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quelle pureté dans ses mœurs! quelle grâce touchante dans ses instructions! quelle élévation dans ses maximes! quelle profonde sagesse dans ses discours! quelle présence d'esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses! quel empire sur ses passions! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir, sans foiblesse et sans ostentation? Quand Platon peint son juste imaginaire couvert de tout l'opprobre du crime, et digne de tous les prix de la vertu, il peint trait pour trait Jésus-Christ; la resemblance est si frappante, que tous les Pères l'ont sentie, et qu'il n'est pas possible de s'y tromper.

Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point avoir pour oser comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie! Quelle distance de l'un à l'autre ! Socrate mourant sans douleur, sans ignominie, soutint aisément jusqu'au bout son personnage; et si cette facile mort n'eût honoré sa vie, on douteroit si Socrate, avec tout son esprit, fût autre chose qu'un sophiste. Il inventa, dit-on, la morale; d'autres, avant lui, l'avoient mise en pratique; il ne fit que dire ce qu'ils avoient fait; il ne fit que mettre en leçons leurs exemples. Aristide avoit été juste avant que Socrate eût dit ce que c'étoit que la justice. Léonidas étoit mort pour son pays avant que Socrate eût fait un devoir d'aimer la patrie. Sparte étoit sobre avant que Socrate eût loué la sobriété; avant qu'il eût loué la vertu, la Grèce abondoit en hommes vertueux. Mais où Jésus avoit-il pris chez les siens cette morale élevée et pure, dont lui seul a donné les leçons et l'exemple? Du sein du plus furieux fanatisme, la plus haute sagesse se fit entendre, et la simplicité des plus héroïques vertus honora le plus vil de tous les peuples. La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu'on puisse désirer; celle de Jésus expirant dans les tourments, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu'on puisse craindre. Socrate, prenant la coupe empoisonnée, bénit eelui qui la lui présente et qui pleure. Jésus, au milieu d'un affreux supplice, prie pour ses

bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sout d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'une Dieu. J. J. ROUSSEAU. Emile.

LES TOMBEAUX AÉRIENS.

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La jeune mère se leva, et chercha des yeux, dans le désert embelli par l'aurore, quelque arbre sur les branches duquel elle pût exposer son fils. Elle choisit un érable à fleurs rouges, tout festonné de guirlandes d'apios, et qui exhaloit les parfums les plus suaves. D'une main elle en abaissa les rameaux inférieurs de l'autre elle y plaça le corps de son enfant; laissant alors échapper la branche, la branche retourna à sa position naturelle, en emportant ↳ la dépouille de l'innocence, cachée dans un feuillage odorant. Oh! que cette coutume indienne est touchante! Dans leur tombeaux aériens, ces corps, pénétrés de la substance éthérée, enfoncés dans des touffes de verdure et de fleurs, rafraîchis par la rosée, embaumés par les brises, balancés par elles sur la même branche où le rossignol a bâti son nid et fait entendre sa plaintive mélodie, ces corps ainsi exposés ont perdu toute la laideur du sépulcre. Mais si c'est la dépouille d'une jeune fille que la main d'un amant a suspendue à l'arbre de la mort; si ce sont les restes d'un enfant chéri qu'une mère a placés dans la demeure des petits oiseaux, le charme redouble encore. Arbre américain, qui, portant des corps dans tes rameaux, les éloignes du séjour des hommes, en les rapprochant de celui de Dieu, je me suis arrêté en extase sous ton ombre ! Dans ta sublime allégorie, tu me montrois l'arbre de la vertu ; ses racines croissent dans la poussière de ce monde; sa cime se perd dans les étoiles du firmament, et ses rameaux sont les seuls échelons par où l'homme, voyageur sur ce globe, puisse monter de la terre au ciel.

CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme.

LE ROI CONQUÉRANT.

Si le poison de l'ambition gagne et infecte le cœur du prince; si le souverain, oubliant qu'il est le protecteur de la tranquillité publique, préfère sa propre gloire à l'amour et au salut de ses peuples; s'il aime mieux conquérir des provinces que régner sur les cœurs; s'il lui paroît plus glorieux d'être le destructeur de ses voisins, que le père de son peuple; si le deuil et la désolation de ses sujets, est le seul chant de joie qui accompagne ses victoires; s'il fait servir à lui seul a une puissance, qui ne lui est donnée que pour rendre heureux ceux qu'il gouverne; en un mot, s'il n'est roi que pour le malheur des hommes; et que, comme ce roi de Babylone, il ne veuille élever la statue impie, l'idole de sa grandeur, que sur les larmes et les débris des peuples et des nations: grand Dieu ! quel fléau pour la terre! quel présent faites-vous aux hommes dans votre colère, en leur donnant un tel maître !

Sa gloire sera toujours souillée de sang. Quelque insensé chantera peut-être ses victoires; mais les provinces, les villes, les campagnes, en pleureront: on lui dressera des monuments superbes, pour immortaliser ses conquêtes; mais les cendres encore fumantes de tant de villes autrefois florissantes; mais la désolation de tant de campagnes dépouillées de leur ancienne beauté; mais les ruines de tant de murs sous lesquelles des citoyens paisibles ont été ensevelis; mais tant de calamités qui subsisteront après lui; seront des monuments lugubres, qui immortaliseront sa vanité et sa folie. Il aura passé comme un torrent pour ravager la terre, et non comme un fleuve majestueux pour y porter la joie et l'abondance : son nom sera écrit dans les annales de la postérité parmi les conquérans, mais il ne le sera pas parmi les bons rois; et l'on ne rappellera l'histoire de son règne, que pour rappeler le souvenir des maux qu'il a faits aux hommes. Ainsi son orgueil, dit l'espirt de Dieu, sera monté jusqu'au ciel sa tête aura touché dans les nues : c ses succès auront égalé ses

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désirs; et tout cet amas de gloire ne sera plus à la fin qu'un monceau de boue, qui ne laissera après elle que l'infection et l'opprobre. MASSILLON.

LE ROI BIENFAISANT.

UN prince qui n'a eu que des vertus militaires, n'est pas assuré d'être grand dans la postérité. Il n'a travaillé que pour lui; il n'a rien fait pour ses peuples: et ce sont les peuples, qui assurent toujours la gloire et la grandeur du souverain. Il pourra passer pour un grand conquérant; mais on ne le regardera jamais comme un grand roi: il aura gagné des batailles; mais il n'aura pas gagné le cœur de ses sujets : il aura conquis des provinces étrangères; mais il aura épuisé les siennes en un mot, il aura conduit habilement des armées; mais il aura mal gouverné ses sujets.

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Mais un prince qui n'a cherché sa gloire que dans le bonheur de ses sujets; qui a préféré la paix et la tranquillité, qui seules peuvent les rendre heureux, à des victoires qui n'eussent été que pour lui seul, et qui n'auroient abouti a qu'à flatter sa vanité: un prince qui ne s'est regardé que comme l'homme de ses peuples; qui a cru que ses trésors les plus précieux étoient les cœurs de ses sujets: un prince qui, par la sagesse de ses lois et de ses exemples, a banni les désordres de son état; corrigé les abus, conservé la bienséance des mœurs publiques, maintenu chacun à sa place; réprimé le luxe et la licence, toujours plus funestes aux empires que les guerres et les calamités les plus tristes; rendu au culte et à la religion de ses pères, l'autorité, l'éclat, la majesté, qui en perpétuent le respect parmi les peuples; qui a regardé ses sujets comme ses enfants, son royaume comme sa famille, et qui n'a usé de sa puissance que pour la félicité de ceux qui la lui avoient confiée: un prince de ce caractère sera toujours grand; parce qu'il l'est dans le cœur des peuples. Les pères raconteront à leurs enfants le bonheur qu'ils eurent de vivre sous un si

bon maître ; ceux-ci le rediront à leurs neveux ; et dans chaque famille, ce souvenir, conservé d'âge en âge, deviendra comme un monument domestique élevé dans l'enceinte des murs paternels, qui perpétuera la mémoire d'un si bon roi dans tous les siècles.

Ce ne sont pas les statues et les inscriptions qui immortalisent les princes; elles deviennent tôt ou tard le triste jouet des temps et de la vicissitude des choses humaines. En vain, Rome et la Grèce avoient autrefois multiplié à l'infini les images de leurs Rois et de leurs Césars, et épuisé toute la science de l'art pour les rendre plus précieuses aux siècles suivants; de tous ces monuments superbes, à peine un seul est venu jusqu'à nous. Ce qui n'est écrit que sur le marbre et sur l'airain, est bientôt effacé; ce qui est écrit dans les cœurs, demeure toujours. LE MÊME.

ΡΟΜΡΕΙΑ.

A ROME, l'on ne trouve guère que les débris des monumens publics, et ces monumens ne retracent que l'histoire politique des siècles écoulés; mais à Pompéia, c'est la vie privée des anciens qui s'offre â vous telle qu'elle était. Le volcan qui a couvert cette ville de cendres l'a préservée des outrages du temps. Jamais des édifices exposés à l'air ne se seraient ainsi maintenus, et ce souvenir enfoui s'est retrouvé tout entier. Les peintures, les bronzes étaient encore dans leur beauté première, et tout ce qui peut servir aux usages domestiques est conservé d'une manière effrayante. Les amphores sont encore préparées pour le festin du jour suivant; la farine qui allait être pétrie est encore là: les restes d'une femme sont encore ornés des parures qu'elle portait dans le jour de fête que le volcan a troublé, et ses bras desséchés ne remplissent plus le bracelet de pierreries qui les entoure encore. On ne pent voir nulle part une image aussi

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