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douze ou quinze volumes qu'il portait toujours avec lui, ayant été enlevés par les hussards de Wurmser, l'officier commandant le détachement les lui avait renvoyés avec une lettre fort aimable. Cette politesse, extrêmement remarquable de la part d'un ennemi dans une guerre qui se faisait sans courtoisie, souvent même sans humanité, lui paraissait une exception très-flatteuse, et faite unique-Hélène, composition d'un autre genre, dans laquelle ment pour lui; car nul autre n'eût été capable de la mériter par la perte d'un tel bagage. Moins heureux dans sa prédilection de savant pour le séjour de Rome, Courier faillit y être mis en pièces, lorsque les Français furent obligés de l'abandonner. Il faisait partie de la division que Macdonald, en marchant vers la Tréhia, avait laissée dans Rome. Cette division capitula, et dut être embarquée et transportée en France. Courier voulut dire un dernier adieu à la bibliothèque du Vatican; il oublia l'heure marquée pour le départ de la division, et lorsqu'il en sortit, il n'y avait déjà plus un seul Français dans Rome. C'était le soir; on le reconnut à la clarté d'une lampe allumée devant une madone. On cria sur lui au giaccobino; un coup de fusil tiré sur lui tua une femme, et, à la faveur du tumulte que cela causa, il parvint à gagner le palais d'un noble Romain qui l'aimait et qui l'aida à fuir. Voilà comme il quitta Rome et l'Italie pour la pre-çaise. Les travaux qu'il avait entrepris, les relations mière fois.

| Ce ne fut guère que pour obtenir les suffrages d'un petit cercle d'amis et de connaisseurs qu'il composa, de 1800 à 1802, divers Opuscules, longtemps ignorés d'ailleurs : l'Éloge d'Hélène, ouvrage nouveau, comme il le dit quelque part, donné sous un titre ancien et comme une simple traduction d'Isocrate; le Voyage de Ménélas à Troie pour redemander

il semblait s'être proposé d'effacer l'auteur de Télémaque, comme imitateur de la narration antique; enfin un article sur l'édition de l'Athénée de Schweighæuser, le morceau de critique le plus habilement et le plus élégamment écrit qui ait paru dans le Magasin encyclopédique de Millin. Sans les Pamphlets, qui ont fait la célébrité de Courier, on saurait à peine aujourd'hui l'existence de ces opuscules. On est étonné de ne les trouver guère inférieurs aux publications qui ont suivi. C'est que le grand style qu'on ne se lasse point d'admirer dans Courier, n'a pas été moins en lui un don naturel que le produit des études de toute sa vie.

Le consulat approchait de sa fin, et avec lui la paix conquise sur les champs de bataille de Marengo et de Hohenlinden. Courier fut désigné pour aller commander comme chef d'escadron l'artillerie d'un des corps qui occupaient l'Italie, redevenue fran

qu'il s'était faites pendant trois années de non-actiA cette époque, certains départements de la France vité, ne furent rien auprès du bonheur de revoir un ne valaient guère mieux que l'Italie pour les mili- pays, des mers, un ciel qu'il aimait avec passion, taires républicains. Courier, débarqué à Marseille, et et dont il ne parlait jamais sans ravissement. Il était se rendant à Paris, fut encore traité comme giac-à peine en Italie, que l'ordre y vint de prendre l'opicobino par les honnêtes gens qui pillaient les voitures publiques sur les grandes routes, au nom de la religion et de la légitimité. Il perdit argent, papiers, effets, et arriva à Paris ainsi dépouillé et de plus atteint d'un crachement de sang qui l'a tourmenté toute sa vie. Bientôt éclata la révolution qui mit aux mains de Bonaparte la dictature militaire. Courier ne s'était point mêlé jusque-là de politique d'une manière active. Il ne s'était point déclaré avec les militaires contre les avocats, ni avec ceux-ci contre les traîneurs de sabres. Il resta donc sous le consulat ce qu'il avait été sous le Directoire, bornant son ambition à rechercher la société du petit nombre de savants que la révolution avait laissés s'occupant obscurément d'antiquités et de philologie. Riche d'observations, le goût formé, apprécié déjà des érudits qu'il avait rencontrés en Italie, il fut accueilli, encouragé. Il eut pour amis Akerbald, Millin, Clavier, Sainte-Croix, Boissonade, qui certes ne devinèrent point son avenir, mais qui donnèrent à ses Essais l'attention qu'ils méritaient.

nion des différents corps sur un nouveau changement dans le gouvernement de la France. La république n'était déjà plus qu'un mot, et Bonaparte voulait au pouvoir qu'il exerçait seul et presque sans contrôle un titre plus décidé. L'empire était créé, mais il fallait le légitimer par une apparence de délibération nationale. Nous n'avons point encore de mémoires qui nous apprennent comment fut accueillie par l'armée cette consultation extraordinaire, qui par elle-même était déjà la destruction de la république. Les militaires qui servaient à cette époque, et qui depuis, rentrés dans la vie civile, ont mieux connu le prix de la liberté, assurent généralement qu'ils virent avec indignation le pouvoir d'un seul succéder à la volonté de tous. Mais aucun fait éclatant n'a prouvé cette disposition des armées de la république. N'est-il pas bien plus probable que les choses se passèrent partout comme on le voit dans ee comique récit de Courier, où tout un corps d'officiers, assis en rond autour du général d'Anthouard, reste muet à la question : « Voulez-vous encore la

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république, ou bien aimez-vous mieux un empereur? » En effet, pour des militaires, dire non, c'était tirer l'épée, ou protester inutilement. Car, où était l'autorité qui présiderait au dépouillement de ce vaste scrutin? qui compterait les voix, et répondrait du respect de Bonaparte pour les répugnances de la majorité? Courier se garda bien de dire non; il avait son opinion, cependant. « Un homme comme Bonaparte, disait-il énergiquement, soldat, chef d'armée, le premier capitaine du monde, vouloir « qu'on l'appelle Majesté !... Être Bonaparte et se « faire Sire!... Il aspire à descendre... »

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Si le caractère indépendant, mais peu vigoureux, de Courier; si son esprit frondeur plutôt qu'arrêté en certains principes, sont assez compris par ce qui précède, on ne s'étonnera point qu'il continuât à servir malgré son peu de goût pour la nouvelle forme de gouvernement établie en France. Courier n'avait jamais aimé la république. La Convention l'avait répoussée comme violente et impitoyable. Il avait méprisé le Directoire comme incapable et vénal. Il n'avait guère éprouvé le bienfait du consulat que par le loisir dont trois années de paix l'avaient laissé jouir. Peu porté d'ailleurs à accorder aux actions humaines des intentions bien profondes, il vit moins dans l'élévation de Bonaparte à l'empire un attentat d'ambition qu'un égarement de vanité digne de compassion. Le mot d'usurpation ne lui vint même pas pour caractériser l'entreprise du nouveau César, et il ne s'enveloppa point contre lui dans la sombre haine d'un Brutus. L'empire avec ses cordons, ses titres, ses hautes dignités, ses princes, ses ducs, ses barons, estropiant la langue et l'étiquette, sa grotesque fusion de la noblesse des deux régimes, ses conquêtes féodales et ses distributions de royaumes, lui parut d'un bout à l'autre une farce parfois odieuse, presque toujours bouffonne à l'excès. Dans ses lettres écrites d'Italie de 1803 à 1809, il épuise les traits de la plus amère satire contre ces généraux devenus des Majestés à l'image de l'empereur, contre ces états-majors transformés en petites cours, et livrés à la brigue des parentés, à l'adoration des noms anciens et des illustrations nouvelles.

Assurément c'est bien là l'époque prise par son côté ridicule; côté de vérité, oui, mais qui n'est point toute la vérité. L'histoire y saura montrer autre chose. Si l'on ne s'attache ici qu'au moindre aspect, celui des travers individuels, des vanités, du sot orgueil de tant d'hommes qui, enchaînés à une pensée supérieure, firent, réunis, de si grandes choses, c'est que cet aspect frappa surtout Courier. Il faut voir un instant les choses comme il les vit, pour concevoir en ce qu'elles ont eu de fort excusable des

préventions qu'on lui a trop reprochées. L'empire avec ses foudroyantes campagnes de trois jours, ses armées transportées par enchantement d'un bout de l'Europe à l'autre, ses trônes élevés et renversés en un trait de plume, son prodigieux agrandissement, sa calamiteuse et retentissante chute, sera de loin un grand spectacle; mais, de près, un contemporain y aura vu des misères que la postérité ne verra point. Il y a mieux; il fallait en être à distance pour l'embrasser dans son vaste ensemble, qui seul est digne d'admiration. Tant qu'il exista, ses grandeurs ne furent célébrées que par des préfets ou des poëtes à gages; et tel qui paraîtrait aujourd'hui un esprit libre, en jugeant cette fameuse administration de Bonaparte comme elle doit l'être, se serait tu par pudeur sous la censure impériale, ou n'aurait pas vu, comme aujourd'hui, les choses par leur grand côté. Les lettres de Courier tiendront une toute première place parmi les mémoires du temps; elles font l'histoire, malheureusement assez triste, du moral de nos armées, depuis le moment où Bonaparte eut ouvert à toutes les ambitions la perspective d'arriver à tout par du dévouement à sa personne autant que par des services réels.

Courier se vantait de posséder et de pouvoir publier, quand il le voudrait, comme pièces à l'appui de ses portraits et de ses récits, un grand nombre de lettres à lui écrites aux diverses époques de la révolution par les maréchaux, généraux, grands seigneurs de l'empire, dévoués depuis 1815 à la maison de Bourbon. On aurait vu, disait-il, les mêmes personnages professer dans ces lettres, et avec un égal enthousiasme, suivant l'ordre des dates révolutionnaires, les principes républicains les plus outrés et les doctrines les plus absolues de la servilité; tenir à honneur d'être regardés comme ennemis des rois, et ramper orgueilleusement dans leurs palais; commencer leur fortune en sans-culotte et la finir en habit de cour. Mais ce monument des contradictions politiques du temps et de lá versatilité humaine dans tous les temps, ne s'est point trouvé dans les papiers de Courier, et la perte assurément n'est pas grande. Le ridicule et l'odieux méritent peu de vivre par eux-mêmes. C'est le coup de pied que leur donne en passant le génie qui les immortalise. Les précieuses, les marquis, les faux dévots du temps de Louis XIV, seraient oubliés sans Molière. Peut-être on s'occuperait peu de nos révolutionnaires scapins dans cinquante ans; les ravissantes lettres de Courier les feront vivre plus que leurs lâchetés.

Mais voici qui va bien surprendre de la part de l'homme qu'on a vu jusqu'ici tant détaché des idées

que la guerre comme Bonaparte la faisait. Quoiqu'il eût assisté à plusieurs affaires chaudes, il n'avait jamais vu les hommes noyés par milliers, les généraux tués par cinquantaines, les régiments entiers disparaissant sous la mitraille, les tas de morts et de blessés servant de rempart ou de pont aux combattants, l'artillerie, la cavalerie, roulant, galopant sur un lit de débris humains, et quatre cents pièces de canon faisant pendant deux jours et deux nuits l'accompagnement non interrompu de pareilles scènes. Or, il y eut de tout cela pendant les quarante-huit heures que Courier passa dans la célèbre et trop désastreuse île de Lobau. Notre canonnier ne vit rien, ne comprit rien, ne sut que faire dans l'immense destruction qui l'entourait. La faim, la fatigue, l'horreur, eurent bientôt triomphé de l'illusion qui l'avait amené. Il tomba d'épuisement au pied d'un arbre, et ne se réveilla qu'à Vienne, où on l'avait fait transporter. Aussi prompt à revenir qu'à se prendre, il quittala ville autrichienne comme il avait quitté Paris; et, sans permission, sans ordre, se regardant comme libre de partir, parce que les dernières formalités de sa réintégration n'avaient pas été entièrement remplies, il alla se remettre en Italie des épouvantables impressions qu'il avait été chercher à la grande armée. Depuis lors, son opinion sur les héros, sur la guerre, sur le génie des grands capitaines, a été ce qu'on la voit dans la Conversation chez la duchesse d'Albani. Courier n'a plus voulu croire qu'une pensée, une intention quelconque, aient jamais présidé à un désordre tel que celui dont il avait été témoin. Il a été jusqu'à nier absolument qu'il y eût un art de la guerre. A la vérité, on pouvait tomber mieux qu'à Essling et Wagram pour saisir et voir en quelque sorte opérer le génie militaire de Bonaparte. Ce n'est pas à ces deux sanglantes journées, mais aux quinze jours de marches et d'opérations qui les amenèrent, que la campagne de 1809 doit sa juste immortalité. Courier l'eût compris mieux que personne, si ses émotions de Wagram ne l'eussent brouillé sans retour avec la guerre.

de gloire et d'ambition! Courier sollicitant la pro- | armée. Mais Courier ne savait pas ce que c'était tection d'un grand seigneur de l'empire, et briguant l'occasion de se distinguer sous les yeux de l'empereur! C'est pourtant ce qui arriva à l'auteur des | lettres écrites d'Italie. Il eut son grain d'ambition, son quart d'heure de folie, comme un autre; la tête aussi lui tourna. Mais cela ne dura guère; il en revint bientôt avec mécompte et corrigé pour toute sa vie. Voici l'histoire. Vers la fin de l'année 1808, Courier ayant sollicité, sans pouvoir l'obtenir, un congé qui lui permît d'aller prendre un peu de soin de ses affaires domestiques, avait donné sa démission. Il arrive à Paris, se donnant aux érudits, ses anciens amis, comme séparé pour jamais de son vil métier, comme ayant de la gloire par-dessus les épaules. Mais voilà qu'une nouvelle guerre se déclare du côté de l'Allemagne. Les immenses préparatifs de la campagne de 1809 mettent la France entière en mouvement. Paris est encore une fois agité, | transporté dans l'attente de quelqu'une de ces merveilles d'activité et d'audace auxquelles l'empereur a habitué les esprits, et dont les récits plaisent à cette population mobile, comme ceux des victoires d'Alexandre au peuple d'Athènes. C'était alors le flot le plus impétueux de notre débordement militaire; et Bonaparte, comme porté et poussé par cet ouragan, brisait et abîmait sous lui de trop impuissantes digues. En ce moment, il revenait d'Espagne, où il lui avait suffi de paraître un instant pour ramener à nous toutes les chances d'une guerre, d'abord peu favorable. D'autres armées l'avaient précédé vers le Danube, et il y courait en toute hâte, parce que déjà ses instructions étaient mal comprises, ses ordres mal exécutés. Quel homme alors, en le contemplant au passage, n'eût été atteint de la séduction commune? Courier ne résista point au désir de voir s'achever cette guerre qui commençait comme une Iliade. Ce n'était point un esprit sec, étroit, absolu. Il avait la prompte et hasardeuse imagination d'un artiste. Faire une campagne sous Bonaparte, lui qui n'avait jamais vu que des généraux médiocres; rencontrer peutêtre l'homme qu'il lui fallait, l'occasion qu'il n'avait jamais eue; montrer que s'il faisait fi de la gloire, ce n'était pas qu'il ne fût point fait pour elle : toutes ces idées l'entraînèrent.

Le voilà donc faisant son paquet et partant furtivement dans la crainte du blâme de ses amis. La difficulté était d'être rétabli sur les contrôles de l'armée après une démission, chose que l'empereur ne pardonnait pas. Il se glisse comme ami dans l'état major d'un général d'artillerie; et, sans fonctions, sans qualités bien décidées, il arrive à la grande

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La vie de Courier n'est désormais plus que littéraire. A peine arrivé en Italie, il se rendit à Florence pour y chercher dans la bibliothèque Laurentine un manuscrit de Longus, dans lequel existait un passage inédit qui remplissait la lacune remarquée dans toutes les éditions de ce roman. Mais, dans le transport avec lequel il se livrait au bonheur de sa découverte, une certaine quantité d'encre se répandit sur le précieux passage. C'est là l'histoire de ce fameux pâté qui sembla, en barbouillant trois

mots grecs, avoir détruit le palladium de Florence. | Coblentz, hypocritement parée de l'olivier de paix. Les bibliothécaires dénoncèrent Courier au monde | Mais, voir la France deux fois envahie, pillée, insavant, comme ayant anéanti ce grec dans l'original sultée, mise à contribution, et tous ces malheurs, pour trafiquer de la copie, ou pour empêcher qu'on toute cette honte ne tourner d'abord qu'au profit pût vérifier la découverte qu'il s'attribuait. L'affaire d'une famille qui trouvait le trône vide et s'y reeût fait peu de bruit si Courier n'eût voulu répondre plaçait; voir une poignée d'émigrés, vagabonds et aux attaques des bouquinistes qui le poursuivaient; mendiants de la veille, se donner l'orgueil et remais il fit, sous le titre de Lettre à M. Renouard, vendiquer insolemment l'odieux de ces deux conlibraire de Paris, qui s'était trouvé présent à la quêtes; voir d'affreuses persécutions éclater jusque découverte du Longus, quelques pages remplies de dans la plus paisible, et de tout temps la moins réce fiel satirique, de cette verve de raillerie mépri- volutionnaire de nos provinces, contre quiconque sante et cruelle, dont il n'y avait plus de modèles n'avait pas refusé un gîte et du pain à nos tristes depuis les réponses de Voltaire à Fréron et à Des- vaincus de Waterloo; il n'y avait pas d'animosité fontaines; et c'était le style des Provinciales. La contre Bonaparte, pas de ressentiment contre la lettre à Monsieur Renouard ne pouvait manquer | tyrannie militaire, pas d'amour du repos et de préféd'attirer l'attention. Le gouvernement lui-même rence studieuse, qui pût tenir à un pareil spectacle, s'en inquiéta. Courier avait voulu intéresser à sa chez un homme aussi droit, aussi impressionnable querelle l'opinion française, toute faible qu'elle que l'était Courier. Aussi bientôt se montra-t-il était alors. Il insinuait que les pédants florentins parmi les adversaires du nouvel ordre de choses. ne s'attaquaient à lui si vivement que parce qu'il Alors seulement il éprouva quelque fierté d'avoir était Français, et qu'on était bien aise en Italie de autrefois combattu l'étranger dans les armées de la s'en prendre à un pauvre savant de la haine qu'ins- république; alors aussi il cessa de se désavouer luipirait la vice-royauté. La chose étant montée si même comme soldat de l'empire; car à Florence, haut, on sut que l'homme de la tache d'encre était à Mayence, à Marengo, à Wagram, c'était le même précisément un chef d'escadron qu'on réclamait à drapeau, c'était la même nécessité révolutionnaire, l'armée depuis Wagram. Voilà Courier dans un vaincre pour n'être pas enchaînés, conquérir pour grand embarras pour s'être si bien vengé des bi- n'être pas conquis. bliothécaires florentins. Le ministre de l'intérieur voulait le poursuivre comme voleur de grec, et dans le même temps celui de la guerre prétendait le faire juger comme déserteur. Il s'en tira toutefois, mais à la condition de ne plus employer contre personne cette plume qui venait de révéler sa terrible puis-triotisme le plus désintéressé. La singularité si rare sance: il se le tint pour dit. Courier ne fit donc plus qu'étudier et voyager jusqu'à la paix. Il voyageait en 1812, à l'époque de la conspiration de Mallet. Il était sans passe-port; on l'arrêta comme suspect, puis on le relâcha en reconnaissant qu'il ne se mêlait point de politique. Ce fut là son dernier démêlé avec le régime militaire impérial.

La restauration des Bourbons, le retour et la seconde chute de Bonaparte, se succédèrent trop rapidement pour tirer Courier de l'inactivité politique à laquelle il s'était condamné. La catastrophe lui avait paru dès longtemps inévitable, et peut-être il y voyait à gémir à la fois et à espérer. D'ailleurs, un mariage, qui, sur ces entrefaites mêmes, était venu combler tous ses vœux, l'absorbait en partie. Ainsi, dans ces deux années désastreuses, dont les résultats dominent encore l'époque actuelle, Courier ne prit point parti entre Bonaparte et la coalition, entre la vieille cause de Fleurus, qui de lassitude laissait tomber l'épée, et celle de

En se déterminant à élever la voix et à dire au public son avis sur les affaires, Courier avait senti, comme un autre, le besoin d'arranger son personnage; et, par un bonheur peu commun, tout dans sa vie passée prenait sans effort le caractère du pa

d'avoir été quinze ans les armes à la main contre les coalitions et l'émigration, sans obtenir, sans briguer faveur ni titres, sans être d'aucun des partis qui s'étaient disputé le pouvoir, lui devenait d'un merveilleux secours pour l'autorité de ses paroles. Ce qui parfois était le fait d'une humeur un peu bizarre, d'un esprit distrait et capricieux, passait sur le compte de la fermeté de caractère et de la supériorité de jugement. Le vigneron de Touraine faisait désormais un même homme avec l'ancien canonnier à cheval. Ce n'était plus par hasard, mais par amour du pays, qu'il était allé à la frontière en 1792. Ce n'était plus par insouciance qu'il était demeuré dans son humble condition, mais par haine du pouvoir qui corrompt. Soldat par devoir, paysan par goût, écrivain par passe-temps, tel il se donnait et tel il fut pris. D'ailleurs ne voulant de la charte qu'autant que le gouvernement en voulait, ni plus ni moins, et ne croyant pas à la subite illumination des aveugles-nés, il prétendait appeler les choses

par leur nom, parler aux puissances, suivant leurs intentions bien connues, et non pas suivant celles qu'une opposition trop polie voulait bien leur accorder l'attitude était vraiment unique.

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tion de Luynes. Ses amis avaient tous blâmé l'âpreté de ce nouvel écrit. Lui s'étonnait qu'on pût y voir autre chose que ce que tout le monde pensait des académies et de certains académiciens. On sait l'his

mie, uniquement fondée, d'après son dire actuel, « pour composer des devises aux tapisseries du roi « et, en un besoin, aux bonbons de la reine. » Si Courier était coupable ici de quelque légèreté, il en fut

En tout cela Courier n'obéissait pas moins à l'ins-toire de cette lettre. Courier s'était présenté pour tinct de son talent qu'à son indignation d'honnête succéder, à l'Académie des inscriptions, à Clavier, homme et de citoyen, contre un système de persé- son beau-père. A l'en croire, il avait parole du plus cution qui atteignait autour de lui quiconque ne grand nombre des académiciens, et cependant, au voulait point être persécuteur. Son début ne se fit jour de l'élection, il avait été unanimement rejeté. pas longtemps attendre. Au mois de décembre Il s'en fàcha et fit la lettre. On remarqua que, puis1816, il adressa aux chambres, pour les habitants qu'il avait trouvé la place de Clavier assez honorable de Luynes, la fameuse pétition : Messieurs, je suis pour la vouloir occuper après lui, il s'était fustigé Tourangeau : la sensation fut des plus vives. Ce n'é- lui-même sur cette prétention en voulant humilier tait que le tableau de la réaction royaliste dans un le corps entier des académiciens; qu'il était peu convillage de Touraine; mais la France entière s'y pou-séquent à lui d'avoir frappé à la porte d'une acadévait reconnaître, car partout la situation était la même, avec une égale impossibilité de publier la vérité. Courier avait rendu à la nation cet immense service de publicité, dans un écrit de six pages fait pour être recherché de ceux mêmes qui, s'intéres-puni dans le temps par l'endroit le plus sensible à un sant moins aux victimes qu'aux persécuteurs, se piquaient d'aimer l'esprit en gens de cour. Or, c'était là le point : tout dire dans une feuille d'impression, et savoir se faire lire. Courier y avait réussi; aucune porte fermée n'avait pu empêcher cette vérité d'arriver à son adresse. M. Decazes, alors ministre de la police, se servit de la pétition contre le parti extrême qu'il ne gouvernait plus et qui voulait le renverser lui-même. Il chercha par toutes sortes de moyens à s'attacher Courier, mais inutilement. Courier ne voulait pas plus qu'auparavant se faire une carrière politique. Il était bien réellement paysan, occupé de sa vigne, de ses bois, de ses champs. Précisément alors ses propriétés avaient à souffrir de la part de gens qui trouvaient protection auprès des autorités du pays; et il était toujours allant et venant de Paris à sa terre, de sa terre à Paris, poussant un procès contre l'un, demandant inutilement justice contre l'autre. Comme M. Decazes réitérait auprès de lui ses assurances d'envie de lui être utile, il crut pouvoir profiter de dispositions si rares de la part d'un ministre, au moins pour obtenir dans son village, repos du côté des autorités, et satisfaction de ceux qui volaient impunément ses bois. Il parut dans les salons ministériels du temps, et cela seul suffit pour faire changer de conduite à son égard le préfet du département, et tout ce qui dépendait du préfet. C'était là tout ce qu'il voulait ; il remercia, salua, et ne reparut plus.

La lettre A Messieurs de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, donnée en 1820, coupa court aux petites attentions ministérielles, dont Courier avait continué d'être l'objet depuis la péti

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auteur. Sa lettre aujourd'hui si admirée n'eut d'abord point de succès. Ce qu'on appelait la méchanceté et la vanité blessée de l'académicien aspirant, ferma beaucoup d'yeux sur l'art infini avec lequel était composé ce petit écrit, ou plutôt on fut sciemment injuste, parce que la personnalité maniée si cruellement effraye jusqu'aux rieurs, pour peu qu'ils soient exposés à rencontrer un si terrible homme et à lui déplaire. « Nulle part cependant Courier n'a répandu avec plus de bonheur les traits d'une satire « à la fois bouffonne et sérieuse, qui excite le rire « en même temps qu'elle soulève l'indignation et le mépris, telle qu'on l'admire dans les immortelles « Provinciales. » C'est le jugement émis par Courier lui-même dans une courte notice sur sa personne et sur ses écrits, qui n'a point été publiée sous son nom, mais dans laquelle il est impossible de le méconnaître, et dont il serait ridicule de rougir ici pour lui 1. S'il était possible de prendre ainsi sur le fait tous ceux qui, dans les biographies et dans les journaux, se sont chargés de parler d'eux-mêmes, et l'ont fait avec quelque avantage pour leur réputation, l'histoire littéraire de ce temps aurait à recueillir nombre de plaisantes confidences d'amour-propre : tel n'est point le caractère de la petite notice dont il est question ici. Courier n'y a point changé sa manière si connue; il n'a probablement ni espéré ni désiré qu'on s'y trompât; et sans précautions oratoires, sans ambages, sans grimaces de fausse

L'opinion de Madame Courier et de quelques personnes qui ont connu très-particulièrement Courier, est que cette notice n'est point de lui. L'auteur de cet Essai a cru pouvoir, qu'il a émise ici. malgré des autorités si respectables, persister dans l'assertion

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