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SCENE IV.

MARIANE, FROSINE.

MARIA NE.

AH! que je fuis, Frofine, dans un étrange état, & s'il faut dire ce que je fens, que j'apprehende cette veuë!

FROSIN E.

Mais pourquoy, & quelle eft vôtre inquietude?
MARIANE,

Helas! me le demandez-vous? & ne vous figurezvous point les alarmes d'une perfonne toute prête à voir le fupplice où l'on veut l'attacher?

FROSINE.

Je voy bien que pour mourir agreablement, Harpagon n'eft pas le fupplice que vous voudriez embrafler; & je connois à vôtre mine, que le jeune Blondin dont vous m'avez parlé, vous revient un peu dans l'efprit.

MARIA NE.

Oui, c'eft une chofe, Frofine, dont je ne veux pas me defendre ; & les vifites refpectueufes qu'il a rendues chez nous, ont fait, je vous l'avouë, quelque effet dans mon ame.

FROSIN E. Mais avez-vous fçu quel il eft?

MARIANE.

Non, je ne fçay point quel il eft ; mais je fçay qu'il eft fait d'un air à fe faire aimer; Que fi l'on pouvoit mettre les chofes à mon choix, je le prendrois plutot qu'un autre; & qu'il ne contribuë pas peu à me faire trouver un tourment effroyable, dans l'époux qu'on veut me donner.

FROSIN E.

Mon Dicu, tous ces Blondins font agreables, & debitent fort bien leur fait; mais la plupart font gueux comme des rats; & il vaut mieux pour vous de prendre un vieux mari, qui vous donne beaucoup de bien. Je vous avoue que les fens ne trouvent pas fi bien leur conte du côté que je dis, & qu'il y a quelques petits dégoûts à essuyer avec un tel époux;

mais cela n'eft pas pour durer; & fa mort, croyezmoy, vous mettra bientôt en état d'en prendre un plus aimable, qui reparera toutes chofes..

MARIA NE.

Mon Dieu, Frofine, c'eft une étrange affaire, lors que pour être heureufe, il faut fouhaiter ou attendre le trépas de quelqu'un, & la mort ne fuit pas tous les projets que nous faifons.

FROSINE.

Vous moquez-vous vous ne l'époufez qu'aux conditions de vous laiffer veuve bientôt, & ce doit être là un des articles du contrat. Il feroit bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois ! Le voici en propre perfonne.

MARIANE.

Ah Frofine, quelle figure!

SCENE

V.

HARPAGON, FROSINE, MARIANE.

HARPAGON.

NE vous offenfez pas, ma Belle, fi je viens à vous avec des lunettes. Je fçay que vos appas frapent affez les yeux, font affez vifibles d'eux-mêmes, & qu'il n'eft pas besoin de lunettes pour les apperce voir: mais enfin c'eft avec des lunettes qu'on obferve les Aftres, & je maintiens & garantis que vous êtes un Aftre, mais un Aftre, le plus bel Aftre qui fois dans le Païs des Aftres. Frofine, elle ne répond mot & ne témoigne, ce me femble, aucune joie de me voir.

FROSIN E.

C'eft qu'elle est encore toute furprife; & puis les filles ont toujours honte à témoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'ame.

HARPAGON.

Tu as raifon. Voilà, belle mignonne, ma fille, qui vient vous falûer.

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J

SCENE V I.

ELISE, HARPAGON, MARIANE,
FROSINE.

MARIA NE.

E m'acquitte bien tard, Madame, d'une telle vi

fire.

ELISE.

Vous avez fait, Madame, ce que je devois faire, & c'étoit à moy de vous prevenir.

HARPAGON.

Vous voyez qu'elle eft grande; mais mauvaise herbe croît toûjours.

MARIANE, bas à Frofine.

O l'homme déplaifant!

HARPAGON.

Que dit la belle?

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HARPAGON.

Je vous fuis trop obligé de ces fentimens.

MARIANE, à part.

Je n'y puis plus tenir.

HARPAGON.

Voici, mon fils auffi, qui vous vient faire la reve

rence.

MARIANE, à part à Frofine.

Ah! Frofine, quelle rencontre! c'est justement celuy dont je t'ay parlé.

FROSINE, à Mariane.

L'avanture eft merveilleufe.

HARPAGON.

Je voy que vous vous étonnez de me voir de fi grands enfans; mais je feray bientôt défait & de T'un, & de l'autre.

SCE

SCENE VII.

CLEANTE, HARPAGON, ELISE, MA

RIANE, FROSINE.

CLEANTE.

MAdame, à vous dire le vray, c'eft ici une avanture où fans doute je ne m'attendois pas; & mon Pere ne n'a pas peu furpris, lors qu'il m'a dit tantôt le deffein qu'il avoit formé.

MARIAN E.

Je puis dire la même chose. C'est une rencontre impreveuë qui m'a furprise autant que vous; & je n'etois point préparée à une pareille avanture.

CLEANTE.

Il eft vray que mon Pere, Madame, ne peut pas faire un plus beau choix, & que ce m'eft une fenfible joye que l'honneur de vous voir: Mais avec tout cela, je ne vous affureray point que je me rejouis du deflein où vous pourriez étre de devenir ma BeileMere. Le compliment, je vous Tavouë, eft trop difficile pour moy; & c'eft un titre, s'il vous plaît, que je ne vous fouhaite point. Ce difcours paroiftra brutal aux yeux de quelques uns; mais je fuis affure que vous ferez perfonne à le prendre comme il faudra. Que c'eft un mariage, Madame, où vous vous imaginez bien que je dois avoir de la repugnance;que vous n'ignorez pas, fçachant ce que je luis, comme il choque mes intérêts; & que vous voulez bien enfin que je vous dise, avec la permiffion de mon Pere, que fi les chofes dépendoient de moy, cet hymen ne se feroit point.

HARPAGON. Voilà un compliment bien impertinent. Quelle belle confeffion à luy faire!

MARIANE.

Et moy, pour vous répondre, j'ay à vous dire que les chofes font fort égales; & que fi vous auriez de la repugnance à me voir vôtre Belle-Mere, je n'en aurois pas moins fans doute à vous voir mon beau-Fils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce foit moy qui cherche à vous donner cette inquietude. Je ferois fort Ccc 4

fâr

fâchée de vous caufer du déplaifir; & fi je ne m'y vois forcée par une puiffance abfolue, je vous donne ma parole, que je ne consentiray point au mariage qui vous chagrine.

HARPAGON.

Elle a raifon. A fot compliment, il faut une réponfe de même. Je vous demande pardon, ma belle, de l'impertinence de mon fils, C'eft un jeune fot,qui ne fçait pas encore la confequence des paroles qu'il dit.

MARIAN E.

Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offenfée; au contraire, il m'a fait plaific de m'expliquer ainfi fes veritables fentimens. J'aime de luy un aveu de la forte; & s'il avoit parlé d'autre façon, je l'en eftimerois bien moins.

HARPAGON.

C'eft beaucoup de bonté à vous, de vouloir ainsi excufer les fautes. Le temps le rendra plus fage, &c. vous verrez qu'il changera de fentimens.

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CLEANTE.

Non,mon Pere,je ne fuis point capable d'en changer; & je prie inftamment Madame de le croire.

HARPA GON.

Mais voyez quelle extravagance! Il continue encore plus fort.

CLEAN TE.

Voulez-vous que je trahiffe mon coeur?

HARPAGON.

Encore? Avez-vous envie de changer de discours? CLEANTE.

Hé bien, puis que vous voulez que je parle d'autre façon; fouffrez, Madame, que je me mette ici à la place de mon Pere; & que je vous avouë, que je n'ay rien veu dans le monde de ficharmant que Vous; que je ne conçois rien d'égal au bonheur de vous plaire; & que le titre de vôtre époux eft une gloire, une felicité, que je préfererois aux deftinées des plus grands Princes de la terre. Oui, Madame, le bonheur de vous poffeder eft à mes regards la plus belle de toutes les fortunes; c'eft où j'attache toute mon ambition. Il n'y a rien que je ne fois capable de faire pour une conquête fi precieule; & les obftacles les plus puiffans...

HAR

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