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ACTEUR S.

MADAME PERNELLE, Mere d'Orgon, ORGON, Mari d'Elmire.

ELMIRE, Femme d'Orgon.

DAMIS, Fils d'Orgon.

MARIANE, Fille d'Orgon, & Amante de

Valere.

VALERE, Amant de Mariane.

CLEANTE, Beau-frere d'Orgon

TARTUFFE, Faux dévot.

DORINE, Suivante de Mariane.

MONSIEUR LOYAL, Sergeant.

UN EXEMPT.

FLIPOTE, Servante de Madame Pernelle,
LAURENT, Valet du Tartuffe.

La Scene eft à Paris,

V

Oici une Comedie, dont on a fait beaucoup de bruit, qui a été longtemps perfecutée: & les gens qu'elle joue ont bien fait voir qu'ils étoient plus puifans en France que tous ceux que j'ai jouez jufques ici. Les Marquis, les Précieufes,les Cocus,& les Médecins,ont fouffert doucement qu'on les ait reprefentez: & ils ont fait femblant de fe divertir avec tout le monde, des peintures que l'on a faites d'eux. Mais les Hypocrites n'ont point entendu raillerie; ils fe font effarouchez d'abord, ont trouvé étrange que eue la bardieffe de jouer leurs grimaces, & de vouloir décrier un mêtier dont tant d'honnêtes gens fe mêlent.C'est un crime qu'ils ne fçauroient me pardonner, & ils fe font tous armez contre ma Comedie, avec une fureur épouvantable. Ils n'ont eu garde de l'attaquer par le côté qui les a bleffez; ils font trop politiques pour cela, & fçavent trop bien vivre pour découvrir le fond de leur ame. Suivant leur loüable coûtume, ils ont couvert leurs interêts de la caufe de Dieu; & le Tartuffe dans leur bouche eft une Piece qui offenfe la pieté. Elle eft d'un bout à l'autre pleine d'abominations,& l'on n'y trouve rien qui ne merite le feu.Toutes les fyllabes en font impies; Les geftes mêmey font criminels; & le moindre coup d'œil, le moindre branlement de tête, le moindre pas à droit, ou à gauche, y cache des myfteres, qu'ils trouvent moyen d'expliquer à mon defavantage.Fay eu beau la foumettre aux lumieres de mes Amis,& à la cenfure de tout le monde.Les Corrections que j'ai pu faire, le jugement du Roi,

de la Reine, qui Pont veue, l'approbation des grands Princes,& de Meffieurs les Miniftres qui Tont bonorée publiquement de leur préfence; le témoignage des Gens de bien qui l'ont trouvée profitable, tout cela n'a de rien fervi. Ils n'en veulent point démordre, & tous les jours encore ls font crier en public des zelez indifcrets qui me difent des injures pieufement, & me damnent par charité.

Je me foucirois fort peu de tout ce qu'ils peu vent dire, n'étoit l'artifice qu'ils ont de me faire des ennemis que je respecte,& de jetter dans leur parti de véritables gens de bien,dont ils préviennent la bonne foi & qui par la chaleur qu'ils ont pour les interêts du Ciel, font faciles à recevoir les impreffions qu'on veut leur donner. Voilà ce qui m'oblige à me défendre. C'eft aux vrais Dé vots que je veux par tout me juftifier fur la conduite de ma Comedie; je les conjure de tout mon cœur de ne point condamner les chefes avant que de les voir de fe défaire de toute prévention, &de ne point fervir la paffion de ceux dont les grimaces les deshonorent.

Si l'on prend la peine d'examiner de bonne foi ma Comedie, on verra fans doute que mes intentions y font par tout innocentes,&qu'elle ne tend nullement à jouer les chofes que l'on doit reverer:que je l'ai traitée avec toutes les précautions que me demandoit la delicatele de la matiére;& que j'ai mis tout l'art, & tous les foins qu'il m'a été poffible pour bien diftinguer le perfonnage de Hypocrite d'avec celui du vrai Dévot.Fay employé pour cela deux Actes entiers à préparer la venue de mon Scelerat.Il ne tient pas un feul mo

ment

ment l'Auditeur en balance, on le connoît d'abord aux marques que je lui donne, & d'un boût àl'autre il ne dit pas un mot, il ne fait pas une action qui ne peigne aux Spectateurs le caracte re d'un méchant homme, & ne faffe éclater celui du veritable homme de bien, que je lui oppofe.

Fefgay bien que, pour réponse, ces Meffients tâchent d'infinuer que ce n'eft point au Theatre à parler de ces matières: mais je leur demande avec leur permiffion, fur quoi ils fondent cette belle maxime. C'est une propofition qu'ils ne font que fuppofer,& qu'ils ne prouvent en aucune facon:&fans doute il ne feroit pas difficile de leur faire voir que la Comedie chez les Anciens a pris fon origine de la Religion, & faifoit partie de leurs Myfteres; que les Espagnols nos voisins, ne celebrent gueres de Fête où laComedie ne foit mêlée;& que même parmi nous elle doit fanaiffance aux foins d'une Confrairie à qui appartient encore aujourd'huy Hôtel de Bourgogne; que c'eft un lieu qui fut donné pour y reprefenter les plus importans Myfteres de nôtre Foi; qu'on en voit encore des Comedies imprimées en lettres Gothi ques fous le nom d'un Docteur de Sorbonne : fans aller chercher fi loin, que l'on a joué de nôtre temps des Pieces faintes de Mr. de Corneille, qui ont été l'admiration de toute la France.

Si l'employ de la Comedie eft de corriger les vices des hommes,je ne vois pas par quelle railon ily en aura de privilegiez. Celui-ci eft dans l'Etat d'une confequence bien plus dangereuse que tous les autres, & nous avons veu que le Theatre aune grande vertu pour la correction. Les plus beaux traits d'une ferieufe Morale font moins Ggg 4

puif

puiffans,le plus fouvent,que ceux de la Satire, rien ne reprend mieux la plupart des hommes, que la peinture de leurs défauts. C'est une gran de atteinte aux vices,que de les expofer à la rifée de tout le monde. On fouffre aisément des reprebenfions;mais on ne fauffre point la raillerie.On veut bien être méchant: mais on ne veut point être ridicule.

On me reproche d'avoir mis des termes de pieté dans la bouche de mon Impofteur; Et pouvois je m'en empêcher pour bien reprefenter le caracte redun Hypocrite? Il fuffit, ce me femble, que je faffe connoître les motifs criminels qui lui font dire les chofes, & que j'en aye retranché les termes confacrez, dont on auroit eu peine à lui entendre faire un mauvais usage.Mais il debite au quatriéme Acte une Morale pernic eufe. Mais cette Morale eft-elle quelque chofe, dont tout le monde n'eût les oreilles rebattues?dit-elle rien de nouveau dans ma Comedie? & peut-on craindre que des chofes fi géneralement deteftées fassent quelque impreffion dans les Efprits? que je les rende dangereufes, en les faifant monter fur le Theatre? qu'elles reçoivent quelque autorité de la bouche d'un Scelerat? Il n'y a nulle apparence à cela; l'on doit approuver la Comedie du Tarou condamner géneralement toutes les

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tuffe Comedies.

C'eft à quoy l'on s'attache furieufement depuis un temps; & jamais on ne s'étoit fi fort déchainé contre leThéatre. Je ne puis pas nier qu'il n'y ait eu des Peres de l'Eglife qui ont condamné la Comedie; mais on ne peut pas me nier auffi qu'il n'y en ait eu quelques-uns qui l'ont traitée un peu

plus

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