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PAYSANS, PAYSANNES, ENFANTS, CONTRE BANDIERS, ETC.

En 1803. A Mijoux. dans le Jura.

LE

MAITRE D'ÉCOLE

ACTE PREMIER.

Grande chambre à demi rustique. Portes latérales. Porte au fond. Sur les murs, des cartes de géographie et des rayons chargés de livres, de sphères, etc. liaute cheminée à crémaillère. Horloge dans sa caisse. Au premier plan, une forte armoire de chêne garnie de cuivre.

Le rideau se lève sur le tableau animé d'une veillée. Deux groupes distincts d'un côté, des paysans égrenant le blé de Turquie, tillant le chanvre ou tressant l'osier; de l'autre côté, deux ou trois farauds de campagne et deux ou trois domestiques, buvant et jouant aux cartes autour d'une table. Au milieu, les femmes tricotent ou filent.

SCÈNE PREMIÈRE.

PÉRINETTE, filant; GÉNÉREUSE et JEAN-FRANÇOIS, debout, chantant; LORIOT, LE PÈRE MATHIEU, PÉRINET, lisant à l'écart; PAYSANS, PAYSANNES, etc.

TOUS, chantant avec accompagnement de rouets.

Ah! qu'il fait bon garder les vaches 1
Au paquier des bœufs,

Quand on est deux!

Quand on est quatre on s'embarrasse,

Quand on est deux

Ça vaut ben mieux!

1 Nous avons gardé telles quelles dans leur naïveté populaire les deux chansons rustiques, bien difficiles à refaire. Le style en est faible; mais la mélodie qui les accompagne est charmante.

JEAN-FRANÇOIS.

Holà! sais-tu pas, gentille bergère,

Ton p'tit mollet rond

S'voit sous ton jupon.

T'as beau jusqu'au menton rel'ver ta gorgère,
T'as les quinze ans passés,

Ça se connaît assez.

GÉNÉREUSE.

Vout' sailli d'iqueu, grand abuseux d'filles!
Fichu ménétri,

Veux-tu ben couri!

Si je mets mon chien après tes guenilles,
Je t'y forcerai ben

D'y passer ton chemin!

EN CHOEUR.

Ah! qu'il fait donc bon garder les vaches, etc.

JEAN-FRANÇOIS.

Holà! cependant, si tu voulais m'entendre,
Sans t'en offenser,

Tu donn'rais un baiser;

Et si tu savais que c'est doux et tendre,
T'aurais en ce jour

Pas peur de l'amour.

GÉNÉREUSE.

Et la belle Isabeau, charmée de l'entendre,
Jeta là ses sabots

Pour danser sous l'ormeau;

Et la belle Isabeau, pour ce chant si tendre,
Oublia sa rigueur

Et lui donna son cœur.

EN CHOEUR.

Ah! qu'il fait donc bon garder les vaches, etc.

TO US.

Très-bien! bravo, Généreuse!

LORIOT.

A présent, Généreuse, pour la fin finale de la veillée, chantenous: En revenant de Lille.

LES GENS du groupe de Loriot.

Ah! oui oui!

JEAN-FRANÇOIS,

Non! ça, c'est une chanson de cabaret, monsieur Loriot l'aubergiste. Généreuse, chante plutôt voir : Joli dragon revenant de la guerre.

LES PAYSANS du côté de Jean-François.

Oui! Joli dragon!

LORIOT.

Non, c'est une chanson de caserne, ça, monsieur Jean-François l'ex-troupier!

JEAN-FRANÇOIS.

Par exemple! une de nos vieilles chansons du Jura ! Mais les airs de la montagne fe font mal aux nerfs, maintenant que tu as pour protecteur ton monsieur Varade, un incroyable de Paris.

LORIOT.

Mon monsieur Varade, l'incroyable de Paris, vaut bien ton monsieur Fabien, le muscadin de Mijoux.

JEAN-FRANÇOIS et les siens, indignés.

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Hé! là! là! vous allez donc encore vous disputer et faire ici deux camps les ceux qui tiennent pour le château, à droite, et les ceux qui sont pour le village, à gauche! D'abord, quand les hommes s'entre-chamaillent pour autre chose que pour les femmes, je dis que c'est des bêtises!

LORIOT.

Eh! c'est ce greffier de mairie manqué que...

JEAN-FRANÇOIS.

Mais non, c'est ce cabaretier frelaté qui...

PÉRINETTE.

Voyons, voyons, mes gens! la paix, je vous en prie! Rappelez-vous où vous êtes : chez M. Everard, ou plutôt, comme il dit, chez vous, dans la maison paternelle. Voilà trois semaines que le cher homme est parti pour Paris; pendant ce temps, M. Dellemare et M. Varade, l'associé de sa banque, sont justement arrivés au château, et la zizanie s'est mise entre vous, on ne sait pas pourquoi. Mais heureusement nous attendons

M. Éverard ce soir, dans la minute; Élise, notre demoiselle du château, va sans doute venir aussi; est-ce qu'ils vont vous retrouver en train de vous battre, dites?

JEAN-FRANÇOIS.

Ce ne sera pas mademoiselle Élise, toujours!... on ne la voit plus, la chère demoiselle. Sans doute on lui défend de fréquenter d'aussi petites gens que nous.

LORIOT.

Non, mais maintenant mademoiselle Élise peut comparer : voilà!

JEAN-FRANÇOIS.

Comparer qui? comparer quoi? Ce serait à toi plutôt de comparer notre honnête veillée avec ton auberge suspecte. Quand mademoiselle Élise vient ici, qu'est-ce qu'elle y trouve? de braves gens qui l'aiment comme leur enfant; et si M. Varade va chez toi, comme on dit qu'on l'y a vu, qu'est-ce qu'il y rencontre? des chenapans, des contrebandiers, des braconniers!

PÉRINETTE, douloureusement, à part.

Des braconniers!

LORIOT.

Imbécile! qui parle de braconniers devant la Périnette!

JEAN-FRANÇOIS, empoignant Loriot.

Ah! tu m'appelles imbécile, toi!...

LES FEMMES, se jetant entre eux.

François !... Loriot!...

SCÈNE II.

LES MÊMES; DELLEMARE, VARADE, BALANDIER, puis FABIEN et PÉRINET.

VARADE, excitant les combattants.

Czi! czi!... On se bat ici! bravo!... Czi! czi!...

DELLEMARE.

Allons, Varade, un peu de sérieux!

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