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VARADE.

N'interrompez pas pour nous vos églogues, hommes de la nature! il y a vingt francs pour le vainqueur! Ah! tu en es, Loriot? - Dellemare, je tiens dix louis pour Loriot, les faitesvous?

JEAN-FRANÇOIS, qui avait lâché Loriot.

Nom d'une hombe! vous les perdrez! et votre Loriot perdra autre chose, lui! (Il reprend Loriot au collet. Entrent Fabien et Périnet).

FABIEN, séparant François et Loriot.

Eh bien! qu'est-ce que c'est? Mes amis, êtes-vous des hommes!... François, au nom de M. Éverard!....

JEAN-FRANÇOIS, lâchant Loriot.

M. Everard! Diable! est-ce qu'il est là?...

FABIEN.

L'offenserais-tu même absent? surtout absent?

JEAN-FRANÇOIS.

Oh! vous avez raison! — Loriot, la main?

LORIOT, de mauvaise humeur.

Allons, la v❜là ! (a part.) Pour n'avoir qu'une poigne, il l'a rude tout de même!

FABIEN.

A la bonne heure! Merci pour M. Éverard!

DELLEMARE, s'avançant.

M. Éverard ne revient-il pas ce soir, monsieur?

PÉRINETTE, bas, à Fabien.

M. Dellemare... le père d'Élise...

FABIEN, saluant avec respect.

Oh! pardon, monsieur!-Non, M. Éverard ne reviendra pas aujourd'hui. Nous avons vu passer la voiture de Saint-Claude, il n'y était pas.

VARADE, bas, à Dellemare.

Vous voyez que j'étais bien informé. (Haut.) C'est égal! il me paraît, braves montagnards, que, même de loin, M. Éverard vous fait un peu peur!

MATHIEU.

Peur? oh! non pas, monsieur ! mais, avec votre permission, on l'aime et on le respecte.

VARADE.

Peste! je crois bien! monsieur le maître d'école !...

MATHIEU.

Oui, le maître d'école, et aussi le médecin,

et le tout gratis, pour l'amour de Dieu. La seule chose qu'on a jamais pu lui faire accepter, c'est, par surcroît, le devoir d'être le maire de la commune.

VARADE.

Fort patriarcal! il doit être superbe à voir sous l'écharpe!

JEAN-FRANÇOIS.

Oui, vous gouaillez ça, vous de Paris. Mais, voyez-vous, pour nous autres, ce n'est pas rien que celui-là qui écrit nos naissances, nos mariages, nos morts, notre histoire de famille enfin, et qui nous donne à penser autrement que tous les jours. Moi, par exemple, quand je suis parti pour l'armée, M. Éverard m'a fait la conduite, et dans son embrassade d'adieu j'ai senti la consolation comme si mon petit pays me prêtait à mon grand pays. Et au retour, après la campagne d'Italie, qui m'a rapporté un bras de moins et mon congé forcé, M. Éverard m'a encore reçu le premier, et m'a dit : « Bien! tu as fait ton devoir! » Et j'ai été de même fier et content comme s'il disait ça de la part de la France! Voilà ce que c'est pour nous, monsieur, que le maire de notre village.

MATHIEU.

Et sur ce, les enfants, si M. le maire ne revient pas, il me semble qu'il se fait temps d'aller au lit.

GÉNÉREUSE.

Je crois bien! neuf heures! quelle heure indue! et il faut vingt minutes pour descendre à Mijoux!

VOIX MÊLÉES.

Bonsoir, Périnette! bonsoir! - Où est ma lanterne?... Hé! toi! tu prends mes galoches!... (Tous, en tumulte, mettent leurs sabots et allument leurs falots.)

JEAN-FRANÇOIS et LORIOT, offrant en même temps le bras à Généreuse. Généreuse!...

GÉNÉREUSE.

Allons! bon! ils vont encore s'exterminer! Loriot, prenez mon bras droit, (à l'oreille de Loriot) côté d'honneur... Et toi, François, mon bras gauche, (à l'oreille de François) côté du cœur! Quelle chance que ma mère ne m'ait point faite manchotte!

MATHIEU.

Et surtout point chiche, Généreuse!

TOUS.

Bonsoir, la Périnette! (Tous sortent par la porte du fond.)

SCÈNE III.

DELLEMARE, VARADE, BALANDIER, FABIEN, PÉRINETTE et PÉRINET.

DELLEMARE, à Périnette.

Vous êtes la personne qui garde la maison de M. Éverard en son absence? Vous vous nommez Périnette Chambrun?

Oui, monsieur.

PÉRINETTE.

DELLEMARE.

Du vivant de ma femme, il y a de cela quelque dix-sept ans, Vous avez été, je crois, pendant un de mes voyages, attachée à son service... (Mouvement de Périnette.) je veux dire vous aviez la confiance de madame Dellemare. Ma fille vous affectionne beaucoup et me parle souvent de vous, de votre fils... que voici, sans doute?

PÉRINETTE.

Oui, monsieur, un bon et gentil petit garçon. M. Éverard ne lui fait qu'un reproche, c'est de travailler trop.

VARADE.

Ma brave femme, nous aurions, dans votre intérêt, à causer avec vous seule.

FABIEN.

Périnette, je vais dans la chambre de M. Éverard achever de ranger ses papiers. (Il salue Dellemare et sort par la droite.)

PÉRINETTE.

Et toi, va dormir, Périnet.

PÉRINET.

Bonsoir, mère. (Bas, à Périnette.) Est-ce qu'il faut absolument que tu entendes ces messieurs-là ?... Écoute, celui qui rit toujours me fait peur!

PÉRINETTE.

Va, ne crains rien; va, mon enfant!

(Elle conduit Périnet, qui sort par la gauche.)

DELLEMARE, bas à Varade, lui montrant Balandier, qui, depuis son entrée, s'est assis immobile et muet à l'écart.

Varade, votre taciturne ami va-t-il donc assister à notre entretien avec cette femme ?

VARADE, s'approchant de Balandier.

Monsieur Balandier?

BALANDIER, bas.

Je vous gêne? Soit, je vais vous attendre au dehors. Je sais qu'il y a une autre issue par le parc du château, mais elle est surveillée.

VARADE.

Vous êtes trop bon! (Ils se saluent. Balandier sort. Revenant à Dellemare.) C'est fait !

DELLEMARE.

Bien! Prenez garde maintenant à ce que vous allez dire, Varade.

VARADE.

Soyez calme! Combiner prudemment, jouer hardiment, c'est mon affaire.

SCÈNE IV.

PÉRINETTE, DELLEMARE, VARADE.

VARADE.

Ce M. Fabien, c'est l'élève favori de M. Éverard, n'est-ce pas? le sujet distingué que ce maître d'école, certes peu ordinaire, a seul mis à même, dit-on, d'en remontrer à toute la Faculté? Est-ce qu'il habite la maison, ce jeune Esculape?

PÉRINETTE.

Non, monsieur, M. Fabién demeure à l'entrée de Mijoux, dans une petite maison qu'il a héritée de ses parents.

DELLEMARE.

De sorte qu'en l'absence de M. Éverard vous êtes seule ici, avec votre fils. Ne craignez-vous rien?

/PÉRINETTE.

Oh! le logis n'est pas bien riche!

VARADE, riant et désignant l'armoire de chêne.

Voilà cependant une espèce de coffre-fort!

PÉRINETTE.

Ça, c'est où monsieur serre ses papiers et les drogues qui pourraient être malfaisantes.

VARADE, bas, à Dellemare.

Entendez-vous? ses papiers!

PÉRINETTE.

D'ailleurs, il n'y a point de mauvaises gens dans ce pays.

VARADE.

Oui-da!... Dites-moi, est-ce que le père de votre fils n'est pas un certain Jérôme Bux, braconnier, contrebandier, réfractaire, qui depuis des années vit en guerre ouverte avec la société et la loi?

PÉRINETTE, tremblante.

Hélas! c'est la vérité!

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