Page images
PDF
EPUB

modestie, il a dit de chacun de ses écrits, bonnement, franchement, avec la plus naïve conviction, ce qu'il en pensait. Ce trait peint bien moins les mœurs littéraires de l'époque qu'il ne peint Courier lui-même. Le curieux n'est point en effet à ce qu'il se soit loué de sa propre plume comme tant d'autres, mais au peu de façon et de déguisement avec lequel il s'est rendu ce petit témoignage d'une bonne conscience.

rieux coup d'œil jeté sur elle avec un sentiment si juste de sa valeur d'écrivain. Il est bien impossible de ne pas s'aider de cette curieuse pièce quand on l'a sous les yeux, et ce serait faire au lecteur un véritable tort, que de ne pas laisser parler Courier toutes les fois qu'on est de son avis sur lui-même. On accepte bien un grand capitaine ou un politique fameux pour historien de ses propres actions: on trouve même qu'il est trop peu de tels historiens; Après tout, qu'on ne s'y trompe pas, ces éloges que le plus capable de faire de grandes choses est sont, littérairement parlant, l'exacte mesure de aussi le plus capable d'en bien parler. Pourquoi un l'homme, telle qu'on serait charmé de l'avoir de grand écrivain ne serait-il pas aussi quelquefois le Corneille, de la Fontaine, de Montesquieu, de Mo- meilleur commentateur de ses propres ouvrages? lière, si ces grands écrivains avaient été capables Courier, par exemple, l'homme de son temps qui de parler d'eux-mêmes avec cette liberté ou plutôt sut le mieux l'histoire de notre langue, le seul qui cette ingénuité de bonne opinion. N'est-ce point, ait possédé le génie particulier de chacun des âges par exemple, une bonne fortune de trouver sur les de cette langue, quel serait aujourd'hui le critique Lettres au Censeur, qui parurent en 1820, l'opi- compétent à le juger sur toutes ses parties d'énion de l'écrivain même qui nous ravit, et nous crivain? Boileau, le grand critique du dix-septième vengea par ces hardis opuscules? « La petite col- siècle, n'osa point parler de la Fontaine ; Voltaire en «lection des Lettres au Censeur, dit Courier, comdéraisonna; et jusqu'à ces derniers temps, c'estmença à populariser le nom de l'auteur. Jusque-à-dire jusqu'à Paul Courier, le bonhomme, alà, les éloquentes et courageuses dénonciations Molière seul comprit la supériorité, n'avait peut<< dont il avait poursuivi les magistrats iniques qui être rencontré ni biographie, ni commentateur qui faisaient peser leur despotisme sur la population en sût assez pour parler de lui. a timide et muette des campagnes, n'avaient guère « retenti au delà du département d'Indre-et-Loire. « Il était l'écrivain patriote de sa commune, de son ⚫ canton; il n'était pas encore l'homme populaire « de toute la France. Les Lettres au Censeur, assez répandues, révélèrent au public ce talent et ce « courage nouveau d'un sincère ami du pays, dont l'esprit élevé au-dessus de tous les préju és voit partout la vérité, la dit sans aucune crainte, et la dit de manière à la rendre accessible à tous, vul« gaire, et, si l'on veut même, triviale et villageoise. * Ajoutez à cela que, par un prodige tout à fait a inouï, cet écrivain, qui semble ne chercher que le bon sens, s'exprime avec une pureté et une ⚫ élégance de langage entièrement perdues de nos a jours, et qui empreint ses écrits d'un caractère inimitable.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

α

[ocr errors]
[ocr errors]

a

[ocr errors]

Tout le monde assurément aura reconnu ici la plume du maître, et s'il est impossible de rien ajouter à cet éloge des Lettres au Censeur, on conviendra aussi qu'il n'y a rien à en ôter. C'est de ce même ton, avec cette même absence de pruderie littéraire, que la notice, dont l'anonyme est assez dévoilé, continue l'histoire et l'examen des écrits du vigneron de la Chavonnière. Cette notice est postérieure au Pamphlet des pamphlets, et conséquemment le dernier écrit de Courier, comme s'il eût dû terminer sa carrière par ce rapide et glo

dont

Entre la dernière Lettre au Censeur, et le Simple discours sur la souscription pour Chambord, il y eut un immense progrès dans la réputation de Courier; cependant le talent est le même dans ces deux opuscules. Tout l'avantage du Simple discours est dans l'à-propos, aussi heureux que hardi, de ce fer chaud appliqué sur l'épaule des courtisans, dans le temps même où ils s'agitaient pour donner à un tribut imposé à la faiblesse de beaucoup de gens la couleur d'une amoureuse offrande nationale. Courier fut condamné pour cette brochure à deux mois de prison et à trois cents francs d'amende. On trouva qu'en disant tout haut: Je ne souscrirai point pour donner Chambord au duc de Bordeaux, il avait offensé la morale. « Or, le Simple discours, comme dit très-bien le biographe anonyme, est un des plus éloquents plaidoyers qu'on ait parlés jamais en faveur de la morale, non publique et telle qu'on l'inscrit dans nos lois, mais de la morale véritable, telle que les croyances populaires l'ont reconnue. » On ne s'étonnera point de voir ce mot d'éloquence appliqué à une production en apparence toute simple, toute naïve. Le vigneron de la Chavonnière semble ne parler qu'à des paysans comme lui; mais tout en s'accommodant à leur intelligence, il trouve moyen de faire entendre sur la cour, sur les courtisans, sur les mœurs de l'ancien régime, naturellement rappelées par Chambord, ce lieu témoin de

tant d'illustres débauches, des choses à faire frémir | prêtre, excusé et plaint comme homme, intéresse les intéressés.

La brochure dans laquelle Courier rend compte de son procès, est elle-même un délicieux pamphlet. Quant à l'admirable plaidoyer qui le termine, on ne pense pas que Courier ait jamais sérieusement pensé à le réciter en face de ses juges. Il avait montré trop d'émotion dans les réponses, où il se peint d'une fermeté et d'une ironie si imperturbables, pour être capable de l'assurance nécessaire au débit d'un pareil morceau. Il est probable même que cette harangue étudiée, si belle à la lecture, eût manqué son effet à l'audience; on y eût trop reconnu les effets oratoires calculés dans le cabinet. Si la parole est souveraine, c'est quand l'enfantement de la pensée est visible comme un spectacle, c'est quand un homme privilégié semble divulguer à toute une assemblée le secret de la plus haute des facultés humaines, l'inspiration.

La veille du jour où expirait sa détention de deux mois, Courier fut tiré de la prison de Sainte-Pélagie et conduit devant le tribunal pour un nouveau pamphlet, la Pétition pour des villageois qu'on empêche de danser. Il en fut quitte cette fois pour une simple réprimande; mais, reconnaissant à ce second réquisitoire qu'il lui était désormais impossible de causer, comme il le disait, avec le gouvernement, par la voie de la presse légale, il eut recours à la presse clandestine. Son secret fut si bien gardé, que ses meilleurs amis ne surent pas comment il s'y prenait pour faire imprimer et répandre ses nouvelles causeries, lesquelles se succédaient avec une rapidité plus surprenante encore pour ceux qui avaient entendu parler de la sévérité et de la nécessaire lenteur que Courier apportait dans ses compositions. Ainsi parurent de 1822 à 1824, sans être avouées de leur auteur, mais le faisant trop bien reconnaître, la première et la deuxième réponse aux anonymes; l'une des deux admirable par le récit du forfait de Maingrat, et cette poétique et vivante peinture des combats du jeune prêtre confessant la jeune fille qu'il aime; enfin par ce continuel et si facile passage de la simplicité villageoise la plus naïve, au pathétique le plus déchirant et au raisonnement le plus rigoureux, le plus élevé, le plus entraînant. Tout le dix-huitième siècle a écrit contre les couvents d'hommes et de femmes, contre les voeux de religion, contre la confession des jeunes filles par les jeunes prêtres. Si l'on en excepte la profession de foi du vicaire savoyard de Jean-Jacques, qu'at-on produit dans ce siècle de guerre emportée qui fasse descendre dans les âmes la conviction de l'abus, aussi bien que cette éloquente lettre ou le

presque dans son irrésistible passion, comme victime de cette robe qui n'empêche point le cœur de battre, mais qui lui prescrit le mensonge s'il est faible, qui le pousse au meurtre si la peur de voir révéler son secret l'a saisi.

«

[ocr errors]

«

Le Livret de Paul-Louis, la Gazette du village, ces croquis délicieux, ces comiques boutades d'un ennemi du gouvernement, plus artiste et homme d'esprit que factieux; enfin la Pièce diplomatique, supposition bien hardie, sans doute, de ce qui pouvait se passer en 1823 au fond d'une âme royale quelque peu double et assez mal dévote, précédèrent de très-peu de temps le Pamphlet des pamphlets, qui fut le chant du cygne, comme on l'a bien et tristement dit quelque part. « Cet ouvrage, a dit « Courier dans la notice anonyme, est, à propre«<ment parler, la justification de tous les autres. « L'auteur, qui toujours a su resserrer en quelques « pages les vérités qu'il a voulu dire, s'attache à « démontrer que le pamphlet est, de sa nature, la plus excellente sorte de livre, la seule vraiment populaire par sa brièveté même. Les gros ou« vrages peuvent être bons pour les désœuvrés des « salons; le pamphlet s'adresse aux gens laborieux << de qui les mains n'ont pas le loisir de feuilleter « une centaine de pages. Cette thèse heureuse à la « fois et ingénieuse est soutenue en une façon qu'on appellerait volontiers dramatique. L'opinion d'un << libraire parisien est mise en face de celle d'un << baronnet anglais; l'un prétend flétrir, l'autre glo<< rifier l'auteur du titre de pamphlétaire; et des « débats sortent une foule de ces bonnes vérités qui vont à leur adresse. » Voilà bien l'esquisse décolorée, ou, si l'on veut, tout simplement la donnée du Pamphlet des pamphlets. Mais ici le biographe anonyme laisse trop à dire sur ce magnifique discours dont la lecture doit rendre à jamais déplorable la fin prématurée de Courier. Tout ce qu'il avait produit jusque-là, parfait à beaucoup d'égards, n'était point sans déplaire à quelques lecteurs par le retour fréquent des mêmes formes, par le suranné d'expressions qui montrent la recherche et n'ajoutent pas toujours au sens, par le maniéré de cette naïveté villageoise, un peu trop ingénieuse, qui va se transformant à travers les combinaisons de raisonnements les plus déliées, du paysan au savant et du soldat au philosophe. En un mot, l'art du monde le plus raffiné semblait embarrassé de lui-même. Ce pamphlétaire, qui ne se gênait d'aucune vérité périlleuse à dire, hésitait sur un mot, sur une virgule, se montrait timide à toute façon de parler qui n'était pas de la langue de ses auteurs. Le

«

Pamphlet des pamphlets montra le talent de Courier arrivé à ce période de puissance où l'écrivain n'imite plus personne et prétend servir d'exemple à son tour. On peut voir dans sa correspondance avec madame Courier la confiance lui venant avec ses succès. D'abord il s'étonne, il s'effraye presque de sa célébrité si rapide, il la comprend à peine. N'ayant eu jusque-là de l'esprit que pour lui et pour quelques amis, il semble ne pouvoir se reconnaître dans l'écrivain qui fait la curiosité des salons, et que les feuilles publiques appellent le Rabelais de la politique, le Montaigne du siècle, l'émule heureux de Pascal, l'imitateur heureux de tout ce qu'il y a jamais eu d'inimitable. Mais, assez vite, PaulLouis se rassure; il s'habitue à sa réputation; il éprouve la sympathie universelle du public français pour un talent qu'il n'avait connu, lui, que par le laborieux et pénible côté de la composition. A mesure qu'il produit, on peut remarquer son allure plus dégagée, plus libre, sa manière se séparant de plus en plus de celle des écrivains auxquels on a pu d'abord le comparer, jusqu'à ce qu'enfin elle soit tout à fait l'expression de l'originalité de son esprit et de la trempe un peu sauvage de son caractère. Cet assouplissement graduel est assez marqué depuis la lettre à Monsieur Renouard jusqu'au Simple discours; mais, depuis le Simple discours jusqu'au Pamphlet des pamphlets, il l'est bien davantage. C'est là seulement que la lente formation de ce talent de premier ordre, qui tout à l'heure va disparaître, est accomplie. La maturité peut-être un peu factice des premiers écrits de Courier a fait place à une maturité réelle, dans laquelle la vigueur est alliée à la grâce et l'originalité la plus âpre au naturel le plus parfait. On voit que ce lumineux et mordant génie a rencontré enfin la langue qui convient à ses amères impressions sur les hommes et les choses de son temps, et qu'il va marcher armé de toutes pièces. Dans le Pamphlet des pamphlets ce n'est plus un villageois discourant savamment sur les intérêts publics, c'est Paul-Louis se livrant avec une sorte d'enthousiasme au besoin de dire sa vocation de pamphlétaire et de la venger des mépris d'une portion de la société. Il s'est mis en cause commune avec Socrate, Pascal, Cicéron, Franklin, Démosthène, saint Paul, saint Basile; il s'est environné de ces grands hommes, comme d'une glorieuse milice d'apôtres de la liberté de penser, de publier, d'imprimer; il les montre pamphlétaires comme lui, faisant, chacun de son temps, contre une tyrannie ou contre l'autre, ce qu'il a fait du sien, lançant de petits écrits, attirant, prêchant, enseignant le peuple, malgré les plaisante

ries de la cour, le blâme des honnêtes gens, la fureur des hypocrites et les réquisitoires du parquet; les uns allant en prison comme lui, les autres forcés d'avaler la ciguë ou mourant sous le fer de quelque ignoble soldat. Voilà le Pamphlet des pamphlets, morceau d'un entraînement irrésistible, et dont le style, d'un bout à l'autre en harmonie avec le mouvement de l'inspiration la plus capricieuse et la plus hardie, est peut-être ce que l'on peut citer dans notre langue de plus achevé comme goût et de plus merveilleux comme art.

On ne s'est point arrêté aux derniers travaux de Courier comme helléniste. Le plus important, sa traduction d'Hérodote, n'a point été achevé. Ce n'est guère ici le lieu de discuter le système dans lequel cette traduction a été commencée. Courier s'en est expliqué dans une préface qui n'a point mis tout le monde de son avis, mais qui a peut-être donné l'idée la plus complète des richesses littéraires silencieusement acquises par lui pendant ses campagnes, ses voyages, ses séjours à Naples, à Rome, à Paris, et sa dernière retraite en Touraine. Ce n'est pas trop de dire qu'il avait encore toute une réputation à se faire comme critique.

Voilà l'écrivain que la France a perdu dans toute la vigueur de son talent, et la tête plus que jamais pleine de projets. L'Europe sait que Paul-Louis Courier a été, le 10 avril 1825, atteint d'un coup de fusil à quelques pas de sa maison, et qu'il est mort sur la place.

On verra qu'une année avant sa tragique fin, Courier se faisait dire dans son Livret : Paul-Louis, les cagots te tueront. Le procès auquel a donné lieu cette déplorable mort n'a point accusé les cagots : aujourd'hui même encore on n'accuse personne. Quelques amis de Courier savent seulement que, devenu dans ses dernières années d'une humeur assez difficile, il n'était pas sans ennemis dans son voisinage. Mais ce dont il est impossible de n'être pas vivement 'frappé, c'est le vague pressentiment de malheur qui règne dans la dernière partie du Pamphlet des pamphlets. Quelques lignes semblent être un confus adieu de Courier à la vie, à ses études favorites, à sa carrière déjà si glorieuse, un involontaire retour sur lui-même, et comme un touchant désaveu de ses préventions contre son temps. « Détournez de moi ce calice, dit-il; la ciguë est amère, et le monde se convertit assez sans que « je m'en mêle, chétif; je serai la mouche du coche, qui se passera bien de mon bourdonnement; il << va, mes chers amis, et ne cesse d'aller. Si sa mar« che nous paraît lente, c'est que nous vivons un « instant; mais que de chemin il a fait depuis cinq

«

«

14

ESSAI SUR LA VIE ET LES ÉCRITS DE PAUL-LOUIS COURIER.

« ou six siècles! à cette heure, en plaine roulant, << rien ne le peut plus arrêter. »

C'est parmi ces espérances d'un temps meilleur pour la France et pour l'humanité, que l'ardent ennemi des oppresseurs de grande et de petite taille, héros ou cagots, semblait pressentir à la fois et la fin et l'inutilité prochaine de son rôle de pamphlétaire. Il y a six ans de cela, et certes le coche n'est point resté depuis lors immobile. Hier il avançait, aujourd'hui il recule. C'est toujours la lutte des passions et des ineptes fantaisies de quelques débris d'ancien régime contre les résultats de la révolution. Assurés de vaincre un jour, mais pressés d'en finir, qui de nous n'a point senti cruellement dans ces derniers temps l'absence de Paul-Louis Courier? Combien

de fois ne s'est-on pas surpris à penser qu'en tel
acte arbitraire ou honteux, le pouvoir qui se riait
des attaques concertées de cent journaux, eût trem-
blé à l'idée de rencontrer la petite feuille du pam-
phlétaire? Non, Courier n'est point oublié et ne
le sera point. La place qu'il occupa dans nos rangs
demeurera vide jusqu'à la fin du combat. Mais,
avant de rencontrer sa destinée, il a du moins gravé
sur l'airain tous les sentiments qui lui furent com-
muns avec nous, et qui absoudraient cette généra-
tion, si jamais elle était accusée d'avoir été muette
spectatrice de toutes les hontes de la France depuis
quinze ans.
ARMAND CARREL.

1er décembre 1829.

[ocr errors][merged small]

MESSIEURS,

(1816.)

Je suis Tourangeau; j'habite Luynes, sur la rive droite de la Loire, lieu autrefois considérable, que la révocation de l'édit de Nantes a réduit à mille habitants, et que l'on va réduire à rien par de nouvelles persécutions, si votre prudence n'y met ordre.

J'imagine bien que la plupart d'entre vous, Messieurs, ne savent guère ce qui s'est passé à Luynes depuis quelques mois. Les nouvelles de ce pays font peu de bruit en France, et à Paris surtout. Ainsi je dois, pour la clarté du récit que j'ai à faire, prendre les choses d'un peu haut. Il y a eu un an environ à la Saint-Martin, qu'on commença chez nous à parler de bons sujets et de mauvais sujets. Ce qu'on entendait par là, je ne le sais pas bien; et si je le savais, peut-être ne le dirais-je pas, de peur de me brouiller avec trop de gens. En ce temps, François Fouquet, allant au grand moulin, rencontra le curé qui conduisait un mort au cimetière de Luynes. Le passage était étroit; le curé, voyant venir Fouquet sur son cheval, lui crie de s'arrêter; il ne s'arrête point; d'ôter son chapeau, il le garde; il passe, il trotte, il éclabousse le curé en surplis. Ce ne fut pas tout; aucuns disent, et je n'ai pas peine à le croire, qu'en passant il jura, et dit qu'il se moquait (vous m'entendez assez) du curé et de son mort. Voilà le fait, Messieurs; je n'y ajoute n'y n'en ôte; je ne prends point, Dieu m'en garde, le parti de Fouquet, ni ne cherche à diminuer ses torts. Il fit mal; je le blâme, et le blâmai dès lors. Or, écoutez ce qui en advint.

Trois jours après, quatre gendarmes entrent chez Fouquet, le saisissent, l'emmènent aux prisons de Langeais, lié, garrotté, pieds nus, les menottes aux mains, et pour surcroît d'ignominie, entre deux voleurs de grand chemin. Tous trois, on les jeta dans le même cachot. Fouquet y fut deux mois, pendant ce temps sa famille n'eut,

pour subsister, d'autre ressource que la compassion des bonnes gens, qui, dans notre pays, heureusement, ne sont pas rares. Il y a chez nous plus de charité que de dévotion. Fouquet donc étant en prison, ses enfants ne moururent pas de faim; en cela il fut plus heureux que d'autres.

On arrêta, vers le même temps, et pour une cause aussi grave, Georges Mauclair, qui fut détenu cinq à six semaines. Celui-là avait mal parlé, disait-on, du gouvernement. Dans le fait, la chose est possible; peu de gens chez nous savent ce que c'est que le gouvernement; nos connaissances sur ce point sont assez bornées; ce n'est pas le sujet ordinaire de nos méditations; et si Georges Mauclair en a voulu parler, je ne m'étonne pas qu'il en ait mal parlé ; mais je m'étonne qu'on l'ait mis en prison pour cela. C'est être un peu sévère, ce me semble. J'approuve bien plus l'indulgence qu'on a eue pour un autre, connu de tout le monde à Luynes, qui dit en plein marché, au sortir de la messe, hautement, publiquement, qu'il gardait son vin pour le vendre au retour de Bonaparte, ajoutant qu'il n'attendrait guère, et d'autres sottises pareilles. Vous jugerez là-dessus, Messieurs, qu'il ne vendait ni ne gardait son vin, mais qu'il le buvait. Ce fut mon opinion dans le temps. On ne pouvait plus mal parler. Mauclair n'en avait pas tant dit pour être emprisonné; celui-là cependant on l'a laissé en repos, pourquoi ? c'est qu'il est bon sujet : et l'autre ? il est mauvais sujet ; il a déplu à ceux qui font marcher les gendarmes : voilà le point, Messieurs. Châteaubriand a dit dans le livre défendu que tout le monde lit: Vous avez deux poids et deux mesures; pour le méme fait, l'un est condamné, l'autre absous. Il entendait parler, je crois, de ce qui se passe à Paris; mais à Luynes, Messieurs, c'est toute la même chose. Êtes-vous bien avec tels ou tels? bon sujet, on vous laisse vivre. Avez-vous soutenu quelque procès contre un tel, manqué à le saluer, querellé sa servante, ou jeté une pierre à

« PreviousContinue »