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parler, en lisant souvent ceux qui ont bien écrit: on se fait une habitude d'exprimer simplement et noblement sa pensée sans effort. Ce n'est point une étude; il n'en coûte aucune peine de lire ce qui est bon, et de ne lire que cela. On n'a de maître que son plaisir et son goût.

Pardonnez, Mademoiselle, à ces longues réflexions; ne les attribuez qu'à mon obéissance à vos ordres. J'ai l'honneur, etc. VOLTAIRE.

RACINE ET VOLTAIRE.

Tous deux ont possédé ce mérite si rare de l'élégance continue et de l'harmonie, sans lequel, dans une langue formée, il n'y a point d'écrivain; mais l'élégance de Racine est plus égale, celle de Voltaire est plus brillante. L'une plaît davantage au goût, l'autre à l'imagination.

Dans l'un, le travail, sans se faire sentir, a effacé jusqu'aux imperfections les plus légères; dans l'autre, la facilité se fait apercevoir à la fois et dans les beautés, et dans les fautes. Le premier a corrigé son style, sans en refroider l'intérêt; l'autre y a laissé des taches, sans en obscurcir l'éclat. Ici, les effets tiennent plus souvent à la phrase poétique; là, ils appartiennent plus à un trait isolé, à un vers saillant.

L'art de Racine consiste plus dans le rapprochement nouveau des expressions; celui de Voltaire, dans de nouveaux rapports d'idées. L'un ne se permet rien de ce qui peut nuire à la perfection, l'autre ne se refuse rien de ce qui peut ajouter à l'ornement. Racine, à l'exemple de Despréaux, a étudié tous les effets de l'harmonie, toutes les formes du vers, toutes les manières de le varier. Voltaire, sensible surtout à cet accord si nécessaire entre le rhythme et la pensée, semble regarder le reste comme un mérite subordonné, qu'il rencontre plutôt qu'il ne le cherche. L'un s'attache plus à finir le tissu de son style, l'autre à en relever les couleurs.*

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Dans l'un, le dialogue est plus lié; dans l'autre, il est plus rapide.

Dans Racine, il y a plus de justesse; dans Voltaire, plus de mouvement. Le premier l'emporte pour la profondeur et la vérité; le second, pour la véhémence et l'énergie. Ici, les beautés sont plus sévères, plus irréprochables; là, elles sont plus variées, plus séduisantes. On admire dans Racine cette perfection toujours plus étonnante à mesure qu'e elle est plus examinée; on adore dans Voltaire cette magie qui donne de l'attrait même à ses défauts. L'un vous paroît toujours plus grand par le réflexion, l'autre ne laisse pas maître de réfléchir. Il semble que l'un ait mis son amour-propre à défier la critique, et l'autre à la désarmer.

Enfin, si l'on ose hasarder un résultat sur des objets livrés à jamais à la diversité des opinions, Racine, lu par les connoisseurs, sera regardé comme le poëte le plus parfait qui ait écrit: Voltaire, aux yeux des hommes rassemblés au théâtre, sera le génie le plus tragique qui ait régné sur la scène.

LA HARPE.

SUR LE PETIT NOMBRE DES ÉLUS.

Je m'arrête à vous,a mes frères, qui êtes ici assemblés. Je ne parle plus du reste de hommes; je vous regarde comme si vous étiez seuls sur la terre, et voici la pensée qui m'occupe et m'épouvante: Je suppose donc que c'est ici votre dernière heure, et la fin de l'univers, que les cieux vont s'ouvrir sur vos têtes, que Jésus-Christ va paroître dans sa gloire au milieu de ce temple, et que vous n'y êtes assemblés que pour l'attendre comme des criminels tremblants, à qui l'on va prononcer une sentence de grâce ou un arrêt de mort éternelle; car vous avez beau vous flatter, vous mourrez tels que vous êtes aujourd'hui. Tous ces désirs de changement qui vous amusent, vous amuseront jusqu'au lit de la mort: c'est l'expérience de tous les siècles. Tout ce que vous trouverez

alors en vous de nouveau, sera peut-être un compte un peu plus grand que celui que vous auriez aujourd'hui à rendre ; et sur ce que vous seriez, si l'on venoit vous juger en ce moment, vous pouvez presque décider ce qui vous arrivera au sortir de la vie.

Or, je vous demande, et je vous le demande frappé de terreur, ne séparant pas en ce point mon sort du vôtre, et me mettant dans la même disposition où je souhaite que vous entriez; je vous demande donc : Si Jésus-Christ paroissoit dans ce temple, au milieu de cette assemblée, la plus auguste de l'univers, pour vous juger, pour faire le terrible discernement des boucs et des brebis, croyez-vous que le plus grand nombre de tout ce que nous sommes ici fût placé à la droite ? croyez-vous, du moins, que les choses fussent égales ? croyez-vous qu'il s'y trouvât seulement dix justes, que le Seigneur ne put trouver autrefois en cinq villes tout entières ? Je vous le demande, vous l'ignorez, et je l'ignore moi-même : vous seul, ô mon Dieu, connoissez ceux qui vous appartiennent. Mais, si nous ne connoissons pas ceux qui lui appartiennent, nous connoissons, du moins, que les pécheurs ne lui appartiennent pas. Or, qui sont les fidèles ici assemblés? Les titres et les dignités ne doivent compter pour rien vous en serez dépouillés devant Jésus-Christ. Qui sont-ils ? beaucoup de pécheurs qui ne veulent pas se convertir: encore plus qui le voudroient, mais qui diffèrent leur conversion; plusieurs autres qui ne se convertissent jamais que pour retomber; enfin, un grand nombre qui croyent n'avoir pas besoin de conversion: voilà le parti des réprouvés. Retranchez ces quatre sortes de pécheurs de cette assemblée sainte, car ils en seront retranchés au grand jour; paroissez maintenant, justes; où étes-vous? Restes d'Israël, passez à la droite; froment de Jésus-Christ, démélez-vous de cette paille destinée au feu. O Dieu! où sont vos élus, et que reste-t-il pour votre partage ?f

MASSILLON.

GITON ET PHÉDON, OU LE RICHE ET LE PAUVRE.

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GITON a le teint frais, le visage plein, et les joues pendantes, l'œil fixe et assuré, les épaules larges, l'estomac haut, la démarche ferme et délibérée : il parle avec confiance, il fait répéter celui qui l'entretient,a et il ne goûte que médiocrement ↳ tout ce qu'il lui dit; il déploie un ample mouchoir, et se mouche avec grand bruit; il crache fort loin, et il éternue fort haut; il dort le jour, il dort la nuit, et profondément; il ronfle en compagnie: il occupe à table et à la promenade plus de place qu'un autre; il tient le milieu en se promenant avec ses égaux; il s'arrête, et l'on s'arrête; il continue de marcher, et l'on marche; tous se règlent sur lui; il interrompt, il redresse ceux qui ont la parole; on ne l'interrompt pas, on l'écoute aussi long-temps qu'il veut parler, on est de son avis; on croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, vous le voyez s'enfoncer dans un fauteuil, croiser les jambes l'une sur l'autre, froncer le sourcil, abaisser son chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite, et découvrir son front par fierté, ou par audace. Il est enjoué, grand rieur, impatient, présomptueux, colère, libertin, politique, mystérieux sur les affaires du temps; il se croit des talents et de l'esprit ; il est riche.

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Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre: il dort peu, et d'un sommeil fort léger: il est abstrait, rêveur, et il a, avec de l'esprit, l'air d'un stupide : il oublie de dire ce qu'il sait ou de parler d'événements qui lui sont connus; et, s'il le fait quelquefois, il s'en tire mal;i il croit peser à ceux à qui il parle: il conte brièvement, mais froidement; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire;1 il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis, il court, il vole pour leur rendre de petits services: il est complaisant, flatteur, empressé; il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupu

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leux, timide; il marche doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre; il marche les yeux baissés, et il n'ose les lever sur ceux qui passent. Il n'est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir; il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et se retire si on le regarde. Il n'occupe point de lieu, il ne tient point de place; il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour n'être point vu; il se replie, et se renferme dans son manteau; il n'y a point de galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler P sans être aperçu. Si on le prie de s'asseoir, il se met à peine sur le bord d'un siége; il parle bas dans la conversation, et il articule mal: libre néanmoins sur les affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère, il n'ouvre la bouche que pour répondre: il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu'il soit seul pour éternuer, ou, si cela lui arrive, c'est à l'insu de la compagnie; il n'en coûte à personne ni salut,1 ni compliment; il est pauvre. LA BRUYÈRE.

LE MISSIONNAIRE BRIDAINE,

DANS UN DES PREMIERS TEMPLES ET AU MILIEU DE LA PLUS HAUTE COMPAGNIE DE LA CAPITALE.

A LA vue d'un auditoire si nouveau pour moi, il semble, mes frères, que je ne devrois ouvrir la bouche que pour vous demander grâce en faveur d'un pauvre missionnaire dépourvu de tous les talents que vous exigez quand on vient vous parler de votre salut. J'éprouve cependant aujourd'hui un sentiment différent; et, si je suis humilié, gardez-vous de croire que je m'abaisse aux a misérables inquiétudes de la vanité. A Dieu ne plaiseb qu'un ministre du Ciel pense jamais avoir

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