Page images
PDF
EPUB

de la société ; et puisque dans les ménages pauvres, le salaire du mari suffit difticilement, ou ne suffit pas aux besoins communs, on peut se résigner à voir les femmes ajouter aux soins très-absorbants du ménage un travail industriel dont le produit serve d'appoint au salaire du chef de famille. Mais quand cette nouvelle tâche est écrasante pour elles, quand elle les éloigne de leur maison et les empêche d'accomplir le premier et le plus indispensable de leurs devoirs, quand elle est incompatible avec les bonnes mœurs, alors on ne doit plus la considérer que comme un malheur social, également funeste à la santé des femmes, au bonheur de leurs maris et à l'éducation de leurs enfants. Ce qu'on peut espérer, ce qu'il faut demander avec une ardeur infatigable à Dieu et à la société, c'est que le travail des femmes soit équitablement rétribué, qu'il n'excède pas la mesure de leurs forces, et qu'il ne les enlève pas à leur vocation naturelle, en rendant le foyer désert, et l'enfant orphelin.

Le travail, pour les femmes comme pour les hommes, est de trois sortes : le travail isolé, le travail de fabrique, c'est-à-dire, le travail qui se fait dans des ateliers composés de peu de personnes, et le travail de manufactures. Le travail isolé est le seul qui convienne aux femmes, le seul qui leur permettre d'être épouses et mères; cependant il devient chaque jour plus rare et plus improductif,

la manufacture absorbe tout, et la fabrique ellemême, forme intermédiaire entre le travail isolé et la manufacture, est menacée de périr, c'est-à-dire de se transformer. On pense généralement que, si elle se transforme en manufacture, ce sera un grand progrès pour l'industrie; cela peut être, nous ne voulons pas traiter ici le problème économique; mais il sera facile de montrer que, si elle se changeait au contraire en travail isolé, ce serait un grand avantage pour la morale. Nos conclusions à cet égard ne vont pas plus loin. Il y a une nécessité qui domine toutes les autres, c'est la nécessité d'avoir du pain. Malgré tous les dangers du travail en commun, surtout pour les femmes, il est encore possible de vivre honnêtement dans un atelier, et s'il fallait opter entre l'envahissement des manufactures et la ruine de notre industrie, la sagesse voudrait qu'on préférât les manufactures; mais on n'a pas encore jusqu'ici démontré la nécessité, l'urgence de cette révolution pour toutes les formes du travail mécanique, et puisque la question est pendante en ce qui concerne les fabriques de soie, et que de bons esprits hésitent sur les résultats matériels du système nouveau qui tend à s'établir, il peut être bon de plaider par des faits, sans exagération, sans affectation, la cause de la morale.

[ocr errors]

CHAPITRE II.

DESCRIPTION DU TRAVAIL DES FEMMES

DANS LES ATELIERS.

Nous n'avons pas eu en France de ces magnifiques enquêtes que l'on fait en Angleterre avec tant de dépenses et de fruit; mais nous possédons un grand nombre de livres où la situation de nos ateliers est décrite avec un soin minutieux, et jugée avec une parfaite intelligence des conditions et des besoins de l'industrie. Rien n'est plus attachant que la lecture de quelques-uns de ces ouvrages. Les ateliers qu'ils décrivent, les mœurs qu'ils racontent, les horizons qu'ils ouvrent à la pensée, ont à la fois le charme d'un voyage de découverte et l'autorité d'un livre de morale. Pénétrons à leur suite dans les ateliers de la fabrique lyonnaise, car c'est surtout l'industrie de la soie, dont Lyon est le cheflicu en France et même en Europe, qui a échappé

1. Nous citerons, au premier rang, le dernier ouvrage de M. Louis Reybaud, Études sur le régime des manufactures.

jusqu'ici, au moins chez nous, au régime de la manufacture.

Les bonnes ouvrières de Lyon aiment leur état; elles en parlent volontiers, souvent avec esprit, et il est vrai que ces métiers si propres, ces belles étoffes si souples et si brillantes ont quelque chose d'attrayant pour les mains et pour les yeux d'une femme. Quand on entre dans un atelier, c'est toujours la maîtresse qui en fait les honneurs, et qui répond avec un visible plaisir et beaucoup de netteté aux questions des visiteurs. L'une de celles qu'on appelle les canuses disait dernièrement, devant une commission d'enquête, que la soie est le domaine des femmes, et qu'elles y trouvent du travail depuis la feuille de mûrier sur laquelle on élève le ver jusqu'à l'atelier où l'on façonne la robe et le chapeau. Il y a en effet toute une armée d'ouvrières de toutes sortes sans cesse occupées sur ce frêle brin de soie. On étonnerait beaucoup la plupart des femmes du monde en leur apprenant combien il a fallu de peine pour faire leur plus simple robe, et par combien de mains elle a passé. Nous avons en premier lieu toute une grande industrie agricole, l'industrie de la production, car la France produit une grande partie de la soie qu'elle met en œuvre, et elle en fournit même à l'Angleterre concurrement avec l'Asie. Il faut surveiller avec une attention infatigable, depuis sa naissance jusqu'à sa métamor

phose, ce petit ver qui se nourrit de la feuille du mûrier, et qui, à force de filer, se crée cette précieuse enveloppe qu'on appelle le cocon. La sollicitude de l'éleveur se porte d'abord sur le choix de la graine. La meilleure graine a une couleur gris bleu, que les fraudeurs parviennent à imiter à l'aide du gros vin. Les œufs une fois achetés, on les conserve dans des boîtes fermées, qu'on place dans des caves pour éviter les variations brusques de température. Si on laissait la graine éclore spontanément, l'éclosion de tous les œufs ne se ferait ni à propos ni en même temps, et l'éducation serait irrégulière; on a donc recours à la couveuse mécanique, ou plus simplement à la chambre à éclosion, qui n'est autre chose qu'une petite pièce à température convenablement élevée. On a soin de faire coïncider l'éclosion des vers avec le développement de la végétation du mûrier, dont les feuilles leur servent de nourriture. Quand la graine a pris une couleur jaunâtre, les vers sont déjà tout formés et perceptibles à la loupe; on les recouvre alors d'une bande de mousseline ou d'une feuille de papier percée de petits trous, sur laquelle on dépose des feuilles de mûrier qui ne tardent pas à se charger de vers. Ces feuilles sont portées ensuite dans des ateliers, où les vers traversent sept âges différents dans une durée de quarante jours. La température, le degré de l'hygromètre, le nombre des repas varient suivant les

« PreviousContinue »