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ÉVERARD.

Je n'ai pas à défendre devant le jugement des hommes celle qui a comparu au jugement de Dieu.

VARADE, bas, à Dellemare.

Il est assez fort! Le dernier coup!

DELLEMARE.

Quoi qu'il en soit, monsieur, si je n'ai pas eu pour Élise l'amour et les soins d'un père, maintenant vous le comprenez, n'est-ce pas ?

ÉVERARD.

Ce que je comprends moins, c'est la cause qui vous a empêché d'user du bénéfice de la loi et de renier Élise pour votre fille.

DELLEMARE.

J'ai reculé, ainsi que vous le disiez tout à l'heure, devant un scandale inutile. Et puis, si je n'aime pas cette jeune fille, je n'ai aucune raison de la haïr; je remplirai jusqu'à la fin mon devoir envers elle. Tenez, — elle ne sait pas encore une chose, personne ne la sait, et je vais vous l'apprendre à vous le premier : - je la marie.

ÉVERARD.

Vous la mariez! vous la mariez! A qui? mon Dieu !

DELLEMARE, désignant Varade.

Je vous présente mon futur gendre.

Oh! C'est impossible!

ÉVERARD.

DELLEMARE.

Comment ce mariage que j'ai résolu serait-il impossible, monsieur Éverard?

VARADE.

Est-ce que j'ai le malheur de déplaire à monsieur Éverard? Est-ce que j'ai l'honneur d'être connu de lui?

ÉVERARD.

Oui, monsieur, je vous connais.

VARADE.

Je suis connu dans le Jura!

ÉVERARD.

Oui, je connais votre passé et je connais votre présent.

VARADE.

Au fait, vous revenez de « la capitale. » Vous vous y êtes donc informé de moi? Ah! ah! je vous serais obligé de m'apprendre comment on me juge à Paris, au point de vue de Mijoux.

ÉVERARD.

Tenez, ne m'en défiez pas!

VARADE.

Pardon! je vous en défie.

ÉVERARD.

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Vous l'aurez voulu! - Vous êtes parti de bas, monsieur, chose honorable quand le cœur s'élève avec la fortune; mais vous êtes arrivé sans travail et vous vous êtes maintenu sans scrupule par l'audace et l'âpreté du joueur. J'hésiterais à vous citer vos spéculations heureuses et à vous rappeler vos succès en face. Aujourd'hui vous êtes ruiné, et il vous faut une dot pour vous refaire un enjeu ! Et l'aventure, l'astuce, le cynisme, la haine, demandent à épouser la candeur, la foi, la bonté, la grâce! Dieu du ciel! je ne dis pas quelle parenté d'âme, mais quel rapport de hasard y a-t-il seulement entre Élise et vous?

VARADE, furieux.

Ah! vous le prenez sur ce ton! Eh bien, oui, monsieur, vous avez raison! oui, ce mariage liquide mon passé pécuniairement et moralement! Vous me refusez votre approbation, c'est dommage!... Mais je n'ai besoin que du consentement du père, et je l'ai.

ÉVERARD, à Dellemare.

Oh! monsieur, on rapporte, c'est vrai, que votre associé se vante de vous entraîner, s'il tombe, dans sa chute. Démentez cette calomnie. J'ai à vous proposer pour Élise un jeune homme de mérite et d'avenir, et qu'elle aime.

DELLEMARE.

Elle aime sans mon aveu! Qui donc ?

Fabien Vincy.

ÉVERARD.

DELLEMARE, avec impatience.

Eh! croyez-vous qu'il y ait là de quoi changer ma résolution irrévocable! M. Varade a ma parole, et le mariage aura lieu dans quinze jours.

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Nous allons voir! - Venez, mademoiselle, et écoutez-moi. Je vous marie dans deux semaines. D'ici là, je vous défends,

vous entendez,

de lui parler.

- je vous défends de revoir M. Éverard et

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ÉLISE.

Lui! lui, mon cher et vénéré maître!

DELLEMARE.

Ma fille, voici M. Varade, votre futur mari. Je vous commande de lui donner le bras et de rentrer chez moi sur-lechamp.

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Ah! vous dites non à mes ordres, monsieur! A quel titre?

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Ah! (Après un silence.) C'est vrai, je ne suis rien, je ne puis rien. Obéissez, obéissez, Élise.

DELLEMARE.

Adieu, monsieur. Dans un quart d'heure cette porte de communication sera murée.

ÉVERARD, désespéré, regardant sortir Élise.

Tu t'en vas, tu t'en vas, ma vie !

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ACTE TROISIÈME.

Salon au château.

SCÈNE PREMIÈRE.

LE COMMISSAIRE GÉNÉRAL, assis à gauche, joue une partie d'échecs avec une sorte de PROPRIÉTAIRE CAMPAGNARD. DELLEMARE et DEUX AUTRES INVITÉS, dehout, suivent le jeu. Au fond attendent LORIOT, JEAN-FRANÇOIS et TROIS OU QUATRE PAYSANS ENDIMANCHÉS. A droite, VARADE, assis à une table, écrivant; près de lui, BALANDIER lit un journal.

LE COMMISSAIRE GÉNÉRAL, à son partenaire.

Je vous prends votre tour, oui, mais vous allez à dame.

DELLEMARE.

Décidément, monsieur le commissaire général, le Dieu des armées se déclare contre vous.

JEAN-FRANÇOIS, à demi-voix.

Monsieur Dellemare?

DELLEMARE.

Dans une minute, mes amis, vous aurez audience dans une minute. (Il s'approche de la table où écrit Varade, y prend une lettre toute pliée et en lit la suscription.) « A monsieur Fabien Vincy. » Vous écrivez à ce jeune homme, Varade? Qu'est-ce que cela signifie?

VARADE, écrivant toujours.

Laissez ! laissez ! je tisse ma toile.

DELLEMARE.

Voyons, Varade, quel est votre plan? Pendant ces quinze jours, vous comptiez qu'Everard, séparé d'Élise, allait, dans

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