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bras liez. L'égalité de condition laiffe du moins à l'honneur d'un mari liberté de reffentiment, & fi c'étoit une Païfanne, vous auriez maintenant toutes vos coudées franches à vous en faire la justice à bons coups de bâton. Mais vous avez voulu tâter de la Nobleffe, & il vous ennuyoit d'être maître chez vous. Ah! j'enrage de tout mon cœur, & je me donnerois volontiers des foufflets. Quoi écouter impudemment l'amour d'un Damoifeau, & y promettre en même temps de la correfpondance! Morbleu, je ne veux point laiffer paffer une occafion de la forte. Il me faut de ce pas aller faire mes plaintes au pere & à la mere, & les rendre témoins à telle fin que de raifon, des fujets de chagrin & de reffentiment que leur fille me donne. Mais les voici l'un & l'autre fort à propos.

SCENE IV.

MONSIEUR ET MADAME DE SOTENVILLE: GEORGE DANDIN.

Mr. DE SOTENVILLE.

Qu'est-ce, mon gendre? vous me paroiffez tout

troublé.

GEORGE DANDIN.

Auffi en ay- je du fujet, &...

Me. DE SOTENVILLE.

Mon Dieu, nôtre gendre, que vous avez peu de civilité de ne pas faluer les gens quand vous les approchez.

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GEORGE DANDIN.

Ma foy, ma belle-mere, c'eft que j'ay d'autres chofes en tête, &...

Me. DE SOTENVILLE.

Encor? eft-il poffible, nôtre gendre, que vous feachiez fi peu vôtre monde, & qu'il n'y ait pas moyen de vous inftruire de la maniere qu'il faut vivre parmi les perfonnes de qualité?

GEORGE DANDIN.

Comment ?

Me. DE SOTENVILLE.

Ne vous déferez-vous jamais avec moi de la fami

liarité de ce mot de ma belle-mere, & ne fçauriezvous vous accoûtumer à me dire Madame.

GEORGE DANDIN.

Parbleu, fi vous m'appellez vôtre gendre, il me femble que je puis vous appeller ma belle-mere. Me. DE SOTENVILLE.

Il y a fort à dire, & les chofes ne font pas égales. Apprenez, s'il vous plaît, que ce n'eft pas à vous à vous fervir de ce mot-là avec une perfonne de ma condition; Que tout nôtre gendre que vous foyez, il y a grande difference de vous à nous, & que vous devez vous connoître.

Mr. DE SOTENVILLE.

C'en eft affez m'amour, laiffons cela.

Me. DE SOTENVILLE.

Mon Dieu, Monfieur de Sotenville,vous avez des indulgences qui n'appartiennent qu'à vous, & vous ne fçavez pas vous faire rendre par les gens ce qui vous est dû.

Mr. DE SOTENVILLE.

Corbleu, pardonnez-moi, on ne peut point me faire des leçons là-deffus, & j'ay fceû montrer en ma vie par vingt actions de vigueur, que je ne fuis point homme à démordre jamais d'une partie de mes prétentions. Mais il fuffit de lui avoir donné un petit avertiffement. Scachons un peu, mon gendre, ce que vous avez dans l'esprit.

GEORGE DANDIN. Puifqu'il faut donc parler categoriquement, je vous diray, Monfieur de Sotenville, que j'ay lieu de...

Mr. DE SOTENVILLE.

Doucement, mon gendre. Apprenez qu'il n'eft pas refpectueux d'appeller les gens par leur nom, & qu'à ceux qui font au deffus de nous il faut dire Monfieur tout court.

GEORGE DANDIN. Hé bien, Monfieur tout court, & non plus Monfieur de Sotenville, j'ay à vous dire que ma femme. me donne...

Mr. DE SOTENVILLE.

Tout beau. Apprenez auffi que vous ne devez pas dire ma femme, quand vous parlez de notre fille.

Eee 3

GEOR

GEORGE DANDIN.

J'enrage. Comment, ma femme n'eft pas ma

femme ?

Me. DE SOTENVILLE.

Oui, nôtre gendre, elle eft vôtre femme; mais il ne vous eft pas permis de l'appeller ainfi, & c'eft tout ce que vous pourriez faire, fi vous aviez epoufé une de vos pareilles.

GEORGE DANDIN.

Ah! George Dandin, où t'es-tu fourré? Et de grace, mettez pour un moment vôtre gentilhommerie à côté, & fouffrez que je vous parle maintenant comme je pourrai. Au diantre foit la tyrannie de toutes ces hiftoires-là. Je vous dis donc que je fuis mal fatisfait de mon mariage.

Mr. DE SOTENVILLE.

Et la raison, mon gendre.

Me. DE SOTENVILLE.

Quoi parler ainfi d'une chose dont vous avez tiré de fi grands avantages?

GEORGE DANDIN.

Et quels avantages, Madame, puifque Madame y a L'avanture n'a pas été mauvaise pour vous, car fans moi vos affaires, avec vôtre permiffion, étoient fort délabrées, & mon argent à fervi à reboucher d'affez bons trous; mais moi dequoi y ay-je profité, je vous prie, que d'un alongement de nom, & an lieu de George Dandin, d'avoir receû par vous le titre de Monfieur de la Dandiniere?

Mr. DE SOTENVILLE.

Ne contez-vous pour rien, mon gendre, l'avantage d'être allié à la maifon de Sotenville?

Me. DE SO TENVILLE.

Er à celle de la Prudoterie, dont j'ay l'honneur d'étre iffuë? Maifon où le ventre anoblit : & qui par ce beau privilege rendra vos enfans gentishommes. GEORGE DANDIN.

Oui, voilà qui eft bien, mes enfans feront gentishommes, mais je feray cocu moi, fi l'on n'y met ordre.

Me. DE SOTENVILLE. Que veut dire cela, mon gendre?

GEOR

GEORGE DANDIN.

Cela veut dire que vôtre fille ne vit pas comme il faut qu'une femme vive, & qu'elle fait des chofes qui font contre l'honneur.

Me. DE SOTENVILLE.

Tout beau. Prenez garde à ce que vous dites. Ma fille eft d'une race trop pleine de vertu pour fe porter jamais à faire aucune chofe dont l'honnêteté foit bleffée, & de la maifon de la Prudoterie, il y a plus de trois cens ans qu'on n'a point remarqué qu'il yait eu de femme, Dieu merci, qui ait fait parler d'elle.

Mr. DE SOTENVILLE.

Corbleu, dans la maifon de Sotenville on n'a jamais veu de coquette, & la bravoure n'y eft pas plus hereditaire aux mâles, que la chafteté aux femelles.

Me. DE SOTENVILLE.

Nous avons eu une Jacqueline de la Prudoterie qui ne voulut jamais être la Maîtreffe d'un Duc & Fair, Gouverneur de nôtre Province.

Mr. DE SOTENVILLE.

Il y a eu une Mathurine de Sotenville qui refufa vingt mille écus d'un favori du Roi, qui ne lui demandoit feulement que la faveur de lui parler. GEORGE DANDIN.

Ho bien vôtre fille n'eft pas fi difficile que cela, & elle s'eft apprivoifée depuis qu'elle eft chez moi. Mr. DE SOTENVILLE.

Expliquez-vous, mon gendre, nous ne fommes point gens à la fupporter dans de mauvaifes actions, & nous ferons les premiers, fa mere & moi, à vous en faire la juftice.

Me. DE SOTENVILLE.

Nous n'entendons point raillerie fur les matieres de l'honneur, & nous l'avons élevée dans toute la severité poffible.

GEORGE DANDIN.

Tout ce que je vous puis dire, c'eft qu'il y a ici un certain Courtifan que vous avez vâ, qui eft amoureux d'elle à ma barbe, & qui luy a fait faire des proteftations d'amour, qu'elle a trés-humainement écoutées.

Eee 4

Me.

Me. DE SOTENVILLE.

Jour de Dieu, je l'étranglerois de mes propres mains, s'il falloit qu'elle forlignât de l'honnêteté de fa mere.

Mr. DE SOTENVILLE.

Corbleu, je luy pafferois mon épée au travers du corps, à elle & au galant, fi elle avoit forfait à fon honneur.

GEORGE DANDIN.

Je vous ay dit ce qui fe paffe pour vous faire mes plaintes, & je vous demande raifon de cette affaire-là.

Mr. DE SOTENVILLE.

Ne vous tourmentez point, je vous la ferai de tous deux, & je fuis homme pour ferrer le bouton à qui que ce puiffe être. Mais étes-vous bien für auffi de ce que vous nous dites?

Trés-fûr.

GEORGE DANDIN.

Mr. DE SOTENVILLE.

Prenez bien garde au moins, car entre Gentishommes, ce font des chofes chatoüilleufes,& il n'est pas queftion d'aller faire ici un pas de Clerc.

GEORGE DANDIN,

Je ne vous ay rien, dit, vous dis-je, qui ne foit veritable.

Mr. DE SOTENVILLE. M'amour, allez vous en parler à vôtre fille, tandis qu'avec mon gendre j'iray parler à l'homme. Me. DE SOTENVILLE.

Se pourroit-il, mon fils, qu'elle s'oubliât de la forte, aprés le fage exemple que vous fçavez vousmême que je luy ay donné.

Mr. DE SOTENVILLE.

Nous allons éclaircir l'affaire. Suivez-moi, mon gendre, & ne vous mettez pas en peine, vous verrez de quel bois nous nous chauffons lors qu'on s'attaque: à ceux qui nous peuvent appartenir.

GEORGE DANDIN.

Le voici qui vient vers nous.

SCE

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