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MARIANE.

Que fçaurois-je vous dire? Mettez-vous en ma place, & voyez ce que je puis faire. Avifez,ordonnez vous-même, je m'en remets à vous; & je vous croy trop raifonnable, pour vouloir exiger de moy, que ce qui peut m'être permis par l'honneur & la bienféance.

CLEANTE.

Helas, où me réduifez-vous, que de me renvoyer à ce que voudront me permettre les fâcheux fentimens d'un rigoureux honneur, & d'une fcrupuleufe bienféance!

MARIANE.

Mais que voulez-vous que je fafie: Quand je pourrois paffer fur quantité d'égards où nôtre Sexe eft obligé, j'ay de la considération pour ma Mere. Elle m'a toujours élevée avec une tendreffe extréme;& je ne fçaurois me réfoudre à luy donner du déplaifir. Faites,agiffez auprés d'elle. Employez tous vos foins à gagner fon efprit; vous pouvez faire & dire tout ce que vous voudrez, je vous en donne la licence;& s'il ne tient qu'à me déclarer en vôtre faveur, je veux bien confentir à luy faire un aveu moy-même, de tout ce que je fens pour vous.

CLEANT E. Frofine,ma pauvre Frofine, voudrois-tu nous fervir? FROSIN E.

Parma foy, faut-il demander? je le voudrois de tout mon cœur. Vous fçavez que de mon naturel, je fuis affez humaine. Le Ciel ne m'a point fait l'ame de bronze; & je n'ay que trop de tendreffe à rendre de petits fervices, quand je voy des gens qui s'entr'aiment en tout bien, & en tout honneur. pourrions-nous faire à ceci?

CLEANT E.

Songe un peu, je te prie.

MARIAN E.

Ouvre-nous des lumieres.

ELISE.

Que

Trouve quelque invention pour rompre ce que tu

as fait.

FROSINE.

Ceci eft affez difficile. Pour votre Mere, elle n'eft

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pas tout à fait déraisonnable, & peut être pourroiton la gagner, & la réfoudre à transporter au fils le don qu'elle veut faire au Pere. Mais le mal que j'y trouve, c'eft que vôtre Pere eft vôtre Pere.

Cela s'entend.

CLEANT E.

FROSIN E.

Je veux dire qu'il confervera du dépit, fi l'on montre qu'on le refufe; & qu'il ne fera point d'humeur enfuite à donner fon confentement à vôtre mariage.Il faudroit pour bien faire, que le refus vint de luy-même ; & tâcher par quelque moyen de le de goûter de vôtre perfonne.

Tu as raison.

CLEANT E.

FROSINE.

Ouy j'ay raison, je le fçay bien. C'est là ce qu'il faudroit; mais le diantre eft d'en pouvoir trouver les moyens. Attendez,fi nous avions quelque femme un peu fur l'âge, qui fût de mon talent, & jouât affez bien pour contrefaire une Dame de qualité, par le moyen d'un train fait à la hâte & d'un bizarre nom de Marquife, ou de Vicomteffe, que nous fuppoferions de la Baffe Bretagne ; j'aurois affez d'adreffe pour faire accroire à vôtre Pere que ce feroit une perfonne riche, outre fes maifons, de cent mille écus en argent comptant; qu'elle feroit éperduëment amoureufe de luy, & fouhaiteroit de fe voir fa femme, jusqu'à luy donner tout fon bien par contrat de mariage; & je ne doute point qu'il ne prêtât l'oreille à la propofition; car enfin, il vous aime fort, je le fçay: mais il aime un peu plus l'argent; & quand ébloui de ce leurre, il auroit une fois confenti à ce qui vous touche, il importeroit peu enfuite qu'il fe defabufât, en venant à vouloir voir clair aux effets de nôtre Marquife.

CLEANTE
Tout cela eft fort bien penfé.

FROSINE.

Laiffez-moy faire, je viens de me reffouvenir d'une de mes Amies, qui fera nôtre fait.

CLEAN TE.

Sois affeurée, Frofine, de ma reconnoiffance, fi

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tu viens à bout de la chofe: mais, charmante Mariane, commençons, je vous prie, par gagner vôtre Mere: c'est toujours beaucoup faire, que de rompre ce mariage. Faites y de vôtre part, je vous en cenjure, tous les efforts qu'il vous fera poffible. Servez-vous de tout le pouvoir, que vous donne fur elle cette amitié qu'elle a pour vous. Déployez fans referve les graces eloquentes, les charmes tout puiffans que le Ciel a placez dans vos yeux & dans vôtre bouche; & n'oubliez rien, s'il vous plait, de ces tendres paroles, de ces douces prieres, & de ces careffes touchantes à qui je fuis perfuadé qu'on ne fçauroit rien refufer.

MARIANE.

J'y feray tout ce que je puis, & n'oublieray au cune chofe.

SCENE LI

HARPAGON, CLEANTE, MARIANE, ELISE, FROSINE.

HARPA GON.

mon fils baife la main de fa prétenduë

Odelle-Mere, & la prétendue Belle-Mere ne s'en defend pas fort. Y auroit-il quelque myftere làdeffous?

Voilà mon Pere.

ELISE.

HARPAGON.

Le caroffe eft tout prêt. Vous pouvez partir quand il vous plaira.

CLEANTE.

Puis que vous n'y allez pas, mon Pere, je m'en vais les conduire.

HARPAGON.

Non, demeurez. Elles iront bien toutes feules;& j'ay befoin de vous.

SCE

SCENE III.

HARPAGON, CLEANTE.

HARPAGON,

Oca, intérêts de Belle-Mere à part, que te fem

ble à toy de cette perfonne?

CLEANTE.

Ce qui m'en femble?

HARPA GON.

Ouy, de fon air, de fa taille, de sa beauté,de fon

efprit?

La, la.

CLEANTE

HARPA GON

Mais encore?

CLEANT E.

Ne

A vous en parler franchement, je ne l'ay pas trou vée ici ce que je l'avois cruë. Son air eft de franche Coquette; fa taille eft affez gauche, fa beauté trésmédiocre, & fon efprit des plus communs. croyez pas que ce foit, mon Pere, pour vous en dégoûter; car belle-Mere pour belle-Mere, j'aime autant celle-là qu'une autre.

HARPAGON. Tuluy difois tantôt pourtant....

CLEANTE.

Je luy ay dit quelques douceurs en vôtre nom, mais c'étoit pour vous plaire.

HARPAGON.

Si bien donc que tu n'aurois pas d'inclination pour elle ?

CLEANT E.

Moy? point du tout.

HARPAGON.

J'en fuis fâché; car cela rompt une pensée qui m'étoit venue dans l'efprit. J'ay fait, en la voyant ici, refléxion fur mon âge;& j'ay fongé qu'on pourra trouver à redire, de me voir marier à une fi jeune perfonne. Cette confidération m'en faifoit quitter le deffein, & comme je l'ay fait demander, & que je fuis pour elle engagé de parole, je te l'aurois donnée, fans l'averfion que tu témoignes.

CLE

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CLEANTE.

Ecoutez, il eft vray qu'elle n'eft pas fort à mon goût; mais pour vous faire plaifir, mon Pere, je me refoudray à l'époufer, fi vous voulez.

HARPAGON,

Moy? je fuis plus raifonnable que tu ne penfes. Je ne veux point forcer ton inclination.

CLEANTE.

Pardonnez-moy; je me feray cet effort pour l'amour de vous. HARFA GON

Non, non, un mariage ne fçauroit être heureux, ou l'inclination n'eft pas.

CLEANTE.

C'eft une chofe, mon Pere, qui peut-être viendra enfuite; & l'on dit que l'amour eft fouvent un fruit du mariage.

HARPAGON.

Non, du côté de l'homme on ne doit point rif quer l'affaire, & ce font des fuites fâcheufes, où je n'ay garde de me commettre. Si tu avois fenti quelque inclination pour elle; à la bonne heure, je te l'aurois fait époufer, au lieu de moy; mais cela n'êtant pas, je fuivray mon premier deffein, & je l'épouferay moy-même.

CLEANTE.

Hé bien, mon Pere, puis que les chofes font ainsi, il faut vous découvrir mon coeur, il faut vous revéler nôtre fecret. La vérité eft que je l'aime, depuis un jour que je la vis dans une promenade; que mon deffein étoit tantôt de vous la demander pour femme; & que rien ne m'a retenu, que la déclaration de vos fentimens, & la crainte de vous déplaire.

HARPAGON.

Luy avez-vous rendu vifite

CLE

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