est de nos « concessions qu'elle se fortifie, de nos dons qu'elle se « prévaut, avec notre aveu qu'elle nous accable. En << d'autres termes, l'orateur invoque des principes, in<< tellectuels et moraux, que nous tenons en commun << avec lui, et il ne fait que réclamer avec instance les «< conclusions de ces prémisses; il nous prouve que « nous sommes d'accord avec lui, il nous fait sentir et <<< aimer cet accord; en un mot, comme on l'a dit avec «< énergie, on ne démontre aux gens que ce qu'ils «< croyaient déjà (1). »

Il faut distinguer le discours oratoire du discours didactique, qui conclut par une idée; et de la poésie, qui ne conclut point, et dont le but n'est pas hors d'elle, mais en elle-même. [Le discours oratoire conclut par un appel à la volonté. ]

Tout ce que nous venons de dire se retrouve essentiellement dans l'homilétique, dont l'objet est de donner au prédicateur des règles et des conseils tirés du but de toute éloquence et du but spécial du discours chrétien, comme aussi des circonstances au milieu desquelles il est prononcé.

Qu'est-ce que le discours oratoire religieux, vulgairement appelé le sermon?

(1) VINET, Chrestomathie française, tome III. Réflexions sur l'éloquence, à la suite du Discours de Royer-Collard sur le projet de loi relatif au sacrilége.

Nous avons à définir une chose qui n'existe pas essentiellement hors de notre idée, qui n'est pas indépendante de l'idée que nous nous en faisons, puisque c'est notre idée même qui la fait. L'objet n'étant pas donné, dès lors la définition devient une règle ou une déclaration de principes.

Ce qui est donné, c'est le but, c'est le besoin, c'est l'objet général et immuable de la prédication et du culte. Il faut donc que notre définition ne soit ni plus large que cet objet, ni plus étroite, et qu'elle permette au prédicateur de se donner, dans les limites de la vérité chrétienne, tout l'espace que réclament la variété des lieux, des temps et des circonstances, et sa propre individualité.

D'après cela, nous définissons le sermon un discours incorporé au culte public, et destiné, concurremment ou alternativement, à conduire à la vérité chrétienne celui qui n'y croit pas encore, et à l'expliquer et l'appliquer à ceux qui l'admettent. — Les apôtres Paul et Pierre donnent la même idée de la prédication : « Que l'évêque, dit le premier, soit capable tant « d'exhorter suivant cette doctrine salutaire, que de <<< convaincre ceux qui s'y opposent. » (Tite, I, 9.) « Je ne négligerai pas, dit le second, de vous faire tou«<jours ressouvenir de ces choses, quoique vous en << soyez instruits et que vous soyez affermis dans la « vérité présente. » (2 Pierre, I, 12.)

[ Nous avons distingué deux classes d'auditeurs, que nous désignerons par les noms de croyants et de non-croyants (ce dernier substitué à celui d'incrédules,

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