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Me. JOURDAIN.

Que voulez-vous donc dire avec vôtre Gentilhomine? Eft ce que nous fommes, nous autres, de la côte de S. Louis?

M. JOURDAIN.

Taifez-vous, ma femme, je vous vois venir.
Me. JOURDAIN.

Décendons-nous tous deux que de bonne Bour

geoifie?

M. JOURDAIN.

Voilà pas le coup de langue?

Me. JOURDAIN.

Et vôtre Pere n'étoit-il pas Marchand auffi-bien que le mien?

M. JOURDAIN.

Pefte foit de la femme. Elle n'y a jamais manqué. Si vôtre Pere a été Marchand, tan.-pis pour luy; mais pour le mien, ce font des mal avifez qui difent cela. Tout ce que j'ay à vous dire, moy, c'eft que je veux avoir un gendre Gentilhomme.

Me. JOURDAIN.

Il faut à vôtre Fille un mary qui luy foit propre, & il vaut mieux pour elle un honnête homme riche & bien fait, qu'un Gentilhomme gueux & mal bâti.

NICOLE.

Cela eft vray. Nous avons le Fils du Gentilhomme de nôtre village, qui eft le plus grand Malitorne & le plus fot Dadais que j'aye jamais veu.

M. JOURDAIN.

Taifez-vous, impertinente. Vous vous fourrez toûjours dans la converfation; j'ay du bien affez pour ma Fille, je n'ay befoin que d'honneur, & je la veux faire Marquife.

Me. JOURDAIN.

Marquife!

M.

Oûi Marquife.

JOURDAIN.

Me. JOURDAIN.

Helas! Dieu m'en garde.

M. JOURDAIN.

C'est une chose que j'ay réfoluë.

Nnn 2

Me

Me. JOURDAIN

C'eft une chofe, moy, où je ne confentiray point. Les alliances avec plus grand que foy, font fujettes toûjours à de fâcheux inconveniens. Je ne veux point qu'un gendre puiffe à ma Fille reprocher ses parens, & qu'elle ait des enfans qui ayent honte de m'appeller leur Grand-Maman. S'il falloit qu'elle me vint vifiter en équipage de Grand'-Dame, & qu'elle manquât par mégarde à falüer quelqu'un du quartier, on ne manqueroit pas auffi-tôt de dire cent fottifes. Voyez-vous, diroit-on, cette Madame la Marquife qui fait tant la glorieuse? c'est la Fille de Monfieur Jourdain, qui étoit trop heureuse, étant petite, de jouer à la Madame avec nous: Elle n'a pas toûjours été fi relevée que la voilà; & fes deux Grands-Peres vendoient du drap auprés de la porte Saint innocent. Ils ont amaffé du bien à leurs enfans, qu'ils payent maintenant, peut-être, bien cher en l'autre monde, car l'on ne devient gueres fi riches à être honnêtes gens. Je ne veux point tous ces caquets, & je veux un homme en un mot qui m'ait obligation de ma Fille, & à qui je puiffe dire, mettez-vous-là, mon gendre, & dînez avec moy.

M. JOURDAIN.

Voilà bien les fentimens d'un petit Efprit, de vouloir demeurer toûjours dans la baffefle. Ne me repliquez pas davantage, ma Fille fera Marquise en dépit de tout le monde; & fi vous me mettez en colere, je la feray Duchesse.

Me. JOURDAIN.

Cleonte, ne perdez point courage encore. Suivezmoy, ma Fille, & venez dire réfolument à votre Pere, que fi vous ne l'avez, vous ne voulez époufer Ferfonne.

SCENE XIII.

CLEONTE, COVIELLE.

COVIELLE.

Vous avez fait de belles affaires, avec vos beaux

fentimens,

CLEON

CLEON TE.

Que veux-tu ? J'ay un fcrupule là-deffus, que l'exemple ne fçauroit vaincre.

COVIEL LE.

Vous moquez-vous, de le prendre serieusement avec un homme comme cela? Ne voyez-vous pas qu'il eft fou? & vous couftoit-il quelque chofe de vous accommoder à fes chimeres?

CLEON TE.

Tu as raifon; mais je ne croyois pas qu'il falut faire fes preuves de nobleffe, pour être gendre de Monfieur Jourdain.

Ah, ah, ah.

COVIELLE.

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COVIELLE."

D'une penfée qui me vient pour jouer nôtre hom me, & vous faire obtenir ce que vous fouhaitez.

Comment?

CLEONTE.

L'idée est tout-à-fait plaifante.

COVIELL E..

CLEON TE.

Quoy donc ?

COVIELLE.

Il s'eft fait depuis peu une certaine mascarade qui vient le mieux du monde ici, & que je prétens faire entrer dans une bourde que je veux faire à nôtre ridicule. Tout cela fent un peu fa Comedie; mais avec luy on peut hazarder toute chofe, il n'y faut point chercher tant de façons, il eft homme à y jouer fon rôle à merveille, & à donner ailément dans toutes les fariboles qu'on s'avifera de luy dire. J'ay les Acteurs, j'ay les habits tout prêts, laiffez-moy faire feulement.

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Je vais vous inftruire de tout; retirons-nous, le

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MONSIEUR JOURDAIN, LAQUAIS.

M. JOURDAIN.

Que diable eft-ce-là! Ils n'ont rien que les grands Seigneurs à me reprocher; & moy je ne vois rien de fi beau, que de hanter les grands Seigneurs: il n'y a qu'honneur & que civilité avec eux, & je voudrois qu'il m'eût coûté deux doigts de la main, & être né Comte, ou Marquis.

LAQUA I S.

Monfieur, voici Monfieur le Comte, & une Dame qu'il mene par la main.

M. JOURDAIN.

Hé mon Dieu, j'ay quelques ordres à donner. Dyleur que je vais venir ici tout-à-l'heure.

SCENE XV.

DORIMENE, DORANTE,

LAQUAIS.

LAQUAI S.

Monfieur dit comme cela, qu'il va venir ici tout

à-l'heure.

DORANT E.

Voilà qui eft bien. :

DORIMENE.

Je ne fçay pas, Dotante; je fais encore ici une étrange demarche, de me laiffer amener par vous dans une maifon où je ne connois perfonne.

DORANTE.

Quel lieu voulez-vous donc, Madame, que mon amour choififfe pour vous régaler, puis que pour fuir l'éclat, vous ne voulez ny vôtre maison, ny la

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DORIMENE.

Mais vous ne dites pas que je m'engage infenfiblement châque jour à recevoir de trop grands témoignages de vôtre paffion? J'ay beau me défendre des chofes, vous fatiguez ma refiftance, & vous avez

une civile opiniâtreté qui me fait venir doucement à tout ce qu'il vous plaît. Les vifites frequentes ont commencé; & les déclarations font venues en fuite, qui apres elles ont traîné les ferenades & les cadeaux, que les prefens ont fuivi. Je me fuis oppofée à tout cela, mais vous ne vous rebutez point, & pied à pied vous gagnez mes réfolutions. Pour moy je ne puis plus répondre de rien, & je croy qu'à la fin vous me ferez venir au mariage dont je me suis tant éloignée.

DORANTE.

Ma foy, Madame, vous y devriez déja être. Vous étes veuve, & ne dependez que de vous. Je fuis maître de moy, & vous aime plus que ma vie. A quoy tient-il que dés aujourd'huy vous ne faffiez tout mon bonheur?

DORIMENE.

Mon Dieu, Dorante, il faut des deux parts bien des qualitez pour vivre heureufement ensemble; & les deux plus raisonnables perfonnes du monde, ont fouvent peine à composer une union dont ils foient

fatisfaits

DORANT E.

Vous vous moquez, Madame, de vous y figurer tant de difficultez; & l'experience que vous avez faite, ne conclut rien pour tous les autres.

DORIMENE.

Enfin, j'en reviens toûjours-là. Les dépenfes que deux je vous voy faire pour moy, m'inquietent par raifons; Pune, qu'elles m'engagent plus que je ne voudrois; & l'autre, que je fuis feure, fans vous déplaire, que vous ne les faites point, que vous ne vous incommodiez; & je ne veux point cela.

DORANT E.

Ah, Madame, ce font des bagatelles, & ce n'eft pas par-là...

DORIM EN E.

Je fçay ce que je dis, & entr'autres le Diamant que vous m'avez forcée à prendre, eft d'un prix... DORANTE,

Eh, Madame, de grace, ne faites point tant valoir une chofe que mon amour trouve indigne de vous, & fouffrez... Voici le Maître du logis.

Nnn 4

SCE

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