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EL

HARPAGON.'

Voilà Monfieur, qui eft un honnête Commiffaire, qui n'oubliera rien, à ce qu'il m'a dit, de la fonction de fon Office. Chargez-le comme il faut, Monfieur, & rendez les chofes bien criminelles.

VALER E.

Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la paffion que j'ay pour vôtre fille, & le fupplice où vouscroyez que je puiffe être condamné pour notre engagement, lors qu'on fçaura ce que je fuis....

HARPAGON.

Je me moque de tous ces contes; & le monde aujourd'huy n'eft plein que de ces larrons de nobleffe, que de ces impofteurs, qui tirent avantage de leur obfcurité, & s'habillent infolemment du premier nom illuftre qu'il s'avifent de prendre.

VALER E.

Scachez que j'ay le cœur trop bon, pour me parer de quelque chofe qui ne foit point à moy,& que tout Naples peut rendre témoignage de ma naiffance. ANSEL ME.

Tout beau. Prenez garde à ce que vous allez dire. Vous rifquez ici plus que vous ne penfez; & vous parlez devant un homme à qui tout Naples cft con nu, & qui peut aifément voir clair dans l'hiftoire que vous ferez

VALERE, en mettant fiérement fon chapeau.

Je ne fuis point homme à rien craindre; & si Naples vous eft connu, vous fçavez qui étoit D. Thomas d'Alburci.

ANSEL ME.

Sans doute je le fçay; & peu de gens l'ont connu mieux que moy.

HARPAGON.

Je ne me foucie, ny de D. Thomas, ny de Dom Martin.

ANSEL ME.

De grace, laiffez-le parler, nous verrons ce qu'il en veut dire.

VALER E.

Je veux dire que c'eft luy qui m'a donné le jour.
ANSELME.

Luy?

Oui.

VALER E.

ANSEL M E.

Allez. Vous vous moquez. Cherchez quelque autre hiftoire, qui vous puiffe mieux réüffir; & ne prétendez pas vous fauver fous cette impofture.

f

VALER E.

Songez à mieux parler. Ce n'eft point une impo fture; & je n'avance rien ici qu'il ne me foit aifé de juftifier.

ANSEL ME.

- Quoy vous olez-vous dire fils de D. Thomas d'Alburci?

VALER E.

Ouy, je l'ofe; & je fuis prêt de foûtenir cette vérité contre qui que ce foit.

ANSEL ME.

L'audace eft merveilleufe. Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a feize ans pour le moins, que l'homme dont vous nous parlez, périt fur mer avec fes enfans & fa femme, en voulant dérober leur vie anx cruelles perfécutions qui ont accompagné les défordres de Naples, & qui en firent exiler plufieurs nobles familles.

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Oui:Mais apprenez, pour vous confondre, vous que fon fils âge de fept ans, avec un demeftique, fut fuve de ce naufrage par un Vaiffeau Espagnol, & que ce fils fauvé eft celuy qui vous parle. Apprenez que le Capitaine de ce Vaiffeau, touche de ma fortune, prit amitié pour moy; qu'il me fit élever comme fon propre fils, & que les armes furent mon employ dés que je m'en trouvay capable. Que j'ay fçeu depuis peu, que mon Pere n'étoit point mort comme je l'avois toûjours crû; que passant ici pour l'aller chercher, une avanture par le Ciel concertée, me fit voir la charmante Elife; que cette veuë me rendit efclave de fes beautez ; & que la violence de mon amour, & les févéritez de fon Pere, me firent prendre la réfolution de m'introduire dans fon logis, & d'envoyer un autre à la quefte de mes parens. ANSELME.

Mais quels témoignages encore, autres que vos

pa

paroles nous peuvent affurer que ce ne foit point une fable que vous ayez bâtie fur une vérité?

VALER E.

Le Capitaine Efpagnol; un cachet de rubis qui étoit à mon Pere, un bracelet d'agathe que ma Mere m'avoit mis au bras; le vieux Pedro, ce domestique, qui fe lauvaavec moy du naufrage.

MARIA NE.

Hélas! à vos paroles, je puis ici répondre, moy, que vous n'impofez point; & tout ce que vous dites, me fait connoitre clairement que vous étes mon Frere.

Vous, ma sœur!

VALER E.

MARIAN E.

Ouy, mon cœur s'eft émeu, dés le moment que vous avez ouvert la bouche ; & nôtre Mere que vous allez ravir, m'a mille fois. entretenue des difgraces de nôtre famille. Le Ciel ne nous fit point auffi perir dans ce trifte naufrage; mais il ne nous fauva la vie que par la perte de nôtre liberté; & ce furent des Corfaires qui nous recueillirent, ma Mere, & moy, fur un débris de nôtre vaiffeau. Aprés dix ans d'efclavage, une heureufe fortune nous rendit nôtre liberté, & nous retournâmes dans Naples, où nous trouvâmes tout nôtre bien vendu, fans y pouvoir trouver des nouvelles de nôtre Pere. Nous paffâmes à Gennes, où ma Mere alla ramaffer quelques malheureux reftes d'une fucceffion qu'on avoit déchirée; & de là, fuyant la barbare injuftice de fes parens > elle vint en ces lieux, où elle n'a prefque vêcu que d'une vie languiflante.

ANSEL ME.

O Ciel! quels font les traits de ta puiffance!& que tu fais bien voir qu'il n'appartient qu'à toy de faire des miracles. Embraffez moy, mes enfans,& mêlez tous deux vos transports à ceux de vôtre Pere.

VALER E,

Vous étes nôtre Pere?

MARIA NE.

C'est vous que ma Mere a tant pleuré?

ANSEL ME.

Ofii, ma Fille, oüi mon Fils, je fuis D. Thomas

d'Al

d'Alburci, que le Ciel garantit des ondes avec tout l'argent qu'il portoit, & qui vous ayant tous crû morts durant plus de feize ans, fe préparoit aprés de longs voyages, à chercher dans l'hymen d'une douee & fage perfonne, la confolation de quelque nouvelle famille. Le peu de feureté que j'ay veu pour ma vie, à retourner à Naples, ma fait y renoncer pour toûjours; & ayant fceu trouver moyen d'y faire vendre ce que j'y avois, je me fuis habitué ici, où fous le nom d'Anfelme j'ay voulu m'éloigner les chagrins de cet autre nom qui m'a caufé tant de traverfes.

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HARPAGON.

C'est là vôtre Fils?

Oui.

ANSEL ME.

HARPAGON.

Je vous prens à partie, pour me payer dix mille écus qu'il m'a volez.

Luy, vous avoir volé ?

ANSEL ME.

HARPAGON.

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M. JACQUES.

Vous voyez que je ne dis rien.

HARPAGON.

Oui. Voilà Monfieur le Commiflaire qui a receu fa dépofition.

VALERE.

Pouvez-vous me croire capable d'une action si lâ

che?

HARPA GON.

Capable, ou non capable, je veux r'avoir mon argent.

SCE

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CLEANTE, VALFRE, MARIANE, ELISE ›
FROSINE, HARPAGON, ANSELME,
M. JACQUES, LA FLECHE, LE COM-
MISSAIRE, SON CLERC,

CLEAN TE

NE
E vous tourmentez point, mon Pere, & n'accu-
fez perfonne. J'ay découvert des nouvelles de
vôtre affaire, & je viens ici pour vous dire, que fi
vous voulez vous réfoudre à me laiffer époufer Ma-
riane, vôtre argent vous fera rendu.

Où eft-il?

HARPAGON.

CLEANTE.

Ne vous en mettez point en peine. Il est en lieu dont je répons, & tout ne dépend que de moy. C'est à vous de me dire à quoy vous vous déterminez; & vous pouvez choifir, ou de me donner Mariane, ou de perdre vôtre caffette.

HARPAGON.

N'en a-t-on rien ôté ¿

CLEANTE.

Rien du tout. Voyez,fi c'eft vôtre deffein de foufcrire à ce mariage, & de joindre vôtre confentement à celuy de fa Mere, qui luy laiffe la liberté de faire un choix entre nous deux.

MARIANE.

Mais vous ne fçavez pas, que ce n'eft pas affez que ce confentement; & que le Ciel, avec un Frere que vous voyez, vient de me rendre un Pere dont vous avez à m'obtenir.

ANSEL ME.

Le Ciel mes enfans, ne me redonne point à vous pour être contraire à vos vœux. Seigneur Harpagon, vous jugez bien que le choix d'une jeune perfonne tombera fur le fils plûtôt que fur le Pere. Allons, ne vous faites point dire ce qu'il n'eft pas néceffaire d'entendre, & confentez ainsi que moy à ce double hymenée.

HARPAGON.

Il faut, pour me donner confeil, que je voie ma. Caffette.

CLE

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