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les discours, inspirés ou animés par la verve la plus ardente, la plus originale, la plus véhémente et la plus sublime, sont, en ce genre, des ouvrages absolument à part, des ouvrages où, sans guides et sans modèles, il atteint la limite et la perfection des ouvrages classiques, consacrés, en quelque sorte, par le suffrage unanime du genre humain, et qu'il faut étudier sans cesse, comme dans les arts on va former son goût et son talent à Rome, en méditant les chefs-d'œuvre de Raphaël et de Michel-Ange: voilà le Démosthène français! voilà Bossuet! On peut appliquer à ses écrits oratoires, l'éloge mémorable que faisoit Quintilien du Jupiter de Phidias, lorsqu'il disoit que cette statue avoit ajouté à la religion des peuples.

Le Cardinal MAURY. Essai sur l'Éloquence.

BOSSUET HISTORIEN.

C'EST dans le Discours sur l'Histoire universelle que l'on peut admirer l'influence du génie du Christianisme sur le génie de l'Histoire. Politique comme Thucydide, moral comme Xénophon, éloquent comme Tite-live, aussi profond et aussi grande peintre que Tacite, l'Évêque de Meaux a de plus une parole grave et un tour sublime dont on ne trouve ailleurs aucun exemple, hors dans l'admirable début du livre des Machabées.

Bossuet est plus qu'un historien; c'est un Père de l'Église, c'est un prêtre inspiré, qui souvent a le rayon de feu sur le front comme le législateur des Hébreux. Quelle revue il fait de la terre! il est en mille lieux à la fois: patriarche, sous le palmier de Tophel, ministre à la Cour de Babylone, prêtre à Memphis, législateur à Sparte, citoyen à Athènes et à Rome, il change de temps et de place à son gré; il passe avec la rapidité et la majesté des siècles. La verge de la loi à la main, avec une autorité incroyable, il chasse pêle-mêle devant

lui et Juifs et Gentils au tombeau; il vient enfin lui-même à la suite du convoi de tant de générations; et, marchant appuyé sur Isaîe et sur Jérémie, il élève ses lamentations prophétiques à travers la poudre et les débris du genre

humain.

CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

LE VOYAGEUR DANS LE DÉSERT.

HALETANT de fatigue et de soif, la gorge desséchée, respirant avec peine un air ardent qui le dévore, il espère qu'un instant de repos lui rendra quelques forces; il s'arrête, il voit défiler ceux qui étaient ses compagnons, et dont il sollicite en vain les secours; le malheur a fermé tous les cœurs; sans detourner un regard, l'œil fixe, chacun suit en silence la trace de celui qui le précède, tout passe, tout suit; et les membres engourdis, déjà trop chargés de leur pénible existence, s'affaissent et ne peuvent être ranimés ni par le danger, ni par la terreur : la caravane a passé, elle n'est déjà plus pour lui qu'une ligne ondoyante dans l'espace, bientôt elle n'est plus qu'un point, et ce point s'évanouit; c'est la dernière lueur de la lumière qui s'éteint: ses regards égarés cherchent et ne rencontrent plus rien; il les ramène sur lui-même, et bientôt ferme les yeux pour échapper à l'aspect du vide affreux qui l'environne; il n'entend plus que ses soupirs, ce qui lui reste d'existence appartient à la mort; seul, tout seul au monde, il va mourir, sans que l'espérance vienne un instant s'asseoir auprès de son lit de mort; et con cadavre, dévoré par l'aridité du sol, ne laissera bientôt que des os blanchis qui serviront de guide à la marche incertaine du voyageur qui aura osé braver le même sort.

DENON. Voyage en Égypte.

LA VÍCTOIRE LA PLUS GLORIEUSE EST CELLE QUE L'ON REMPORTE SUR SOI-MÊME.

QUELLE honte, lorsque ceux qui sont établis pour régler les passions de la multitude deviennent eux-mêmes les vils jouets de leurs passions propres, et que la force, l'autorité, la pudeur des lois, se trouvent confiées à ceux qui ne connoissent de lois que le mépris public de toute bienséance et leur propre foiblesse! Ils devoient régler les mœurs publiques, et ils les corrompent; ils étoient donnés de Dieu pour être les protecteurs de la vertu, et ils deviennent les appuis et les modèles du vice.

Toute la gloire humaine ne sauroit jamais effacer l'opprobre que leur laissent le désordre des mœurs et l'emportement des passions; les victoires les plus éclatantes ne couvrent pas la honte de leurs vices; on loue les actions, et l'on méprise la personne : c'est de tout temps qu'on a vu la réputation la plus brillante échouer contre les mœurs du héros, et ses lauriers flétris par ses foiblesses. Le monde, qui semble mépriser la vertu, n'estime et ne respecte pourtant qu'elle; il élève des monuments superbes aux grandes actions des conquérants; il fait retentir la terre du bruit de leur louanges; une poésie pompeuse les chante et les immortalise: chaque Achille a son Homère; l'éloquence s'épuise pour leur donner du lustre. L'appareil des éloges est donné à l'usage et à la vanité; l'admiration secrète et les louanges réelles et sincères, on ne les donne qu'à la vertu et à la vérité.

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Et en effet, le bonheur ou la témerité ont pu faire des héros; mais la vertu toute seule peut former de grands hommes. Il en coûte bien moins de remporter des victoires, que de se vaincre soi-même. Il est bien plus aisé de conquérir des provinces et de dompter des peuples, que de dompter une passion. La morale même des païens en est convenue: du moins les combats où président la fermeté, la grandeur du courage, la science militaire, sont de ces actions rares que l'on

peut compter aisément dans le cours d'une longue vie; et quand il ne faut être grand que certains moments, la nature ramasse toutes ses forces, et l'orgueil, pour un peu de temps, peut suppléer à la vertu. Mais les combats de la Foi sont des combats de tous les jours: on a affaire à des ennemis qui renaissent de leur propre défaite ;* si vous vous lassez un instant, vous périssez. La victoire même a ses dangers; l'orgueil, loin de vous aider, devient le plus dangereux ennemi que vous ayez à combattre; tout ce qui vous environne fournit des armes contre vous; votre cœur lui même vous dresse des embûches: il faut sans cesse recommencer le combat: en un mot, on peut être quelquefois plus fort ou plus heureux que ses ennemis ; mais qu'il est grand d'être toujours plus fort que soi-même ! MASSILLON. Petit Carême.

L'OISEAU-MOUCHE.

De tous les êtres animés, voici le plus élégant pour la forme, et le plus brillant pour les couleurs. Les pierres et les métaux polis par notre art ne sont pas comparables à ce bijou de la nature: elle l'a placé dans l'ordre des oiseaux au dernier degré de l'échelle de grandeur;a son chef-d'œuvre est le petit oiseaumouche; elle l'a comblé de tous les dons qu'elle n'a fait que partager aux autres oiseaux: légèreté, rapidité, prestesse, grâce et riche parure, tout appartient à ce petit favori. L'émeraude, le rubis, la topaze, brillent sur ses habits; il ne les souille jamais de la poussière de la terre; et, dans sa vie tout aérienne, on le voit à peine toucher le gazon par instants; il est toujours en l'air, volant de fleurs en fleurs; il a leur fraîcheur, comme il a leur éclat, il vit de leur nectar, et n'habite que les climats où sans cesse elles se renouvellent.

C'est dans les contrées les plus chaudes du Nouveau-Monde que se trouvent toutes les espèces d'oiseaux-mouches; elles sont assez nombreuses, et paroissent confinées entre les deux

tropiques; car ceux qui s'avancent en été dans les zônes tempérées n'y font qu'un court séjour; ils semblent suivre le soleil, s'avancer, se retirer avec lui, et voler sur l'aile des zéphyrs à la suite d'un printemps éternel.

Les Indiens, frappés de l'éclat et du feu que rendent les couleurs de ces brillants oiseaux, leur avoient donné les noms de rayons ou cheveux du soleil. Pour le volume, les petites espèces de ces oiseaux sont au-dessous de la grande mouche asyle (le taon) pour la grandeur, et du bourdon pour la grosseur. Leur bec est une aiguille fine, et leur langue un fil délié; leurs petits yeux noirs ne paroissent que deux points brillants; les plumes de leurs ailes sont si délicates, qu'elles en paroissent transparentes. A peine aperçoit-on leurs pieds, tant ils sont courts et menus : ils en font peu d'usage, et ils ne se posent que pour passer la nuit, et se laissent, pendant le jour, emporter dans les airs; leur vol est continu, bourdonnant et rapide: on compare le bruit de leurs ailes à celui d'un rouet. Leur battement est si vif, que l'oiseau, s'arrêtant dans les airs, paroît non seulement immobile, mais tout-à-fait sans action. On le voit s'arrêter ainsi quelques instants devant une fleur, et partir comme un trait pour aller à une autre ; il les visite toutes, plongeant sa petite langue dans leur sein, les flattant de ses ailes, sans jamais s'y fixer, mais aussi sans les quitter jamais. Il ne presse ses inconstances que pour mieux suivre ses amoursd et multiplier ses jouissances innocentes, car cet amant léger des fleurs vit à leurs dépens sans les flétrir; il ne fait que pomper leur miel, et c'est à cet usage que sa langue paroît uniquement destinée: elle est composée de deux fibres creuses, formant un petit canal, divisé au bout en deux filets; elle a la forme d'une trompe, dont elle fait les fonctions: l'oiseau la darde hors de son bec, et la plonge jusqu'au fond du calice des fleurs pour en tirer les sucs.

Rien n'égale la vivacité de ses petits oiseaux, si ce n'est leur courage, ou plutôt leur audace, On les voit poursuivre avec furie des oiseaux vingt fois plus gros qu'eux, s'attacher à leur corps, et se laissant emporter par leur vol, les becqueter à

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