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Oh! elle est bien belle!

PÉRINETTE.

ÉVERARD.

Oui, en vérité, Périnet, c'est un charmant et précieux ouvrage! Garde-le avec soin, mon enfant ! il y a là, vois-tu, bien des heures de travail et surtout bien des pensées de tendresse de ton père.

Hum! il fait humide là-dessous!

BUX, toussant et essuyant ses yeux.

PÉRINETTE, bas, à Éverard.

Bux est là !

ÉVERARD, bas, à Périnette.

Eh bien, il entendra, tant mieux! (Haut.) Maintenant, Périnet, écoute. Tu me pries depuis bien longtemps de te mettre tout à fait au latin, et moi, jusqu'ici, j'ai toujours hésité; car sais-tu bien, mon enfant, ce que tu demandes? tu veux changer toute ta vie, tu veux laisser les champs pour les livres.

PÉRINET.

Oh! monsieur, j'aime tant les livres !

PÉRINETTE.

Mais tu es bien chétiot, mon pauvre petit! Je t'ai nourri dans les peines et dans les larmes.

d'étudier?

Que oui! que oui, mère!

Est-ce que tu auras la force

PÉRINET.

BUX, à part.

Oh! mais ils vont me le tuer!

ÉVERARD.

Ce n'est pas tant l'étude, Périnette, qui fatiguerait cette bonne petite tête-là! Mais en augmentant ton savoir, Périnet, dis-toi que tu vas aussi augmenter tes chagrins. Tu peux jouer et rire tranquillement comme les autres enfants, et, plus tard, tu ne souffriras que par le cœur comme les autres hommes. Mais si tu veux apprendre et connaître, tu auras de plus à souffrir par le front. As-tu réfléchi à ça, mon petit curieux?

PÉRINET.

Oui, monsieur, et j'aime mieux apprendre. C'est vrai que quelquefois je me tourmente quand je ne comprends pas les choses tout de suite. Mais aussi, quand on trouve ce qu'on cherche, comme on est content! J'aime mieux apprendre!

ÉVERARD.

Allons! c'est bravement répondu, et il faut faire ce qu'il veut, Périnette.

BUX, caché, à part.

Oui, il faut le martyriser! Mais je n'entends pas ça, moi!

ÉVERARD.

Tiens, je t'ai rapporté de Paris un Virgile, un grand poëte, qui a commencé par être comme toi un petit paysan. Tu verras comme il décrit bien les prés, les bois, les cieux!

BUX, grommelant, à part.

Hum! vaut-il pas mieux les regarder!

PÉRINET, se retournant, à demi-voix.

Monsieur, on dirait qu'il y a quelqu'un là...

ÉVERARD, souriant.

Ne fais pas attention! tu verras dans Virgile comment les sylvains, qui sont les habitants des forêts, se cachent quelquefois dans les taillis pour entendre, jaloux, chanter et rire les petits bergers.

BUX.

Merci de moi !

ÉVERARD.

(Il disparaît.)

Et sur ce, Périnette, va, je te prie, dire à Élise et à Fabien que je les attends ici, et embrasse bien fort Périnét; ton enfant sera un homme. (Sortent Périnette et Périnet.)

SCÈNE VI.

ÉVERARD, GRELUCHE.

ÉVERARD.

A nous deux, monsieur Greluche. Qu'est-ce que tu me veux?

voyons.

GRELUCHE.

Je veux vous réciter ma fable que j'ai apprise.

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Monsieur, il y a dans le livre : « C'est là son moindre dé

faut. >>

ÉVERARD.

C'est qu'il y a une faute dans le livre. Continue.

GRELUCHE, récitant.

C'est là son plus grand défaut.

Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.

Nuit et jour, à tout venant,
Je chantais, ne vous déplaise!

Vous chantiez? j'en suis fort aise!
Eh bien! dansez maintenant!

ÉVERARD.

(Greluche se met à rire.)

Pourquoi ris-tu, petiot?

GRELUCHE.

Dam! ce que dit la fourmi, c'est que c'est drôle !

ÉVERARD.

Non, c'est mauvais plutôt ! Voyons! il faut donc la laisser mourir de faim et de froid, la pauvre petite cigale? Tu l'entends bien dans les champs quand tu passes; elle a un petit cri que tu ne trouves peut-être pas très-joli, mais enfin elle fait ce qu'elle peut, et elle chante toujours, elle chante en plein midi quand il fait si chaud, elle chante la nuit quand tu dors, toi, elle chante à tout le monde, aux passants, aux enfants, et, quand il n'y a personne, au bon Dieu. Eh bien, parce qu'elle ne sait que ça, chanter l'été, il faut donc qu'elle meure l'hiver?

Oh! non!

GRELUCHE.

ÉVERARD.

Alors quelle est la morale de ta fable, dis, Greluche ? C'est qu'il faut bien travailler, bien économiser, comme?...

Comme la fourmi.

GRELUCHE.

ÉVERARD.

Mais pas pour tout garder, pour tout entasser vilainement?

Oh! non, pas pour ça!

GRELUCHE.

ÉVERARD.

Alors c'est pour avoir le plaisir de donner — à?...

GRELUCHE, prêt à pleurer et avec une petite moue.

A la pauvre petite cigale.

SCÈNE VII.

LES MÊMES, FABIEN, ÉLISE, qui écoutent depuis quelques instants

du perron.

ÉLISE.

Nous vous y prenons, mon ami, à corriger La Fontaine !

ÉVERARD.

Comment! vous étiez là? - Ah! c'est que mes pauvres petits apprendront toujours assez l'égoïsme ! La Fontaine est déjà bien fort pour les hommes; je mets un peu d'eau dans son vin pour les enfants. Va, mon vieux bonhomme, à présent, tu comprends bien ta fable. (Il embrasse Greluche, qui sort en sautant.) ÉLISE.

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Mon père n'est plus là?

ÉVERARD, vivement.

M. Dellemare! Est-ce qu'il y était ?

ÉLISE.

Oui, je l'ai laissé ici dans l'instant avec M. Varade. Il va revenir.

ÉVERARD, à lui-même.

Serait-ce donc l'heure, ô mon Dieu?

ÉLISE.

Mais, avant de voir mon père, vous aviez à entretenir M. Fabien? Je vous l'amène, et moi je rejoins Périnette et je vous laisse tranquilles... oh! seulement pour quelques minutes!

ÉVERARD.

Pour quelques minutes, oui, oui... (A part, douloureusement.) Qui sait? (Élise rentre dans la maison.)

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