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frappante de l'interruption subite de la vie. Le sillon des roues est visiblement marqué sur les pavés dans les rues, et les pierres qui bordent les puits portent la trace des cordes qui les ont creusées peu à peu. On voit encore sur les murs d'un corps-de-garde les caractères mal formés, les figures grossièrement esquissées que les soldats traçaient pour passer le temps, tandis que ce temps avançait pour les engloutir.

Quand on se place au milieu du carrefour des rues, d'où l'on voit de tous les côtés la ville qui subsiste encore presque en entier, il semble qu'on attende quelqu'un, que le maître soit prêt à venir; et l'apparence même de vie qu'offre ce séjour fait sentir plus tristement son éternel silence. C'est avec des morceaux de lave pétrifiée que sont bâties la plupart de ses maisons, qui ont été ensevelies par d'autres laves. Ainsi, ruines sur ruines, et tombeaux sur tombeaux, cette histoire du monde où les époques se comptent de débris en débris, cette vie humaine dont la trace se suit à la lueur de volcans qui l'ont consumée, remplit le cœur d'une profonde mélancolie. M.me DE STAËL. Corinne.

DIGNITÉ DE L'HOMME; EXCELLENCE DE SA NATURE.

L'HOMME a la force et la majestié; les grâces et la beauté sont l'apanage de l'autre sexe.

Tout annonce dans tous deux les maîtres de la terre; tout marque dans l'homme, même à l'extérieur, sa supériorité sur tous les êtres vivants; il se soutient droit et élevé; son attitude est celle du commandement; sa tête regarde le ciel, et présente une face auguste sur laquelle est imprimé le caractère de sa dignité; l'image de l'âme y est peinte par la physionomie; l'excellence de sa nature perce à travers les organes matériels, et anime d'un feu divin les traits de son visage; son port majestueux, sa démarche ferme et hardie,

annoncent sa noblesse et son rang: il ne touche à la terre que par ses extrémités les plus éloignées, il ne la voit que de loin, et semble la dédaigner; les bras ne lui sont pas donnés pour servir de piliers, d'appui à la masse du corps; sa main ne doit pas fouler la terre, et perdre, par des frottements réitérés, la finesse du toucher dont elle est le principal organe ; le bras et la main sont faits pour servir à des usages plus nobles, pour exécuter les ordres de la volonté, pour saisir les choses éloignées, pour écarter les obstacles, pour prévenir les rencontres et le choc de ce qui pourroit nuire, pour embrasser et retenir ce qui peut plaire, pour le mettre à portée des autres sens.

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Lorsque l'âme est tranquille, toutes les partîes du visage sont dans un état de repos : leur proportion, leur union, leur ensemble, marquent encore assez la douce harmonie des pensées, et répondent au calme de l'intérieur; mais lorsque l'âme est agitée, la face humaine devient un tableau vivant, où les passions sont rendues b avec autant de délicatesse que d'énergie, où chaque mouvement de l'âme est exprimé par un trait, chaque action par un caractère dont l'impression vive et prompte devance la volonté, nous décèle, et rend au dehors, par des signes pathétiques, les images de nos secrètes agitations.

C'est surtout dans les yeux qu'elles se peignent, et qu'on peut les reconnoître; l'œil appartient à l'âme plus qu'aucun autre organe; il semble y toucher et participer à tous ses mouvements; il en exprime les passions les plus vives et les émotions les plus tumultueuses, comme les mouvements les plux doux et les sentiments les plus délicats; il les rend dans toute leur force, dans toute leur pureté, tels qu'ils viennent de naître, il les transmet par des traits rapides qui portent dans une autre âme le feu, l'action, l'image de celle dont ils partent ; l'œil reçoit et réfléchit en même temps la lumière de la pensée et la chaleur du sentiment: c'est le sens de l'esprit et la langue de l'intelligence.

BUFFON.

COMBAT DU TAUREAU.

Au milieu du champ est un vaste cirque environné de nombreux gradins: c'est là que l'auguste Reine, habile dans cet art si doux de gagner les cœurs de son peuple en s'occupant de ses plaisirs, invite souvent ses guerriers au spectacle le plus chéri des Espagnols. Là, les jeunes chefs, sans cuirasse, vêtus d'un simple habit de soie, armés seulement d'une lance, viennent sur de rapides coursiers, attaquer et vaincre des taureaux sauvages. Des soldats à pied, plus légers encore, les cheveux enveloppés dans des réseaux, tiennent d'une main un voile de pourpre, de l'autre des lances aiguës. L'alcade proclame la loi de ne secourir aucun combattant; de ne leur laisser d'autres armes que la lance pour immoler, le voile de pourpre pour se défendre. Les Rois, entourés de leur cour, président à ces jeux sanglants; et l'armée entière, occupant les immenses amphithéâtres, témoigne par des cris de joie, par des transports de plaisir et d'ivresse, quel est son amour effréné pour ces antiques combats.

Le signal se donne, la barrière s'ouvre, le taureau s'élance au milieu du cirque; mais, au bruit de mille fanfares, aux cris, à la vue des spectateurs, il s'arrête, inquiet et troublé ; ses naseaux fument; ses regards brûlants errent sur les amphithéâtres; il semble également en proie à la surprise, à la fureur. Tout à coup il se précipite sur un cavalier qui le blesse, et fuit rapidement à l'autre bout. Le taureau s'irrite, le poursuit de près, frappe à coups redoublés a la terre, et fond sur le voile éclatant que lui presente un combattant à pied. L'adroit Espagnol, dans le même instant, évite à la fois sa rencontre, suspend à ses cornes le voile léger, et lui darde une flèche aiguë qui de nouveau fait couler son sang. Percé bientôt de toutes les lances, blessé de ces traits pénétrants dont le fer courbé reste dans la plaie, l'animal bondit dans l'arène, pousse d'horribles mugissements, s'agite en parcourant le cirque, secoue lea flèches nombreuses enfoncées dans

son large cou, fait voler ensemble les cailloux broyés, les lambeaux de pourpre sanglants, les flots d'écume rougie, et tombe enfin épuisé d'efforts, de colère et de douleur.

FLORIAN. Gonzalve de Cordoue.

L'OURAGAN DES ANTILLES.a

L'OURAGAN est un vent furieux, le plus souvent accompagné de pluie, d'éclairs, de tonnerre, quelquefois de tremblements de terre, et toujours des circonstances les plus terribles, les plus destructives que les vents puissent rassembler. Tout à coup, au jour vif et brillant de la zône torride, succède une nuit universelle et profonde; à la parure d'un printemps éternel, la nudité des plus tristes hivers. Des arbres aussi anciens que le monde sont déracinés, ou leurs débris dispersés; les plus solides édifices n'offrent en un moment que des décombres. Où l'œil se plaisoit à regarder des côteaux riches et verdoyants, on ne voit plus que des plantations bouleversées et des cavernes hideuses. Des malheureux, dépouillés de tout, pleurent sur des cadavres, ou cherchent leurs parents sous des ruines. Le bruit des eaux, des bois, de la foudre et des vents, qui tombent et se brisent contre les rochers ébranlés et fracassés; les cris et les hurlements des hommes et des animaux, pêle-mêle emportés dans un tourbillion de sable, de pierres et de débris, tout semble annoncer les dernières convulsions et l'agonie de la nature.

RAYNAL. Hist. philosoph. et poli.

NAPOLÉON.

Des bords du Nil un homme avait reparu, déjà célèbre par de grands succès dans les combats, illustré même par les revers d'une expédition lointaine et merveilleuse; habile à

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Son ardente

Génie corrup

tromper comme à vaincre, et jetant sur son retour fugitif tout l'éclat d'une heureuse témérité. Sa jeunesse et son audace semblaient lui donner de l'avenir. Ce luxe militaire de l'Orient, qu'il ramenait avec lui comme un trophée, ces drapeaux déchirés et vainqueurs, ces soldats qui avaient subjugué l'Italie et triomphé sur le Thabor et aux pieds des pyramides: toute cette glorie de la France qu'il appelait sa gloire, répandait autour de son nom un prestige trop dangereux chez un peuple si confiant et si brave. Il avait rencontré, il avait saisi le plus heureux prétexte pour le pouvoir absolu, de longs désordres à réparer. activité embrassait tout pour tout envahir. teur, il avait cependant rétabli les autels; funeste génie, élevé par la guerre et devant tomber par la guerre, il avait pénétré d'un coup d'œil l'importance du rôle de législateur; il s'en était rapidement emparé dans l'intervalle de deux victoires; et dès lors, au bruit des armes, il allait exhausser son despotisme sur les bases de la société qu'il avait raffermies. On n'apercevait encore que le retour de l'ordre et l'espérance de la paix. Les maux de l'ambition, l'onéreuse tyrannie d'une guerre éternelle, le mépris calculé de sang français, la suppression de tous les droits publics, se développèrent plus lentement, comme de fatales conséquences qu'enfermait l'usurpation, mais qu'elle n'avait pas d'abord annoncees.

VILLEMAIN.

TOUT NE MEURT PAS AVEC NOUS.

Si tout meurt avec le corps, il faut que l'univers prenne d'autres lois, d'autres mœurs, d'autres usages, et que tout change de face sur la terre. Si tout meurt avec le corps, les maximes de l'équité, de l'amitié, de l'honneur, de la bonne foi, de la reconnoissance, ne sont donc plus que des erreurs populaires, puisque nous ne devons rien à des hommes qui ne nous sont rien, auxquels aucun nœud commun de culte et

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