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ÉVERARD.

Qui sait si je n'ai pas une mort sur la conscience?

Qu'est-ce que vous dites?

BUX.

ÉVERARD, avec une amertume douloureuse.

De sorte que, si tu veux, nous allons nous entendre et nous sauver l'un l'autre comme deux complices. (Il va à l'armoire de chêne et l'ouvre.)

Qu'est-ce que vous faites?

BUX.

ÉVERARD.

Bux, parmi les écrits renfermés dans cette armoire, il en est' qui ne m'appartiennent pas, qui sont comme un dépôt sacré. Mon devoir était de les anéantir, je n'en ai pas eu le courage. Tu vas me laisser, devant toi, brûler ces lettres.

BUX.

Des lettres!... on m'a averti justement qu'il s'agissait de lettres.

ÉVERARD.

Tu diras que tu ne les as pas trouvées, et tu porteras ces autres papiers, qui ne livrent que des secrets à moi. C'est ta part; voici la mienne.

BUX.

Mais est-ce que ce n'est pas celle-là qui me vaudrait ma liberté?

ÉVERARD.

Peut-être; mais pour l'avoir, il faudra me tuer.

BUX.

Non! J'aurais moins de peine à me tuer, moi!—Allons, brûlez vos lettres, je prends le reste... (A part.) Et, avec, un de ces flacons, comme le Parisien me l'a recommandé... Qu'est-ce qu'il en veut faire? ça le regarde! (Haut, revenant à Éverard.) Maintenant écoutez, monsieur Éverard : vous venez là de me mater terriblement, et vous me faites courir une satanée chance. Par ainsi, en un mot comme en cent, si je vous redevais quel

que chose à cause de mon fils, je crois qu'à présent nous sommes quittes! Adieu. (11 sort.)

ÉVERARD, seul, allumant à la lampe ét brûlant sur la table les lettres,

après les avoir baisées.

O chères reliques! ma jeunesse, mon bonheur, envolezvous! adieu!...-Mais pourquoi donc M. Dellemare voulait-il avoir ces lettres?

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE DEUXIÈME.

Le jardinet de l'école. A droite, la maison, un étage et un rez-de-chaussée, avec un escalier extérieur de six ou huit marches; au premier plan, porte donnant sur la rue. A gauche, charmilles de lilas et berceau de chèvrefeuille. Au fond, mur mitoyen avec porte de communication entre le jardin et le parc du château. A l'horizon, le versant français du mont la Faucille.

SCÈNE PREMIÈRE.

BUX, puis FABIEN.

BUX, se dirigeant avec précaution vers la maison.

Personne ne m'a vu... (Fabien, un bouquet à la main, entre par la porte de droite et se trouve tout à coup en face de Bux.) Monsieur Fabien !

Bux!

-

FABIEN.

Que diable faites-vous ici, Bux?

BUX, avec embarras.

Oh! le beau bou

Moi? rien, monsieur Fabien, je passe... quet! montrez donc : c'est de votre serre ?

FABIEN, embarrassé à son tour.

Oui, je l'ai fait pour... pour M. Éverard que...

BUX, riant.

Ah! très-bien!... oh! il est frais et blanc comme un bouquet de mariée! ça lui fera plaisir à c't hommie!

FABIEN.

Et vous, qu'est-ce que vous tenez là, Bux?

BUX.

Ça? ne faites pas attention! c'est une espèce de gourde que je me suis amusé à taillader pour...

FABIEN.

Pour Périnet? et que vous lui apportiez en cachette?

BUX.

Il n'a pour boire qu'une méchante sébile de bois, ce mioche... Alors, moi, durant mes jours d'ennui...

FABIEN, tenant et admirant la gourde.

Oh! mais vous avez sculpté là tout un monde de fleurs, de feuillages, d'oiseaux! - Bux, vous valez mieux que votre réputation!

BUX.

Croyez-vous, monsieur Fabien? je ne crois pas, moi. Je ne sais vivre qu'à l'air libre, je n'aime respirer que les odeurs sauvages des bois, la sauge et la résine!...

FABIEN.

Il y en a une que vous aimeriez encore mieux, Bux : l'odeur de la poudre!

BUX.

Oh! oui! - mais ils n'ont pas voulu de moi comme soldat. – Écoutez! du bruit, là! je me sauve.

FABIEN, prêtant l'oreille.

Il y a plusieurs voix ! je rentre.

BUX.

Monsieur Fabien, en donnant vos fleurs à... M. Éverard, si vous vouliez bien remettre ça de ma part au petit, hein?

FABIEN, entrant dans la maison.

C'est dit. - Passez donc par la porte!

BUX disparaissant dans le fourré de gauche.

Non, le mur me connaît. Adieu.

SCÈNE II.

DELLEMARE, ÉLISE, VARADE, BALANDIER,

entrant par la petite porte du parc.

ÉLISE.

Entrez, mon père. C'est par cette porte de communication

que je viens, depuis que je me connais, chercher auprès de M. Everard mon pain quotidien d'instruction et d'amitié.

VARADE, bas, à Dellemare.

N'est-ce pas tout à fait filial cela, hein?

DELLEMARE.

Et vous dites, Élise, qu'en ce moment, M. Éverard doit être encore avec les enfants?

ÉLISE.

Oui, mais il va être libre d'ici à un quart d'heure.

DELLEMARE.

Eh bien, nous l'attendrons là, sur ce banc.

VARADE, tirant Balandier à part.

Vous voyez, Monsieur, que je m'arrête ici. Voulez-vous bien me laisser un peu seul sur parole?

BALANDIER.

Non pas positivement sur parole. Je rentre me promener dans le parc sans perdre cette porte de vue, et j'ai envoyé deux de mes hommes garder les alentours de cette maison.

VARADE.

On n'est pas plus prévenant! (Ils se saluent gravement. Balandier sort par la porte du parc.)

ÉLISE.

Moi, si vous le permettez, mon père, j'irai voir pendant ce temps ma bonne Périnette?

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Périnette, lisez Fabien, le jeune étudiant rêveur.

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