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ACTE CINQUIÈME.

Un oratoire. Grande porte au fond; portes latérales. A gauche, un prie-Dieu en chêne; sur la muraille, un portrait de femme.

SCÈNE PREMIÈRE.

DELLEMARE, entrant, suivi de PÉRINETTE, de BALANDIER,

de LORIOT et de PLUSIEURS DOMESTIQUES.

DELLEMARE.

Jacques, montez à cheval et courez dans la direction de la Vous, à bride abattue sur le chemin de Nyon. Allez.

Vatay.

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BALANDIER.

Ma foi! moi je vais mettre aussi mes gens en campagne.

DELLEMARE, à un troisième domestique.

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(Il sort.)

Qu'on fasse le guet, et qu'au moindre indice on vienne m'avertir. Je reste ici, chez mademoiselle Élise, dans son oratoire. (Le domestique sort.) Ah! quelle anxiété! que croire et que faire? Élise s'est-elle enfuie d'elle-même? Et si elle a été entraînée ou contrainte, qui accuser? Varade ou Everard? Ah! Varade est bien capable d'avoir osé un coup pareil, au risque de me faire passer pour son complice!... Vous dites donc, vous, Loriot, que le maître d'école?...

LORIOT, hypocritement.

Je dis que je suis allé hier au soir prévenir en cachette M. Éverard que mademoiselle Élise l'attendrait, après la fête, au creux de la Roche Noire. Voilà tout ce que je dis.

PÉRINETTE.

Oui, mais qui est-ce qui vous avait donné cette commission-là? qui est-ce qui a procuré à Élise les clefs pour s'échapper? expliquez donc ça un peu!

LORIOT.

Et vous, qu'est-ce que votre Bux était dans l'affaire? expliquez donc ça aussi.

PÉRINETTE, troublée.

Bux?... je ne sais pas... mais si c'est pour le bien que... (A elle-même.) O mon Dieu! avec Bux on n'ose trop rien dire!

LORIOT.

Et je soupçonne, moi, que Bux marche à présent d'accord avec M. Everard.

DELLEMARE.

Ah! si ce pouvait être M. Éverard! si je n'avais à m'en prendre qu'à lui! Ah! se cachât-il au bout du monde, je saurais bien le retrouver et le punir! je saurais bien...

Mère! mère !...

PÉRINET, en dehors.

PÉRINETTE.

Écoutez, monsieur! la voix de Périnet!

PÉRINET, entrant et se jetant au cou de sa mère.

Mère! voilà Élise! (La porte du fond s'ouvre à deux battants. ÉVERARD paraît, donnant la main à ÉLISE. Il est grave et calme. En entrant dans l'oratoire, il promène sur tous les objets un regard ému et recueilli. VARADE, BUX et quelques jeunes gens entrent derrière lui,)

DELLEMARE.

Élise! monsieur Éverard!

SCENE II.

ÉVERARD, ÉLISE, DELLEMARE, VARADE, BUX, BALANDIER, PÉRINETTE, PÉRINET, LORIOT,

GENS DU VILLAGE, DOMESTIQUES.

ÉVERARD.

Monsieur, je vous ramène Élise. J'ai voulu la remettre moimême entre vos mains, entre les mains du seul protecteur que la loi lui donne, afin qu'aucune supposition injurieuse ne pût vous atteindre, vous ou elle.

DELLEMARE.

Monsieur... excusez-moi, mais ma surprise égale ma joie! c'est vous, monsieur Éverard! vous qui...

VARADE.

Oui, mon cher, remerciez M. Éverard; remerciez-le deux fois. J'épouse ce matin même mademoiselle Élise, que M. Éverard reconnaît dès à présent pour sa seule héritière.

Un tel changement?

DELLEMARE.

VARADE.

Je vous l'expliquerai dès que j'aurai eu avec M. Éverard un moment d'entretien, et s'il veut bien me l'accorder?...

ÉVERARD.

J'allais, monsieur, le réclamer de vous.

VARADE.

Vous plaît-il que je vous suive chez vous? à moins qu'il ne vous convienne de rester ici.

ÉVERARD, avec émotion.

Dans ce lieu deux fois religieux? pourquoi non? Et si M. Dellemare n'y voit pas d'obstacle...

DELLEMARE.

Monsieur, vous êtes chez Élise.

ÉLISE, à Éverard.

Faut-il donc que je vous laisse, mon ami? Ah! il me semble à présent que tout me quitte quand vous me quittez.

ÉVERARD.

Dès que je serai seul, Élise, revenez, revenez bien vite!

ÉLISE, tristement.

Hé! pourquoi m'éloigner? tout n'est-il pas fini?

ÉVERARD.

Non! je lutterai jusqu'à la dernière seconde ! J'ai l'espérance invincible!

BALANDIER, bas, à Varade.

Plus de retard cette fois, ou vous êtes perdu! il ne vous reste que trois heures.

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Bux ! courez chez Mathieu, et dites-lui d'atteler sur-le-champ et de m'amener ici sa voiture.

ÉLISE, à elle-même, reconduite par Dellemare.

Que veulent-ils encore l'un et l'autre, mon Dieu? (Tous sortent.)

SCÈNE III.

ÉVERARD, VARADE. (Les deux hommes s'entre-regardent d'abord en silence, s'observant et s'attendant l'un l'autre.)

VARADE.

Vous m'avez tenu parole, monsieur; vous avez compris que demain comme aujourd'hui je serais sûr de l'indulgence.de Dellemare, et que demain pas plus qu'aujourd'hui, vous n'auriez le droit de veiller sur mademoiselle Élise. Elle va donc tout à l'heure être ma femme, et votre premier engagement sera rempli. Mais ne vous semblera-t-il pas bien étrange que j'ose vous parler déjà du second?

ÉVERARD.

Nullement. Je m'y attendais.

VARADE, surpris.

Ah! (A part.) Quelle est sa pensée? (Haut.) C'est qu'une implacable urgence est là qui me presse! Il vous serait à coup sûr intolérable qu'Élise fût la femme d'un banqueroutier. Eh bien, apprenez que toute la fortune qu'elle tient de sa mère va suffire à peine à combler le déficit de notre maison de banque.

Je le savais.

ÉVERARD.

VARADE.

Mais voici ce que vous ne savez pas je ne ferai face moimême à des obligations personnelles immédiates et terribles, nous ne pourrons nous soustraire, Élise et moi, à la ruine et å la honte, qu'en engageant dès à présent une partie des biens que vous nous avez promis... Oh! d'ailleurs, soyez tranquille! en six mois mon crédit rétabli aura refait ma fortune.

ÉVERARD.

A moins que le jeu ne l'ait de nouveau défaite.

VARADE.

Cela me regarde, et, si vous consentez?...

Je refuse.

ÉVERARD.

VARADE, avec colère.

Vous refusez!... Soit! dites non aujourd'hui, la nécessité vous fera dire oui demain !

ÉVERARD.

Vous m'assuriez cette nuit que vous aviez foi dans ma parole. Eh bien! je vous jure sur l'honneur que cette fortune, nécessaire peut-être à votre salut, mais plus nécessaire encore à l'avenir d'Élise, vous ne l'aurez pas, moi vivant!

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Pardon!... je m'emporte! j'ai la fièvre! Mais je serais bien fou de m'effrayer!

ÉVERARD.

Voilà que vous ne croyez déjà plus à mon serment?

VARADE.

Je crois à votre faiblesse. Est-ce que vous pourrez jamais voir de sang-froid déshonorer le nom que va porter Élise?

ÉVERARD.

Aussi ne verrai-je pas cela.

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