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besoin d'excuse auprès de vous! car, qui que vous soyez, vous n'êtes, comme moi, que des pécheurs. C'est devant votre Dieu et le mien que je me sens pressé dans ce moment de frapper ma poitrine.

Jusqu'à présent j'ai publié les justices du Très-Haut dans des temples couverts de chaume; j'ai prêché les rigueurs de la pénitence à des infortunés qui manquoient de pain; j'ai annoncé aux bons habitants des campagnes les verités les plus effrayantes de ma religion. Qu'ai-je fait? malheureux ! j'ai contristé les pauvres, les meilleurs amis de mon Dieu; j'ai porté l'épouvante et la douleur dans ces âmes simples et fidèles que j'aurois dû plaindre et consoler.

C'est ici, où mes regards ne tombent que sur des grands, sur des riches, sur des oppresseurs de l'humanité souffrante, ou des pécheurs audacieux, et endurcis: ah! c'est ici seulement qu'il falloit faire retentir la parole sainte dans toute la force de son tonnerre, et placer avec moi dans cette chaire, d'un côté la mort qui nous menance, et de l'autre, mon grand Dieu qui vient vous juger. Je tiens aujourd'hui votre sentence à la main: tremblez donc devant moi, hommes superbes et dédaigneux qui m'écoutez! La nécessité du salut, la certitude de la mort, l'incertitude de cette heure si effroyable pour vous, l'impénitence finale, le jugement dernier, le petit nombre des élus, l'enfer, et par-dessus tout l'éternité : l'éternité! voilà les sujets dont je viens vous entretenir, et que j'aurois dû sans doute réserver pour vous seuls.

Et qu'ai-je besoin de vos suffrages, qui me damneroient peutêtre sans vous sauver? Dieu va vous émouvoir, tandis que son indigne ministre vous parlera; car j'ai acquis une expérience de ses miséricordes. Alors, pénétrés d'horreur pour vos iniquités passées, vous viendrez vous jeter entre mes bras en versant des larmes de componction et de repentir, et, à force de remords, vous me trouverez assez éloquent.

Extrait des Euvres du Cardinal MAURY.

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GIL BLAS S'ENGAGE AU SERVICE DU DOCTEUR

SANGRADO,

ET DEVIENT UN CÉLÈBRE MÉDECIN..

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Je résolus d'aller trouver le seigneur Arias de Londona, et de choisir dans son registre une nouvelle condition; mais, comme j'étais près d'entrer dans le cul-de-sac ou il demeurait, je rencontrai le docteur Sangrado; je pris la liberté de le saluer. Il me remit dans le moment, quoique j'eusse changé d'habit; et, témoignant quelque joie de me voir : Eh! te voilà, mon enfant," me dit-il, "je pensais à toi tout à l'heure. J'ai besoin d'un bon garçon pour me servir, et je songeais que tu serais bien mon fait, si tu savais lire et écrire." "Monsieur," lui repondis-je, sur ce pied-là, je suis donc votre affaire." "d"Cela étant," reprit-il, "tu es l'homme qu'il me faut. Viens chez moi; tu n'y auras que de l'agrément, je te traiterai avec distinction. Je ne te donnerai point de gages, mais rien ne te manquera. J'aurai soin de t'entretenir proprement, et je t'enseignerai le grand art de guérir toutes les maladies. En un mot, tu seras plutôt mon élève que mon valet."

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J'acceptai la proposition du docteur, dans l'espérance que je pourrais, sous un si savant maître, me rendre illustre dans la médecine. Il me mena chez lui sur le champ, pour m'installer dans l'emploi qu'il me destinait; et cet emploi consistait à écrire le nom et la demeure des malades qui l'envoyaient chercher pendant qu'il était en ville. Il y avait pour cet effet, au logis, un registre, dans lequel une vieille servante, qu'il avait pour tout domestique, marquait les addresses; mais outre qu'elle ne savait point l'orthographe, elle écrivait si mal, qu'on ne pouvait, le plus souvent, déchiffrer son écriture. Il me chargea du soin de tenir ce livre, qu'on pouvait justemeut appeler un registre mortuaire, puisque les gens dont je prenais les noms mouraient presque

tous. J'inscrivais, pour ainsi dire, les personnes qui voulaient partir pour l'autre monde, comme un commis, dans un bureau de voitures publiques, écrit le nom de ceux qui retiennent des places. J'avais souvent la plume à la main, parce qu'il n'y avait point en ce temps-là de médecin à Valladolid plus accrédité que le docteur Sangrado. Il s'était mis en réputation dans le public par un verbiage spécieux, soutenu d'un air imposant, et par quelques cures heureuses, qui lui avaient fait plus d'honneur qu'il n'en méritait.

Il ne manquait pas de pratique, ni, par conséquent, de bien. Il n'en faisait pas toutefois meilleure chère; on vivait chez lui très frugalement. Nous ne mangions d'ordinaire que des pois, des fèves, des pommes cuites, ou du fromage. Il disait que ces alimens étaient les plus convenables à l'estomac, comme étant les plus propres à la trituration; c'est-a-dire, à être broyés plus aisément. Néanmoins, bien qu'il les crût de facile digestion, il ne voulait point qu'on s'en rassasiât; en quoi, certes, il se montrait fort raisonnable. Mais s'il nous défendait, à la servante et à moi, de manger beaucoup, en récompense il nous permettait de boire de l'eau à discrétion.h Bien loin de nous prescrire des bornes là-dessus, il nous disait quelquefois. "Buvez, mes enfans; la santé consiste dans la souplesse et l'humectation des parties. Buvez de l'eau abondamment; c'est un dissolvant universel. Le cours du sang est-il ralenti, elle le précipite; est-il trop rapide, elle en arrête l'impétuosité." Notre docteur était de si bonne foi sur cela, qu'il ne buvait jamais lui-même que de l'eau, bien qu'il fût dans un âge avancé. Il définissait la vieillesse une phthisie naturelle qui nous dessèche et nous consume; et, sur cette définition, il déplorait l'ignorance de ceux qui nomment le vin le lait des vieillards. Il soutenait que le vin les use et les détruit, et disait fort éloquemment que cette liqueur funeste est pour eux, comme pour tout le monde, un ami qui trahit, et un plaisir qui trompe.

Malgré ces beaux raisonnemens, après avoir été huit jours dans cette maison, je commençai à sentir de grands maux

d'estomac, que j'eus la témérité d'attribuer au dissolvant universel, et à la mauvaise nourriture que je prenais. Je m'en plaignis à mon maître, dans la pensée qu'il pourrait se relâcher, et me donner un peu de vin à mes repas; mais il était trop ennemi de cette liqueur pour me l'accorder. "Si tu sens," me dit-il, “quelque dégoût pour l'eau pure, il y a des secours innocens pour soutenir l'estomac contre la fadeur des boissons aqueuses. La sauge, par exemple, et la véronique, leur donnent un goût délectable; et, si tu veux les rendre encore plus délicieuses, tu n'as qu'à y mêler de la fleur d'œillet, de romarin, ou de coquelicot."

Il avait beau vanter l'eau, et m'enseigner le secret d'en composer des breuvages exquis, j'en buvais avec tant de modération, que s'en étant aperçu, il me dit: "Eh! vraiment, Gil Blas, je ne m'étonne point si tu ne jouis pas d'une parfaite santé; tu ne bois pas assez, mon ami. L'eau prise en petite quantité ne sert qu'à développer les parties de la bile, et qu'à leur donner plus d'activité; au lieu qu'il les faut noyer par un délayant copieux. Ne crains pas, mon enfant, que l'abondance de l'eau affaiblisse ou refroidisse ton estomac: loin de toi cette terreur panique que tu te fais peut-être de la boisson fréquente. Je te garantis de l'évènement; et, si tu ne me trouves pas bon pour t'en répondre,1 Celse" même t'en sera garant." Cet oracle Latin fait un éloge admirable de l'eau: ensuite il dit en termes exprès que ceux qui, pour boire du vin, s'excusent sur la faiblesse de leur estomac, font une injustice manifeste à ce viscère, et cherchent à couvrir leur sensualité."

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Comme j'aurais eu mauvaise grâce de me montrer indocile en entrant dans la carrière de la médecine, je parus persuadé qu'il avait raison; j'avouerai même que je le crus effectivement. Je continuai donc à boire de l'eau sur la garantie de Celse, ou plutôt je commençai à noyer la bile en buvant copieusement de cette liqueur; et quoique de jour en jour je m'en sentisse plus incommodé, le préjugé l'emportait sur° l'expérience. J'avais, comme l'on voit, une heureuse dispo

sition à devenir médecin. Je ne pus pourtant résister toujours à la violence de mes maux qui s'accrurent à un point, que je pris enfin la résolution de sortir de chez le docteur Sangrado. Mais il me chargea d'un nouvel emploi qui me fit changer de sentiment.

“Écoute, mon enfant," me dit-il un jour, "je ne suis point de ces maîtres durs et ingrats, qui laissent vieillir leurs domestiques dans la servitude avant de les récompenser. Je suis content de toi, je t'aime; et, sans attendre que tu m'aies servi plus long-temps, je vais faire ton bonheur. Je veux tout à l'heure te découvrir le fin de l'art salutaire que je professe depuis tant d'années. Les autres médecins en font consister la connaissance dans mille sciences pénibles; et moi, je prétends t'abréger un chemin si long, et t'épargner la peine d'étudier la physique, la pharmacie, la botanique, et l'anatomie. Sache, mon ami, qu'il ne faut que saigner et faire boire de l'eau chaude: voilà le secret de guérir toutes les maladies du monde. Oui, ce merveilleux secret que je te révèle, et que la nature, impénétrable à mes confrères, n'a pu dérober à mes observations, est renfermé dans ces deux points; dans la saignée et dans la boisson fréquente. Je n'ai plus rien à t'apprendre, tu sais la médecine à fond; "et, profitant du fruit de ma longue expérience, tu deviens tout d'un coup aussi habile que moi. Tu peux," continua-t-il, "me soulager présentement: tu tiendras le matin notre registre, et l'aprèsmidi tu sortiras pour aller voir une partie de mes malades. Tandis que j'aurai soin de la noblesse et du clergé, tu iras pour moi dans les maisons du tiers-états ou l'on m'appellera; et lorsque tu auras travaillé quelque tems, je te ferai agréger à notre corps. Tu es savant, Gil Blas, avant que d'être médecin; au lieu que les autres sont long-temps médecins, et la plupart toute leur vie, avant que d'être savans."

Je remerciai le docteur de m'avoir si promptement rendu capable de lui servir de substitut; et, pour reconnaître les bontés qu'il avait pour moi, je l'assurai que je suivrais toute ma vie ses opinions, quand elles seraient contraires à celles

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