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Je paffe là-deffus, & prens au pis la chofe.
Suppofons que Damis n'en ait pas bien ufé,
Et que ce foit à tort qu'on vous ait accufé;
N'eft-il pas d'un Chrêtien, de pardonner l'offence,
Et d'éteindre en fon cœur tout defir de vangeance?
Et devez-vous fouffrir, pour vôtre démêle,
Que du Logis d'un Pere, un Fils foit exilé?
Je vous le dis encore, & parle avec franchise;
Il n'eft petit, ny grand, qui ne s'en fcandalife;
Et fi vous m'en croyez, vous pacifierez tout,
Et ne poufferez point les affaires à bout.
Sacrifiez à Dicu toute vôtre colere,
Et remettez le Fils en grace avec le Pere.
TARTUFF E.

Helas! je le voudrois, quant à moi, de bon cœur ;
Je ne garde pour luy, Monfieur, aucune aigreur,
Je luy pardonne tout, de rien je ne le blâme,
Et voudrois le fervir du meilleur de mon ame:
Mais l'interêt du Ciel n'y fçauroit confentir;
Et s'il rentre ceans, c'est à moi d'en fortir.
Aprés fon action qui n'eût jamais d'égale,
Le commerce entre nous, porteroit du fcandale:
Dieu fçait ce que d'abord tout le monde en croiroit;
A pure politique, on me l'imputeroit,

Et l'on diroit par tout, que me fentant coupable,
Je feins, pour qui m'accufe, un zele charitable:
Que mon coeur l'apprehende, & veut le ménager,
Pour le pouvoir, fous main, au filence engager..

CLEAN TE.

Vous nous payez icy d'excufes colorées,

Et toutes vos raifons, Monfieur, font trop tirées
Des interêts du Ciel. De quoi vous chargez-vous?
Pour punir le coupable, a-t-il befoin de nous ?
Laiffez luy, laiffez-luy le foin de fes vangeances,
Ne fongez qu'au pardon qu'il prefcrit des offences;
Et ne regardez point aux jugemens humains,
Quand vous fuivez du Ciel les ordres fouverains.
Quoi! le foible intérêt de ce qu'on pourra croire,
D'une bonne action, empêchera la gloire?
Non, non, faifons toûjours ce que le Ciel prefcrit,
Et d'aucun autre foin ne nous brouillons l'efprit..
TARTUFFE.

Je vous ay déja dit que mon cœur luy pardonne,

Iii 6

ES

Et c'eft faire, Monfieur, ce que le Ciel ordonne:
Mais aprés le fcandale, & l'affront d'aujourd'huy,
Le Ciel n'ordonne pas que je vive avec luy.
CLEANTE.

Et vous ordonne-t-il, Monfieur, d'ouvrir l'oreille
A ce qu'un pur caprice à fon Pere confeille?
Et d'accepter le don qui vous eft fait d'un bien
Où le droit vous oblige à ne prétendre rien.
TARTUFF E.

Ceux qui me connoîtront, n'auront pas la penfee
Que ce foit un effet d'une ame intereffée.
Tous les biens de ce monde ont pour moy peu d'ap-

pas,

De leur éclat trompeur je ne m'ébloûis pas ;
Et fi je me réfous à recevoir du Pere
Cette donation qu'il a voulu me faire,

Ce n'eft, à dire vray, que parce que je crains
Que tout ce bien ne tombe en de méchantes mains ;
Qu'il ne trouve des Gens, qui l'ayant en partage,
En faflent, dans le monde, un criminel ufage;
Et ne s'en fervent pas, ainfi que j'ay deffein,
Pour la gloire du Ciel, & le bien du Prochain.
CLEANT E.

Eh, Monfieur, n'ayez point ces délicates craintes,
Qui d'un jufte heritier peuvent caufer les plaintes.
Souffrez, fans vous vouloir embarraffer de rien,
Qu'il foit, à fes perils, poffeffeur de fon bien;
Er fongez qu'il vaut mieux encor qu'il en mefufe,
Que fi de l'en fruftrer, il faut qu'on vous accufe,
J'admire feulement que, fans confusion,
Vous en ayez fouffert la propofition;
Car enfin, le vray zele a-t-il quelque maxime
Qui montre à dépouiller l'heritier legitime?
Ers'il faut que le Ciel dans votre cœur ait mis
Un invincible obftacle à vivre avec Damis,
Ne vaudroit-il pas mieux, qu'en Perfonne discrette,
Vous fiffiez de ceans une honnête retraite,
Que de fouffrir ainfi, contre toute raifon,
Qu'on en chaffe, pour vous, le Fils de la Maifon?
Croyez-moy, c'eft donner de vôtre prud'hommie,
Monfieur...

TARTUFF E.

left, Monfieur, trois heures & demie;

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Certain devoir pieux me demande là-haut
Et vous m'excuferez, de vous quitter fi-tôt.

Ah!

CLEANTE,

SCENE II.

ELMIRE, MARIANE, DORINE,.
CLEANTE..

DORIN F.

DE grace, avec nous,employez-vous pour elle,

Monfieur, fon ame fouffre une douleur mortelle;
Et l'accord que fon tére a conciu pour ce foir,
La fait, à tous momens, entrer en défespoir.
Il va venir; joignons nos efforts, je vous prie,
Et tâchons d'ébranler de force, ou d'induftrie,
Ce malheureux deffein qui nous a tous troublez.

SCENE III.

ORGON, ELMIRE, MARIANE,
CLEANTE, DORINE.

ORGON.

HA, je me réjouis de vous voir assemblez.

à Mariane,

Je porte, en ce Contrat, dequoy vous faire rire,
Et vous fçavez déja ce que cela veut dire.

MARIANE à genoux.

Mon Pere, au nom du Ciel, qui connoît ma douleur,
Et par tout ce qui peut émouvoir vôtre cœur,
Relâchez-vous un peu des droits de la naiffance,
Et difpenfez mes voeux de cette obéiffance.
Ne me réduifez point, par cette dure Loy,
Jufqu'à me plaindre au Ciel de ce que je vous doy.:
Et cette vie, hélas! que vous m'avez donnée,
Ne me la rendez pas, mon Pere, infortunée.
Si contre un doux espoir que j'avois pû former,
Vous me défendez d'être à ce que j'ofe aimer;
Au moins, par vos bontez, qu'à vos genoux j'implo-

re,

Sauvez-moi du tourment d'être à ce que j'abhorre;
Et ne me portez point à quelque détespoir,

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En vous fervant, fur moi, de tout vôtre pouvoir. ORGON Jefentant attendrir.

Allons, ferme, mon coeur, point de foiblefle hu

maine.

MARIAN E.

Vos tendreffes pour lui ne me font point de peine;
Faites les éclater, donnez-lui vôtre bien;

Et fi ce n'eft affez, joignez-y tout le mien,
J'y confens de bon cœur, & je vous l'abandonne :
Mais au moins n'allez pas jufques à ma perfonne,
Et fouffrez qu'un Couvent, dans les aufteritez,
Ufe les triftes jours que le Ciel m'a contez.
ORGON.

Ah! voilà juftement de mes Religieufes,
Lors qu'un Pere combat leurs flames amoureuses.
Debout. Plus vôtre cœur repugne à l'accepter,
Plus ce fera pour vous, matiére à mériter.
Mortifiez vos fens avec ce Mariage,

Et ne me rompez pas la tête davantage.

Mais quoi...

DORIN E.

ORGON.

Taifez-vous, vous. Parlez à vôtre écot,

Je vous défens, tout net, d'ofer dire un feul mot. CLEAN T E.

Si par quelque confeil vous fouffrez qu'on réponde...

ORGON.

Mon Frere, vos confeils font les meilleurs du mon

de,

Ils font bien raifonnez, & j'en fais un grand cas;
Mais vous trouverez bon que je n'en use pas.
ELMIRE à fon Mari.
A voir ce que je vois, je ne fçai plus que dire,
Et vôtre aveuglement fait que je vous admire.
C'est être bien coiffé, bien prévenu de lui,
Que de nous démentir fur le fait d'aujourd'hui.
ORGON.

Te fuis vôtre Valet, & crois les apparences.
Pour mon fripon de Fils, je fçay vos complaifances,
Et vous avez eu peur de le défavoüer

Du trait qu'à ce pauvre Homme il a voulu joñer.
Vous étiez trop tranquille enfin, pour être cruë,
Et vous auriez paru d'autre maniére emeûë,

EL

ELMIR E.

Eft-ce qu'au fimple aveu'd'un amoureux transport,
Il faut que notre honneur fe gendarme fi fort?
Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche,
Que le feu dans les yeux, & l'injure à la bouche?
Pour moy, de tels propos, je me ris fimplement,
Et l'éclat, là deffus, ne me plaît nullement.

J'aime qu'avec douceur nous nous montrions fages,
= Et ne fuis point, du tout, pour ces Prudes fauvages,
= Dont l'honneur eft armé de griffes, & de dents,
Et veut, au moindre mot, dévifager les Gens.
Me préferve le Ciel d'une telle fageffe!
Je veux une Verru qui ne foit point diableffe,
Et crois que d'un refus la difcrete froideur,
N'en eft pas moins puiffante à rebuter un cœur.

ORGON.

Enfin je fçay l'affaire, & ne prens point le change.

ELMIR E.

J'admire, encor un coup, cette foibleffe étrange.
Mais que me répondroit vôtre incrédulité,
Si je vous faifois voir qu'on vous dit vérité?

ORGON.

Voir ?

ELMIR E.

Oui.

ORGON,

Chanfons.

ELMIR E.

Mais quoy!fi je trouvois maniére

De vous le faire voir avec pleine lumiére?

Contes en l'air.

ORGON.

ELMIRE.

Quel Homme! Au moins répondez-moi.

Je ne vous parle pas de nous ajoûter foi:

Mais fuppofons icy, que d'un lieu qu'on pût pren-
dre,

On vous fit clairement tout voir, & tout entendre,
Que diriez-vous alors de vôtre Homme de bien ?

ORGON.

En ce cas, je dirois que... Je ne dirois rien ;

Car cela ne fe peut.

EL

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