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d'autres souverains, essayèrent aussi de restaurer | l'ancien culte; ils n'y réussirent pas, et même, comme on sait, mal en prit à quelques-uns. En matière de religion, ainsi que de langage, le peuple fait loi; le peuple de tout temps a converti les rois. Il les a faits chrétiens, de païens qu'ils étaient; de chrétiens catholiques, schismatiques, hérétiques, il les fera raisonnables, s'il le devient lui-même; il faut finir par là.

depuis qu'on nous prêche moins. Ne point voler, ne point tuer, ne convoiter la femme ni l'âne, honorer père et mère, nous pratiquons tout cela mieux que n'ont fait nos pères, et mieux que ne font actuellement, non tous nos prêtres, mais quelques-uns, revenus de lointain pays. Rarement à courir le monde devient-on plus homme de bien; mais un ecclésiastique, dans la vie vagabonde, prend d'étranges habitudes. Messire Jean Chouart était bon homme, tout à son bréviairè, à ses D'autres disent: Il y aurait moyen, si on le ouailles; il était doux et humble de cœur, secou- voulait tout de bon, de rallumer le zèle dans les rait l'indigent, confortait le dolent, assistait le cœurs un peu tièdes pour la vraie religion; le moyen mourant; il apaisait les querelles, pacifiait les fa- serait de la persécuter : infaillible recette éproumilles : le voilà revenu d'Allemagne ou d'Angle- vée mille fois, et même de nos jours. La religion terre, espèce de hussard en soutane, dont le hardi doit plus aux gens de 93 qu'à ceux de 1815. Si regard fait rougir nos jeunes filles, et dont la lan- | elle languit encore, et s'il faut un peu d'aide au gue sème le trouble et la discorde; hardi, querel- culte dominant, comme l'assurent les ministres, leur, cherchant noise; c'est un drôle qui n'a pas la chose est toute simple. Au lieu de gager les prêpeur, tout prêt à faire feu sur les bleus, au pre- tres, mettez-les en prison et défendez la messe ; mier signe de son évêque. Tels sont nos prêtres de demain le peuple sera dévot, autant qu'il le peut retour de l'émigration. Ils ont besoin de bons être à présent qu'il travaille; car l'abbé de la exemples et en trouveront parmi nous. Mais si Mennais a dit une vérité : Le mal de notre siècle, nous sommes plus forts qu'eux sur les comman- en fait de religion, ce n'est pas l'hérésie, l'erreur, dements de Dieu, ils nous en remontrent a leur les fausses doctrines; c'est bien pis, c'est l'indiftour sur les commandements de l'Église, qu'ils se férence. La froide indifférence a gagné toutes les rappellent mieux que nous, et dont le principal classes, tous les individus, sans même en excepter est, je crois, donner tout son bien pour le ciel. | l'abbé de la Mennais et d'autres orateurs de la Vous me demandez, disait ce bon prédicateur cause sacrée, qui ne s'en soucient pas plus, et le Barlette, comment on va en paradis ? Les cloches font assez voir. Ces amis de l'autel ne s'en approdu couvent vous le disent: donnez, donnez, chent guère : Je ne remarque point qu'ils handonnez. Le latin du moine est joli. Vos quæritis tent les églises. Quel est le confesseur de M. de a me, fratres carissimi, quomodò itur ad pa- Châteaubriand? Certes ceux qui nous prêchent radisum? Hoc dicunt vobis campanæ monaste- ne sont pas des Tartufes, ce ne sont pas des gens rii, dando, dando, dando. qui veuillent en imposer. A leurs œuvres on voit qu'ils seraient bien fâchés de passer pour dévots, d'abuser qui que ce soit : ils ont le masque à la main.

LETTRE VIII.

MONSIEUR,

Véretz, 20 décembre 1819.

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C'est toi qui l'as nommé, docte abbé : notre mal et le tien, l'indifférence pour la religion. It en a fait un livre, comme ces médecins qui composent les traités sur une maladie dont eux-mêmes sont atteints, et en raisonnent d'autant mieux. Il dit en un endroit, et j'ai bonne mémoire : Est-ce

Chacun ici commente à sa manière le discours royal d'ouverture. Il y a des gens qui disent: On ne restaure point un culte. Les ruines d'une maison, c'est le mot du bonhomme, se peuvent ré-faute de zèle qu'on ne dispute plus, ou faute de parer, non les ruines d'un culte. Dieu a permis que l'Eglise romaine, depuis le temps de Léon X, déchût constamment jusqu'à ce jour. Elle ne périra point, parce qu'il est écrit : Les portes de l'enfer....; mais sont-ce nos ministres qui la doivent relever avec le télégraphe, ou M. de Marcellus avec quelques grimaces? Pour restaurer le paganisme à Rome, les empereurs firent tout ce qu'ils purent, et ils pouvaient beaucoup; ils n'en vinrent point à bout. Marie, en Angleterre, et

disputes qu'il n'y a plus de zèle? Je trouve, quant à moi, que l'on dispute assez et que le zèle ne manque pas; mais depuis quelque temps il a changé d'objet : car, même dans ce qui s'écrit sur la religion maintenant, de quoi est-il question? De la présence réelle? en aucune façon. De la fréquente communion? nullement. De la lumière du Thabor, de l'immaculée conception, de l'accessibilité, de la consubstantialité du Père et du Fils, aussi peu? De quoi donc s'agit-il ? du revenu

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des prêtres, des biens vendus, de la dîme et des bois du clergé, soit futaies ou taillis voilà de quoi l'on dispute. Ajoutez-y les donations, les legs par testament, l'argent, l'argent comptant, les espèces ayant cours : voilà ce qui enflamme le zèle de nos docteurs, voilà sur quoi on argumente; mais de Caron, pas un mot. Du dogme, on n'en dit rien; il semble que là-dessus tout le monde soit d'accord; on s'embarrasse peu que les cinq propositions soient ou ne soient pas dans le livre de Jansenius. Il est question de savoir si les évêques auront de quoi entretenir des chevaux, des laquais, et des...

On demandait naguère au grand vicaire de S.... Quels sont vos sentiments sur la grâce efficace, sur le pouvoir que Dieu nous donne d'exé- | cuter les commandements? Comment accordezvous avec le libre arbitre le mandata impossibilia volentibus et conantibus? Que pensez-vous de la suspension du sacrement dans les espèces, et croyez-vous qu'il en dépende, comme la substance de l'accident? Je pense, répondit-il en colère, je pense à ravoir mon prieuré, et je crois que je le raurai.

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C'est un homme à connaître, que ce grand vicaire de S...., homme de bonne maison et d'excellente compagnie. On dit bien : l'air aisé ne se prend qu'à l'armée. Il a tant vu le monde? sa vie | est un roman. C'est lui dont l'aventure à Londres fit du bruit, quand sa jeune pénitente, belle fille vraiment, épousa le comte d***, officier de cavalerie. Au bout de quinze jours, la voilà qui accouche. Le mari se fâcha; demandez-moi pourquoi? et l'abbé s'en alla, par prudence, en Bohême. Là, on le fit aumônier d'un régiment de Croates. Cette vie lui convenait. Sain, gaillard et dispos, se tenant aussi bien à cheval qu'à table, il disait bravement sa messe sur un tambour, et ne pouvait souffrir que de jeunes officiers restassent sans maîtresse, lorsqu'il connaissait des filles vertueuses qui n'avaient point d'amant; obligeant, bon à tout, le quartier-maitre un jour le prend pour secrétaire. Fort peu de temps après, la caisse se trouva, non comme la pénitente. Bref, l'abbé s'en alla encore cette fois; et de retour en France, depuis quelques années, il y prêche les bonnes mœurs et la restitution.

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Vous vous fâchez contre M. Decazes, et je crois que vous avez tort. Il nous méprise, dites-vous. Sans doute cela n'est pas bien. Mais d'abord, je vous prie, d'où le pouvez-vous savoir, que M. Decazes nous méprise? quelle preuve en avez-vous? Il l'a dit. Belle raison! Vous jugez par ce qu'il dit de ce qu'il pense. En vérité, vous êtes simples. Et s'il disait tout le contraire, vous l'en croiriez ? Il n'en faudrait pas davantage pour vous persuader que M. le comte nous honore, nous estime et révère, et n'a rien tant à cœur que de nous voir contents. Un homme de cour agit-il, parle-t-il d'après sa pensée? Il l'a dit, je le veux, plusieurs fois, publiquement et en pleine assemblée, à la droite, à la gauche; eh bien! que prouve cela? qu'il entre dans ses vues, pour quelque combinaison de politique profonde que nous ignorons vous et moi, de parler de la sorte, de se donner pour un homme qui fait peu de cas de nous et de nos députés; qui craint Dieu et le congrès, et n'a point d'autre crainte; se moque également de la noblesse et du tiers, n'ayant d'égard que pour le clergé. Voilà certainement ce qu'il veut qu'on croie de lui; mais de là à ce qu'il pense, vous ne pouvez rien conclure, ni même former de conjectures, fussiez-vous son intime ami, son confident, ou mieux, son valet de chambre. Car il n'est pas donné à l'homme de savoir ce que pense un courtisan, ni s'il pense. O altitudo!

Vous n'avez donc nulle preuve, et n'en sauriez avoir, de ces sentiments que vous attribuez au premier ministre; mais quand vous en auriez, quand nous serions certains (comme, à vous dire vrai, j'y vois de l'apparence) que M. Decazes au fond n'a pas pour nous beaucoup de considération, faudrait-il nous en plaindre et nous en étonner? Il nous voit si petits de ces hautes régions où la faveur l'emporte, qu'à peine il nous distingue; il ne nous connaît plus; il ne se souvient plus des choses d'ici-bas, ni d'avoir joué à la fossette. Et, en un autre sens, M. Decazes est de la cour; il n'est pas de Paris, de Gonesse ou de Rouen, comme, par exemple, nous sommes de notre pays, chacun de son village, et tous Français; mais lui : La cour est mon pays; je n'en connais point d'autre ; et, de fait, y en a-t-il d'autre? On le sait ; dans l'idée de tous les courtisans, la cour est l'univers; leur coterie, c'est le monde; hors de là, c'est néant. La

nature, pour eux, se borne à l'OEil-de-bœuf. La faveur, la disgrâce, le lever, le débotter, voilà les phénomènes. Tout roule là-dessus. Demandez-leur la cause du retour des saisons, du flux de l'Océan, du mouvement des sphères; c'est le petit coucher. Ainsi M. Decazes, absorbé tout entier dans la contemplation de l'étiquette, des présentations, du tabouret, des préséances, ne nous méprise pas, à proprement parler, il nous ignore.

Mais soit, je veux, pour vous satisfaire, qu'il ait dit sa pensée, comme un homme du commun, naïvement, sans détour, ainsi qu'il eût pu faire avant d'être ce qu'il est; qu'enfin il nous méprise dans le vrai sens du mot, ayant pour nous ce dédain qu'à sa place montrèrent pour la gent gouvernée Mazarin, Bonaparte, Alberoni, Dubois; je lui pardonne encore, et comme moi, Monsieur, vous lui pardonnerez, si vous faites attention à ce que je vais vous dire. On juge par ce qu'on voit de ce qu'on ne voit pas; du tout par la partie que l'on a sous les yeux. Faiblesse de nos sens et de l'entendement humain! on juge d'une nation, d'une génération, de tous les hommes par ceux avec qui l'on déjeune; et ce voyageur disait, apercevant l'hôtesse: Les femmes ici sont rousses. Ainsi fait M. Decazes, ainsi faisons-nous tous. Cette nation qu'il méprise, nous l'estimons; pourquoi? c'est qu'à nos yeux s'offrent des gens dont la vie tout entière s'emploie à des choses louables, et de qui l'existence est fondée sur le travail, père des bonnes mœurs, la foi dans les contrats, la confiance publique, l'observation des lois. Je vois des laboureurs aux champs dès le matin, des mères occupées du soin de leur famille, des enfants qui apprennent les travaux de leur père, et je dis (supposant qu'ils jeûnent le carême): Il y a d'honnêtes gens. Vous voyez à la ville des savants, des artistes, l'honneur de leur patrie, de riches fabricants, d'habiles artisans, dont l'industrie chez nous, secondée

par la nature, lutte contre les taxes et les encouragements; une jeunesse passionnée pour tous les genres d'étude et de belles connaissances, instruite, non par ses docteurs, de ce qui importe le plus à l'homme de savoir, et mieux inspirée qu'enseignée sur le véritable devoir : vous n'avez garde, je crois, de mal penser des Français, de mépriser cette nation, la connaissant par là. Mais le comte Decazes, par où nous connaît-il? et que voit-il? la cour.

Mazarin, étant roi, disait familièrement aux grands qui l'entouraient : « Affe (dans son langage demi-trasteverin), vous m'aviez bien trompé, signori Francesi), avant que j'eusse l'honneur de

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vous voir comme je fais. Que je sois impiso, si je

me doutai d'abord de votre caractère. Je vous trouvais un air de fierté, de courage, de générosité. Non, je ne plaisante point; je vous croyais du cœur. Je m'en souviens très-bien, quoiqu'il y ait longtemps. » Ceci est dit notable, et vient à mon propos. Jules Mazarini, arrivant de son pays avec peu d'équipage et petit compagnon, estime les Français, parce qu'il voit la nation; devenu cardinal, ministre, il les méprise, parce qu'il voit la cour, et cependant la cour alors était polie. Je ne la vois pas, moi, de ma vie je ne l'ai vue, ni ne la verrai, j'espère; mais j'en ai ouï parler à des gens instruits. Les témoignages s'accordent, et, par tous ces rapports, autant que par calcul, méthode géodésique et trigonométrique, je suis parvenu, Monsieur, à connaître la cour mieux que ceux qui n'en bougent; comme on dit que d'Anville, n'étant jamais sorti, je crois, de son cabinet, connaissait mieux l'Égypte que pas un Égyptien; et d'abord je vous dirai, ce qui va vous surprendre, et que je pense avoir le premier reconnu la cour est un lieu bas, fort bas, fort au-dessous du niveau de la nation. Si le contraire paraît, si chaque courtisan se croit, par sa place, et semble élevé plus ou moins, c'est erreur de la vue, ce qu'on nomme proprement illusion optique, aisée à démontrer soit A le point où se trouve M. Decazes à cette heure (haut selon l'apparence, comme serait un cerf-volant dont le fil répondrait aux Tuileries, à Londres ou à Vienne, peu importe), B le point le plus bas appelé point de chute, où gît M. Benoît avec l'abbé de Pure, entendez bien ceci, car le reste en dépend : le rayon visuel passant d'un milieu rare et pur, celui où nous vivons, dans un milieu plus dense, l'atmosphère fumeuse et chargée de miasmes de la cour, nécessairement il y a réfraction; ce qui paraît dessus est en effet dessous. Vous comprenez maintenant; ou, s'il vous demeurait quelque difficulté, consultez les savants, le marquis de Laplace, le chevalier Cuvier; ces gentilshommes, à moins qu'ils n'aient oublié toute leur géométrie en apprenant le blason et l'étiquette, vous sauront dire de combien de degrés la cour est audessous de l'horizon national; et remarquez aussi, tout notre argent y va, tout, jusqu'au moindre sou; jamais n'en revient à nous rien. Je vous le demande, notre argent, chose pesante de soi, tendante en bas! M Decazes, quelque adroit et soigneux qu'on le suppose de tirer à soi tout, saurait-il si bien faire qu'il ne lui en échappe entre les doigts quelque peu, qui, par son seul poids,

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nous reviendrait naturellement si nous étions audessous? telle chose jamais n'arrive, jamais n'est arrivée. Tout s'écoule, s'en va toujours de nous à lui donc il y a une pente; donc nous sommes en haut, M. Decazes en bas, conséquence bien claire; et la cour est un trou, non un sommet, comme il paraît aux yeux du stupide vulgaire. Ne sait-on pas d'ailleurs que c'est un lieu fangeux, où la vertu respire un air empoisonné, comme dit le poëte, et aussi ne demeure guère. Ce qui s'y passe est connu; on y dispute des prix de différentes sortes et valeurs dont le total s'élève chaque année à plus de huit cents millions. Voilà de quoi exciter l'émulation sans doute; et l'objet de ces prix anciennement fondés, depuis peu renouvelés, accrus, multipliés par Napoléon le Grand, c'est de favoriser et de récompenser avec une royale munificence toute espèce de vice, tout genre de corruption. Il y en a pour le mensonge et toutes ses subdivisions, comme flatterie, fourberie, calomnie, imposture, hypocrisie, et le reste. Il y en a pour la bassesse beaucoup et de fort considérables, non moins pour la sottise, l'ineptie, l'ignorance; d'autres pour l'adultère et la prostitution, les plus enviés de tous, dont un seul fait souvent la grandeur d'une famille. Mais pour ceux-là, ce sont les femmes qui concourent; on couronne les maris; du reste, point de faveur, de préférence injuste; la palme est au plus vil, l'honneur au plus rampant, sans distinction de naissance; ainsi le veut la Charte, et le roi l'a jurée. C'est un droit garanti par la constitution, acheté de tout le sang de la révolution; le vilain peut prétendre à vivre et s'enrichir comme le gentilhomme sans industrie, talents, mœurs ni probité, dont la noblesse enrage, et sur cela réclame ses antiques priviléges.

Tout le monde cependant use du droit acquis, comme si on craignait de n'en pas jouir longtemps. Chacun se lance; non: à la cour, on se glisse, on s'insinue, on se pousse. Il n'est fils de bonne mère qui n'abandonne tout pour être présenté, faire sa révérence avec l'espoir fondé, si elle est agréée, d'emporter pied ou aile, comme on dit, du budget, et d'avoir part aux grâces. Les grâces à la cour pleuvent soir et matin; et une fois admis, il faudrait être bien brouillé avec le sort, avoir bien peu de souplesse, ou une femme bien sotte, pour ne rien attraper, lorsqu'on est alerte, à l'épreuve des dégoûts, et qu'on ne se rebute pas. Sans humeur, sans honneur; c'est le mot, la devise: Quiconque ne sait pas digérer un affront... Alerte, il le faut être. Bien des gens croient

la cour un pays de fainéants, où, dès qu'on a mis le pied, la fortune vous cherche, les biens viennent en dormant; erreur. Les courtisans, il est vrai, ne font rien; nulle œuvre, nulle besogne qui paraisse. Toutefois, les forçats ont moins de peine, et le comte de Sainte-Hélène dit que les galères, au prix, sont un lieu de repos. Le laboureur, l'artisan, qui chaque soir prend somme, et répare la nuit les fatigues du jour, voilà de vrais paresseux. Le courtisan jamais ne dort, et l'on a calculé mathématiquement que la moitié des soins perdus dans les antichambres, la moitié des travaux, des efforts, de la constance, nécessaires pour seulement parler à un sot en place, suffirait, employée à des objets utiles, pour décupler en France les produits de l'industrie, et porter tous les arts à un point de perfection dont on n'a nulle idée.

Mais la patience surtout, la patience aux gens de cour, est ce qu'est aux fidèles la charité, tient lieu de tout autre mérite. Monseigneur, j'attendrai, dit l'abbé de Bernis au ministre qui lui criait: Vous n'aurez rien, et le chassait, le poussait dehors par les épaules. J'en sais qui sur cela eussent pris leur parti, cherché quelque moyen de se passer de monseigneur, de vivre par euxmêmes, comme le cocher de fiacre: La cour me bláme, je m'en...; c'est-à-dire : je travaillerai. Ignoble mot, langage de roturier né pour toujours l'être. Le gentilhomme de Louis XVI, noble de race, dit j'attendrai. Le gentilhomme de Bonaparte, noble par grâce, dit j'attendrons. Et tous deux se prennent la main, s'embrassent, amis de cour!

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C'est l'imprimerie qui met le monde à mal. C'est la lettre moulée qui fait qu'on assassine depuis la création; et Caïn lisait les journaux dans le paradis terrestre. Il n'en faut point douter; les ministres le disent; les ministres ne mentent pas, à la tribune surtout.

Que maudit soit l'auteur de cette damnable invention, et avec lui ceux qui en ont perpétué l'usage, ou qui jamais apprirent aux hommes à se communiquer leurs pensées! pour telles gens l'enfer n'a point de chaudières assez bouillantes. Mais remarquez, Monsieur, le progrès toujours croissant de perversité. Dans l'état de nature célébré par Jean-Jacques avec tant de raison, l'homme, exempt de tout vice et de la corruption

des temps où nous vivons, ne parlait point, mais criait, murmurait ou grognait, selon ses affections du moment. Il y avait plaisir alors à gouverner. Point de pamphlets, point de journaux, point de pétitions pour la Charte, point de réclamations sur l'impôt. Heureux âge qui dura trop peu! Bientôt des philosophes, suscités par Satan pour le renversement d'un si bel ordre de choses, avec certains mouvements de la langue et des lèvres, articulèrent des sons, prononcèrent des syllabes. Où étais-tu Séguier? Si on eût réprimé dès le commencement ces coupables excès de l'esprit anarchique, et mis au secret le premier qui s'avisa de dire ba be bi bo bu, le monde était sauvé; l'autel sur le trône, ou le trône sur l'autel, avec le tabernacle, affermis pour jamais, en aucun temps il n'y eût eu de révolutions. Les pensions, les traitements, augmenteraient chaque année. La religion, les mœurs... Ah! que tout irait bien! Nymphes de l'Opéra, vous auriez part encore à la mense abbatiale et au revenu des pauvres. Mais fait-on jamais rien à temps? Faute de mesures préventives, il arriva que les hommes parlèrent, et tout aussitôt commencèrent à médire de l'autorité, qui ne le trouva pas bon, se prétendit outragée, avilie; fit des lois contre les abus de la parole; la liberté de la parole fut suspendue pour trois mille ans, et, en vertu de cette ordonnance, tout esclave qui ouvrait la bouche pour crier sous les coups ou demander du pain, était crucifié, empalé, étranglé, au grand contentement de tous les honnêtes gens. Les choses n'allaient point mal ainsi, et le gouvernement était considéré.

Mais, quand un Phénicien (ce fut, je m'imagine, quelque manufacturier, sans titre, sans naissance) eut enseigné aux hommes à peindre la parole, et fixer par des traits cette voix fugitive, alors commencèrent les inquiétudes vagues de ceux qui se lassaient de travailler pour autrui, et en même temps le dévouement monarchique de ceux qui voulaient à toutes forces qu'on travaillât pour eux. Les premiers mots tracés furent liberté, loi, droit, équité, raison; et dès lors on vit bien que cet art ingénieux tendait directement à rogner les pensions et les appointements. De cette époque datent les soucis des gens en place, des courtisans.

Ce fut bien pis, quand l'homme de Mayence (aussi peu noble, je le crois, que celui de Sidon) à son tour eut imaginé de serrer entre deux ais la feuille qu'un autre fit de chiffons réduits en páte; tant le démon est habile à tirer parti de tout

pour la perte des âmes! L'Allemand, par tel moyen, multipliant ces traits de figures tracées qu'avait inventées le Phénicien, multiplia d'autant les mots que fait la pensée. O terrible influence de cette race qui ne sert ni Dieu, ni le roi, adonnée aux sciences mondaines, aux viles professions mécaniques! engeance pernicieuse, que ne ferait-elle pas si on la laissait faire, abandonnée sans frein à ce fatal esprit de connaître, d'inventer et de perfectionner! Un ouvrier, un misérable ignoré dans son atelier, de quelques guenilles fait une colle, et de cette colle, du papier qu'un autre rêve de gaufrer avec un peu de noir; et voilà le monde bouleversé, les vieilles monarchies ébranlées, les canonicats en péril. Diabolique industrie! rage de travailler, au lieu de chômer les saints et de faire pénitence! il n'y a de bons que les moines, comme dit M. de Coussergue, la noblesse présentée, et messieurs les laquais. Tout le reste est perverti, tout le reste raisonne, ou bientôt raisonnera. Les petits enfants savent que deux et deux font quatre. O tempora! ó mores! O M. Clauzel de Coussergue, ô Marcassus de Marcellus!

Tant il y a qu'il n'y a plus qu'un moyen de gouverner, surtout depuis qu'un autre émissaire de l'enfer a trouvé cette autre invention de distribuer chaque matin à vingt ou trente mille abonnés une feuille où se lit tout ce que le monde dit et pense, et les projets des gouvernants et les craintes des gouvernés. Si cet abus continuait, que pourrait entreprendre la cour, qui ne fût contrôlé d'avance, examiné, jugé, critiqué, apprécié? Le public se mêlerait de tout, voudrait fourrer dans tout son petit intérêt, compterait avec la trésorerie, surveillerait la haute police, et se moquerait de la diplomatie. La nation enfin ferait marcher le gouvernement, comme un cocher qu'on paye, et qui doit nous mener, non où il veut, ni comme il veut, mais où nous prétendons aller, et par le chemin qui nous convient; chose horrible à penser, contraire au droit divin et aux capitulaires.

Mais comme si c'était peu de toutes ces machinations contre les bonnes mœurs, la grande propriété et les priviléges des hautes classes, voici bien autre chose. On mande de Berlin que le docteur Kirkausen, fameux mathématicien, a depuis peu imaginé de nouveaux caractères, une nouvelle presse maniable, légère, mobile, portative, à mettre dans la poche, expéditive surtout, et dont l'usage est tel, qu'on écrit comme on parle, aussi vite, aisément : c'est une tachitypie. On peut, dans un salon, sans que personne s'en doute, imprimer tout ce qui se dit, et, sur le lieu même,

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