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M. LOY A L.

Oui, Monfieur, s'il vous plaît. La maifon à préfent, comme fçavez de refte, Au bon Monfieur Tartuffe appartient fans contefte, De vos bien deformais il eft Maitre, & Seigneur, En vertu d'un contrat duquel je fuis porteur. Il eft en bonne forme, & l'on n'y peut rien dire. DA MIS.

Certes, cette impudence eft grande, & je l'admire.
M. LOY A L.

Monfieur, je ne dois point avoir affaire à vous;
C'eft à Monfieur, il eft & raifonnable, & doux,
Et d'un homme de bien il fçait trop bien l'office,
Pour fe vouloir du tout oppofer à fuftice.

Mais...

ORGON.

M. LOY À L.

Oui, Monfieur, je fçais que pour un million
Vous ne voudriez pas faire rebellion;
Et que vous fouffrirez en honnête perfonne,
Que j'exécute ici les ordres qu'on me donne.
DA MIS.

Vous pourriez bien ici, fur vôtre noir jupon,
Monfieur l'Huiffier à verge, attirer le bâton.
M. LOY A L.

Faites que votre fils fe taife, ou le retire,
Monfieur, j'aurois regret d'être obligé d'écrire,
Et de vous voir couche dans mon procés verbal.
DORIN E.

Ce Monfieur Loyal porte un air bien déloyal!
M. LOYA L.

Pour tous les gens de bien,j'ay de grandes tendreffes,
Et ne me fuis voulu, Monfieur, charger des Pieces,
Que pour vous obliger, & vous faire plaifir;
Que pour ôter, par là, le moyen d'en choisir,
Qui n'ayant pas pour vous le zele qui me pouffe,
Auroient pû proceder d'une façon moins douce.

ORGON.

Et que peut-on de pis, que d'ordonner aux gens

De fortir de chez eux?

M. LOYA L.

On vous donne dn temps,

Et jufques à demain, je ferai furfeance

A l'exécution, Monfieur, de l'Ordonnance,
Je viendrai feulement paffer ici la nuit,

Avec dix de mes gens, fans fcandale, & fans bruit. Pour la forme, il faudra, s'il vous plait, qu'on m'apporte,

Avant que fe coucher, les clefs de vôtre porte,
J'aurai foin de ne pas troubler vôtre repos,
Et de ne rien fouffrir qui ne foit a propos.
Mais demain du matin, il vous faut être habile
A vuider de céans jufqu'au moindre utencile.
Mes gens vous aideront; & je les ai pris forts,
Pour vous faire fervice à tout mettre dehors.
On n'en peut pas ufer mieux que je fais, je penfe,
Et comme je vous traite avec grande indulgence,
Je vous conjure auffi, Monfieur, d'en ufer bien,
Et qu'au deû de ma charge on ne me trouble en rien.
ORGON.

Du meilleur de mon cœur, je donnerois fur l'heure
Les cent plus beaux Louis de ce qui me demeure,
Et pouvoir à plaifir, fur ce muffle affener
Le plus grand coup de poing qui fe puiffe donner.
CLEANTE.

Laiffez, ne gâtons rien.

DA MIS.

A cette audace étrange, J'ay peine à me tenir, & la main me demange.

DORIN E.

Avec un fi bon dos, ma foi, Monfieur Loyal, Quelques coups de bafton ne vous fiéroient pas mah

M. LOYAL.

On pourroit bien punir ces paroles infames,
Mamie, & l'on decréte auffi contre les femmes.

CLEAN T E.

Finiffons tout cela, Monfieur, c'en eft affez;
Donnez-tôt ce papier, de grace, & nous laiffez.

M. LOY A L.

Jufqu'au revoir. Le Ciel vous tienne tous en joie. ORGON.

Puiffe-t-il te confondre, & celuy qui t'envoie.

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SCENE V..

ORGON, CLEANTE, MARIANE, ELMIRE
M. PERNELLE, DORINE,
DAMIS.

ORG ON..

3

HE' bien, vous le voyez, ma Mere, fi j'ay droit.
Et vous pouvez juger du refte, par l'Exploit.
Ses trahifons enfin, vous font elles connues?
M: PERNELLE.
Je fais toute ébaudie, & je tombe des nuës.
DORIN E.

Vous vous plaignez à tort; à tort vous le blâmez,
Et fes pieux deffeins, par là, font confirmez.
Dans l'amour du prochain, fa vertu fe confomme,
Il fait que tres-fouvent les biens corrompent l'hom--

me;

Et par charité pure, il veut vous enlever

Tout ce qui vous peut faire obftacle à vous fauver.

ORGON.

Taifez-vous ; c'eft-le mot qu'il vous faut toûjours di

re.

CLEANTE.

Allons voir quel confeil on doit vous faire élire,

ELMIR E.

Allez faire éclater l'audace de l'ingrat:
Ce procedé détruit la vertu du Contrat;
Et fa déloyauté va paroître trop noire,

Pour fouffrir qu'il en ait le fuccés qu'on veut croires

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VALERE, ORGON, CLEANTE, ELMIRE, MARIANE, &c.

VALERE.

AVec regret, Monfieur, je viens vous affliger
Mais je m'y vois contraint par le preffant danger.-
Un ami qui m'eft joint d'une amitié fort tendre,
Et qui fcait l'interêt qu'en vous j'ai lieu de prendre,
A violé pour moi, par un pas délicat,

Kkk s

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Le fecret que l'on doit aux affaires d'Etat,
Et me vient d'envoyer un avis dont la fuite
Vous réduit au parti d'une foudaine fuite.
Le fourbe, qui long-temps a pû vous impofer,
Depuis une heure, au Prince a fçeû vous accufer,
Et remettre en fes mains, dans les traits qu'il vous
jette,

D'un Criminel d'Etat, l'importante caffette,
Dont, au mépris, dit-il, du devoir d'un Sujet,
Vous avez confervé le coupable fecret.

J'ignore le détail du crime qu'on vous donne, Mais un ordre eft donné contre votre perfonne, Et lui-même eft chargé, pour mieux l'exécuter, D'accompagner celui qui vous doit arrêter.

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CLEANTE... Voilà fes droits armez, & c'eft par où le traître, De vos biens qu'il prétend, cherche à fe rendre mai

tre.

ORGON..

L'homme eft, je vous l'avoue, un méchant ani

mal!

VALERE

Le moindre amufement vous peut être fatal.
J'ay, pour vous emmener, mon caroffe à la porte,
Avec mille Louis qu'ici je vous apporte.

Ne perdons point de temps, le trait eft foudroyant,
Et ce font de ces coups que l'on pare en fuyant.
A vous mettre en lieu für, je m'offre pour condui-

te,

Et veux accompagner, jufqu'au bout, vôtre fuite, ORGON.

Las! que ne dois-je point à vos foins obligeans? Pour vous en rendre grace, il faut un autre temps; Et je demande au Ciel, de m'être affez propice, Pour reconnoftre un jour de genereux fervice. Adieu, prenez le foin vous autres...

CLEAN TE.

Allez-tot. Nous fongerons, mon frere, à faire ce qu'il faut.

SOE

SCENE DERNIERE..

L'EXEMPT, TARTUFFE, VALERE, ORGON, EL MIRE, MARIANE, &c.

TARTUFF E.

Tout beau, Monfieur, tout beau, ne courez point

fi vite,

Vous n'irez pas fort loin, pour trouver votre gîte,
Et de la part du Prince, on vous fait prifonnier.
ORGON.

Traître, tu me gardois ce trait pour le dernier.
C'eft le coup, fcelerat, par où tu m'expedies,
Et voila couronner toutes res perfidies.

TARTUFFE.
Vos injures n'ont rien à me pouvoir aigrir,
Et je fuis, pour le Ciel, appris à tout fouffrir.

CLEANTE.

La moderation eft grande, je l'avouë.

DAMIS.

Comme du Ciel, l'infame impudemment fe jouë! TARTUFF E.

Tous vos emportemens ne fçauroient m'émouvoiry. Et je ne fonge à rien, qu'à faire mon devoir.

.

MARIA N E. Vous avez de ceci, grande gloire à prétendre, Et cet emploi pour vous, eft fort honnête à pren dre.

TARTUFF E.

Un emploi ne fçauroit être que glorieux,
Quand il part du pouvoir qui m'envoie en ces lieux..
ORGON.

Mais t'es-tu fouvenu que ma main charitable,
Ingrat, t'a retiré d'un état miferable?

TARTUFFE.

Out, je fçai quels fecours j'en ai pû recevoir;

Mais l'interêt du Prince eft mon premier devoir. .
De ce dévoir facré la jufte violence

Etouffe dans mon cœur toute reconnoiffance;
Et je facrifirois à de fi puiffans nous,

Ami, femme, parens, & moi-même avec eux. «
Kkk 6.

EL

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