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temps séjourné en Macédoine; il me dit: "Ce Prince joint à beaucoup d'esprit et de talents un désir insatiable de s'instruire, et du goût pour les arts qu'il protège sans s'y connoître. Il a de l'agrément dans la conversation, de la douceur et de la fidélité dans le commerce de l'amitié, une grande élévation dans les sentiments et dans les idées. La nature lui donna le germe de toutes les vertus, et Aristote lui en développa les principes. Mais au milieu de tant d'avantages, règne une passion funeste pour lui, et peutêtre pour le genre humain; c'est une envie excessive de dominer, qui le tourmente jour et nuit. Elle s'annonce tellement dans ses regards, dans son maintien, dans ses paroles et ses moindres actions, qu'en l'approchant on est pénétré de respect et de crainte. Il voudroit être l'unique Souverain de l'univers, et le seul dépositaire des connoissances humaines. L'ambition et toutes ces qualités brillantes que l'on admire dans Philippe, se trouvent dans son fils, avec cette différence que chez l'un elles sont mêlées avec des qualités qui les tempèrent, et que chez l'autre la fermeté dégénère en obstination, l'amour de la gloire en frénésie, le courage en fureur: car toutes ses volontés ont l'inflexibilité du destin, et se soulèvent contre les obstacles, de même qu'un torrent s'élance en mugissant an-dessus d'un rocher qui s'oppose à son cours."

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Philippe emploie différents moyens pour aller à ses fins : Alexandre ne connoit que son épée. Philippe ne rougit pas de disputer, aux jeux Olympiques, la victoire à de simples particuliers; Alexandre ne voudroit y trouver pour adversaires que des Rois. Il semble qu'un sentiment secret avertit sans cesse le premier qu'il n'est parvenu à cette haute élévation qu'à force de travaux; et le second, qu'il est né dans le sein de la grandeur."

"Jaloux de son père, il voudra le surpasser; émule d'Achille, il tâchera de l'égaler. Achille est à ses yeux le plus grand des héros, et Homère le plus grand des poëtes, parce qu'il a immortalisé Achille. Plusieurs traits de ressemblance rap

prochent Alexandre du modèle qu'il a choisi: c'est la même violence dans le caractère, la même impétuosité dans les combats, la même sensibilité dans l'âme. Il disoit un jour qu' Achille fut le plus heureux des mortels, puisqu'il eut un ami tel que Patrocle, et un panégyriste tel qu'Homère.” BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis.

CÉSAR.

CAÏUS JULIUS CÉSAR étoit né de l'illustre famille des Jules, qui, comme toutes les grandes maisons, avoit sa chimère,a en se vantant de tirer son origine d'Anchise et de Vénus. C'étoit l'homme de son temps le mieux fait, adroit à toutes sortes d'exercices, infatigable au travail, plein de valeur, le courage élevé, vaste dans ses desseins, magnifique dans sa dépense, et libéral jusqu'à la profusion. La nature, qui sembloit l'avoir fait naître pour commander au reste des hommes, lui avoit donné un air d'empire et de dignité dans ses manières ; mais cet air de grandeur étoit tempéré par la douceur et la facilité de ses mœurs. Son éloquence insinuante et invincible étoit encore plus attachée aux charmes de sa personne qu'à la force de ses raisons. Ceux qui étoient assez durs pour résister à l'impression que faisoient tant d'aimables qualités n'échappoient point à ses bienfaits, et il commença par assujétir les cœurs, comme le fondement le plus solide de la domination à laquelle il aspiroit.

Né simple citoyen d'une république, il forma, dans une condition privée, le projet d'assujétir sa patrie. La grandeur et les périls d'une pareille entreprise ne l'éponvantèrent point. Il ne trouva rien au-dessus de son ambition, que l'étendue immense de ses vues. Les exemples récents de Marius et de Sylla lui firent comprendre qu'il n'étoit pas impossible de s'élever à la souveraine puissance; mais, sage jusque dans ses désirs immodérés, il distribua en différents temps l'exé

cution de ses desseins. Son esprit, toujours juste, malgré son étendue, n'alla que par degrés au projet de la domination; et, quelque éclatantes qu'aient été depuis ses victoires, elles ne doivent passer pour de grandes actions, que parce qu'elles furent toujours la suite et l'effet de grands desseins. VERTOT. Révolutions Romaines.

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SOCRATE ET CATON.

OSONS opposer Socrate même à Caton: l'un étoit plus philosophe, et l'autre plus citoyen. Athènes étoit déjà perdue, et Socrate n'avoit plus de patrie que le monde entier Caton porta toujours la sienne au fond de son cœur ; il ne vivoit que pour elle; il ne put lui survivre. La vertu de Socrate est celle du plus sage des hommes; mais, entre César et Pompée, Caton semble un Dieu parmi les mortels. L'un instruit quelques particuliers, combat les sophistes, et meurt pour la vérité; l'autre défend l'État, la liberté, les lois contre les conquérants du monde, et quitte enfin la terre, quand il n'y avoit plus de patrie à servir. digne élève de Socrate seroit le plus vertueux de ses contemporains; un digne émule de Caton en seroit le plus grand. La vertu du premier feroit son bonheur; le second chercheroit son bonheur dans celui de tous. Nous serions instruits par l'un et conduits par l'autre, et cela seul décideroit de la préférence: car on n'a jamais fait un peuple de sages, mais il n'est pas impossible de rendre un peuple heureux.

Un

J. J. ROUSSEAU.

MORT D'ÉPAMINONDAS.

Les deux armées furent bientôt en présence: celle des Lacédémoniens et de leurs alliés étoit de plus de vingt mille

hommes de pied, et de près de deux mille chevaux; celle de la ligue Thébaine, de près de trente mille hommes d'infanterie, et d'environ trois mille de cavalerie.

Jamais Épaminondas n'avoit déployé plus de talent que dans cette circonstance. Il suivit dans son ordre de bataille les principes qui lui avoient procuré la victoire de Leuctres. Une de ses ailes, formée en colonne, tomba sur la phalange Lacédémonienne, qu'elle n'auroit peut-être jamais enfoncée, s'il n'étoit venu lui-même fortifier ses troupes par son exemple, et par un corps d'élite dont il étoit suivi. Les ennemis, effrayés à son approche, s' ébranlent et prennent la fuite. Il les poursuit avec un courage dont il n'est plus le maître, et se trouve enveloppé par un corps de Spartiates qui font tomber sur lui une grêle de traits. Après avoir long-temps écarté la mort, et fait mordre la poussière à une foule de guerriers, il tomba percé d'un javelot, dont le fer lui resta dans la poitrine. L'honneur de l'enlever engagea une action aussi vive, aussi sanglante que la première. Ses compagnons ayant redoublé leurs efforts, eurent la triste consolation de l'emporter dans sa tente.

On combattit à l'autre aile avec une alternative à peu près égale de succès et de revers. Par les sages dispositions d'Épaminondas, les Athéniens ne furent pas en état de seconder les Lacédémoniens. Leur cavalerie attaqua celle des Thébains, fut repoussée avec perte, se forma de nouveau, et détruisit un détachement que les ennemis avoient placé sur les hauteurs vosines; leur infanterie étoit sur le point de prendre la fuite, lorsque les Éléens volèrent à son secours.

La blessure d'Epaminondas arrêta le carnage et suspendit la fureur des soldats; les troupes des deux partis, également étonnées, restèrent dans l'inaction; de part et d'autre on sonna la retraite, et l'on dressa un trophée sur le champ de bataille.

Epaminondas respiroit encore. Ses amis, ses officiers fondoient en larmes autour de son lit, Le camp retentissoit des cris de la douleur et du désespoir. Les médecins avoient

déclaré qu'il expireroit dès qu'on ôteroit le fer de la plaie. Il craignit que son bouclier ne fût entre les mains de l'ennemi : on le lui montra, et il le baisa, comme l'instrument de sa gloire et de ses travaux. Il parut inquiet sur le sort de la bataille : on lui dit que les Thébains l'avoient gagnée. "Voilà qui est bien," répondit-il, “j'ai assez vécu." Il manda ensuite Daïphantus et Iollidas, deux généraux qu'il jugeoit dignes de le remplacer on lui dit qu'ils étoient morts. "Persuadez donc aux Thébains," reprit-il, "de faire la paix." Alors il ordonna d'arracher le fer; et l'un de ses amis s'étant écrié, dans l'égarement de sa douleur: "Vouz mourez, Épaminondas! si du moins vous laissiez des enfants!"—" Je laisse," répondit-il en expirant, "deux filles immortelles: la victoire de

Leuctres et celle de Mantinée."

BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis.

LES BUISSONS.

DANS une riante soirée de Mai, M. d'Ogères était assis avec Armand, son fils, sur le penchant d'une colline, d'où il lui faisait admirer la beauté de la nature, que le soleil couchant semblait revêtir, dans ses adieux, d'une robe de pourpre. Ils furent distraits de leur douce rêverie par les chants joyeux d'un berger qui ramenait son troupeau bêlant de la prairie voisine. Des deux côtés du chemin qu'il suivait, s'élevaient des buissons d'épines, et aucune brebis ne s'en approchait, sans y laisser quelque dépouille de sa toison.

Le jeune Armand entra en colère contre ces ravisseurs. "Voyez-vous, mon papa," s'écria-t-il, "ces buissons qui dérobent aux brebis leur laine? Pourquoi Dieu a-t-il fait naître ces méchans arbustes? ou pourquoi les hommes ne s'accordentils pas pour les exterminer? Si les pauvres brebis repassent encore dans le même endroit, elles vont y laisser le reste de leurs habits. Mais non, je me leverai demain à la pointe

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