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d'espérance ne nous lie, qui vont demain retomber dans le néant, et qui ne sont déjà plus. Si tout meurt avec nous, les doux noms d'enfant, de père, d'ami, d'époux, sont donc des noms de théâtre, et de vains titres qui nous abusent, puisque l'amitié, celle même qui vient de la vertu, n'est plus un lien durable; que nos pères qui nous ont précédés, ne sont plus; que nos enfants ne seront point nos successeurs; car le néant, tel que nous devons être un jour, n'a point de suite; que la société sacrée des noces n'est plus qu'une union brutale, d'où, par un assemblage bizarre et fortuit, sortent des êtres qui nous ressemblent, mais qui n'ont de commun avec nous que le néant.

Que dirai-je encore? Si tout meurt avec nous, les annales domestiques, et la suite de nos ancêtres n'est donc plus qu'une suite de chimères, puisque nous n'avons point d'aïeux, et que nous n'aurons point de neveux. Les soins du nom et de la postérité sont donc frivoles; l'honneur qu'on rend à la mémoire des hommes illustres, une erreur puérile, puisqu'il est ridicule d'honorer ce qui n'est plus; la religion des tombeaux, une illusion vulgaire; les cendres de nos pères et de nos amis, une vile poussière qu'il faut jeter au vent, et qui n'appartient à personne; les dernières intentions des mourants, si sacrées parmi les peuples les plus barbares, le dernier son d'une machine qui se dissout; et, pour tout dire en un mot, si tout meurt avec nous, les lois sont donc une servitude insensée; les Rois et les Souverains, des fantômes que la foiblesse des peuples a élevés; la justice, une usurpation sur la liberté des hommes; la loi des mariages, un vain scrupule; la pudeur, un préjugé; l'honneur et la probité, des chimères; les incestes, les parricides, les perfidies noires, des jeux de la nature, et des noms que la politique des législateurs a inventés.

Voilà où se réduit la philosophie sublime des impies; voilà cette force, cette raison, cette sagesse, qu'ils nous vantent éternellement. Convenez de leurs maximes, et l'univers entier retombe dans un affreux chaos; et tout est confondu sur la

terre; et toutes les idées du vice et de la vertu sont renversées; et les lois les plus inviolables de la société s'évanouissent; et la discipline des mœurs périt; et le gouvernement des États et des Empires n'a plus de règle; et toute l'harmonie du corps politique s'écroule; et le genre humain n'est plus qu'un assemblage d'insensés, de barbares, d'impudiques, de furieux, de fourbes, de dénaturés, qui n'ont plus d'autre loi que la force, plus d'autre frein que leurs passions et la crainte de l'autorité, plus d'autre lien que l'irréligion et l'indépendance, plus d'autre Dieu qu'eux-mêmes. Voilà le monde des impies; et, si ce plan affreux de république vous plaît, formez, si vous le pouvez, une société de ces hommes monstrueux. Tout ce qu'il nous reste à vous dire, c'est que vous êtes dignes d'y occuper une place.

MASSILLON. Vérité d'un avenir.

MASSILLON.

IL excelle dans la partie de l'orateur, qui seule peut tenir lieu a de toutes les autres, dans cette éloquence qui va droit à l'âme, mais qui l'agite sans la renverser, qui la consterne sans la flétrir, et qui la pénètre sans la déchirer. Il va chercher au fond du cœur ces replis cachés où les passions s'enveloppent, ces sophismes secrets dont elles savent si bien s'aider pour nous aveugler et nous séduire. Pour combattre et détruire ces sophismes, il lui suffit presque de les développer avec une onction si affectueuse et si tendre, qu'il subjugue moins qu'il n'entraîne; et qu'en nous offrant même la peinture de nos vices, il sait encore nous attacher et nous plaire.

Sa diction, toujours facile, élégante et pure, est partout de cette simplicité noble, sans laquelle il n'y a ni bon goût, ni véritable éloquence; simplicité qui, réunie dans Massillon à l'harmonie la plus séduisante et la plus douce, en emprunte encore des grâces nouvelles; et, ce qui met le comble au↳

charme que fait éprouver ce style enchanteur, on sent que tant de beautés ont coulé de source, et n'ont rien coûté à celui qui les a produites. Il lui échappe même quelquefois, soit dans les expressions, soit dans les tours, soit dans la mélodie si touchante de son style, des négligences qu'on peut appeler heureuses, parce qu'elles achèvent de faire disparoître non seulement l'empreinte, mais jusqu'au soupçon du travail. C'est par cet abandon de lui-même que Massillon se faisoit autant d'amis que d'auditeurs; il savoit que plus un orateur paroît occupé d'enlever l'admiration, moins ceux qui l'écoutent sont disposés à l'accorder, et que cette ambition est l'écueil de tant de prédicateurs qui, chargés, si on se peut exprimer ainsi, des intérêts de Dieu même, veulent y mêler les intérèts si minces de leur vanité.

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D'ALEMBERT. Éloge de Massillon.

LES COMBATS DE MER,

PLUS TERRIBLES QUE CEUX DE TERRE.

Si jamais l'homme eût occasion de développer cet instinct de courage que lui donna la nature, c'est dans les combats qui se livrent sur mer. Les batailles de terre présentent, à la vérité, un spectacle terrible; mais du moins le sol qui porte les combattants ne menace point de s'entr' ouvrir sous leurs pas; l'air qui les environne n'est pas leur ennemi, et les laisse diriger leurs mouvements à leur gré; la terre entière leur est ouverte pour échapper au danger. Dans les combats de mer, tout conspire à augmenter les périls, à diminuer les ressources. L'eau n'offre que des abîmes, dont la surface, balancée par d'éternelles secousses, est toujours prête à s'ouvrir. L'air agité par les vents, produit des orages, trompe les efforts de l'homme, et le précipite au-devant de la mort qu'il veut éviter. Le feu déploie sur les eaux son activtié terrible, entr'ouvre les vaisseaux, et réunit la double horreur d'un naufrage

et d'un embrasement. La terre, ou reculée à une grande distance, refuse son asile; ou, si elle est près, sa proximité même est dangereuse, et le refuge est souvent un écueil. L'homme, isolé et séparé du monde entier, est resserré dans une prison étroite d'où il ne peut sortir, tandis que la mort y entre de toutes parts. Mais, parmi ces horreurs, il trouve quelque chose de plus terrible pour lui: c'est l'homme son semblable, qui, armé de fer, et mêlant l'art à la fureur, l'approche, le joint, le combat, lutte contre lui sur ce vaste tombeau, et unit les efforts de sa rage à celle de l'eau, des vents et du feu. THOMAS. Éloge de Duguay-Trouin.

LA CATARACTE DE NIAGARA.

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Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçoit par d'affreux mugissements. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Erié, et se jette dans le lac Ontario; sa hauteur perpendiculaire est de cent quarante-quatre pieds depuis le lac Erié jusqu'au saut, le fleuve arrive toujours en déclinant par une pente rapide; et, au moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrents se pressent à la bouche béante d'un gouffre. La cataracte se divise en deux branches, et se courbe en fer-à-cheval. Entre les deux chutes s'avance une île, creusée en dessous, qui pend, avec tous ses abres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve, qui se précipite au midi, s'arrondit en un vaste cylin dre, puis se déroule en nappe de neige, et brille au soleil de toutes les couleurs: celle qui tombe au levant, descend dans une ombre effrayante; on diroit une colonne d'eau du déluge. Mille arcs-en-ciel se courbent et se croisent sur l'abîme. L'onde, frappant le roc ébranlé, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élèvent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vaste embrasement. Des pins, des noyers sauvages, des rochers taillés en forme de fantômes, décorent la scène. Des

aigles, entraînés par le courant d'air, descendent en tournoyant au fond du gouffre, et des carcajoux se suspendent par leurs longues queues au bout d'une branche abaissée, pour saisir dans l'abîme les cadavres brisés des élans et des ours. CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

RAPIDITÉ DE LA VIE.

La vie humaine est semblable à un chemin, dont l'issue est un précipice affreux : on nous en avertit dès le premier pas, mais la loi est prononcée, il faut avancer toujours. Je voudrois retourner sur mes pas; marche, marche. Un poids invincible, une force invincible nous entraîne; il faut sans cesse avancer vers le précipice. Mille traverses, mille peines nous fatiguent et nous inquiètent dans la route; encore si je pouvois éviter a ce précipice affreux. Non, non, il faut marcher, il faut courir, telle est la rapidité des années. On se console pourtant, parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divertissent, des eaux courantes, des fleurs qui passent. On voudroit arrêter; marche, marche. Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu'on avoit passé; fracas effroyable, inévitable ruine! On se console parce qu'on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu'on voit se faner entre ses mains du matin au soir, quelques fruits qu'on perd en les goûtant Enchantement! toujours entraîné, tu approches du gouffre. Déjà tout commence à s'effacer; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires, tout se ternit, tout s'efface: l'ombre de la mort se présente; on commence à sentir l'approche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord, encore un pas. Déjà l'horreur trouble les sens, la tête tourne, les yeux s'égarent, il faut marcher. On voudroit retourner en arrière, plus de moyen; tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé. BOSSUET.

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