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des yeux, et il emportera tout ce qu'il contient, gravé dans sa mémoire en caractères ineffaçables. C'est un grand jour de cérémonie ;-la foule empressée et bruyante fourmille autour de lui. Les seigneurs Florentins à la démarche pompeuse, et élégamment enveloppés de leurs manteaux ; des demoiselles jeunes, belles et de haut parage, de nobles dames, montées sur des palefrois amblant avec grâce, et suivies de valets et de pages portant leurs missels ornés de broderie et de fermoirs en or; une procession, accompagnée de longues files de peuple dont les chants et les acclamations font retentir les airs, passent auprès de cet homme sans en être aperçus :-il est immobile comme une statue. Son teint olivâtre, sa barbe épaisse, ses cheveux noirs et bouclés, son front large, élevé, et sillonné de rides, ses yeux grands et expressifs, son nez aquilin, sa bouche fortement comprimée, sa physionomie noble, grave, poétique,―tout dans sa personne commande l'attention et le respect. La foule se sépare involontairement pour lui faire place :-plus d'une jeune fille fait le signe de la croix en passant à côté de lui, et jette ses regards pieux sur la madone de pierre placée dans une niche au-dessus de la porte.

"Ne dérange pas cet homme ;-passe doucement auprès de lui; " dit une d'elles à sa compagne.

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Et pourquoi donc, Teresa?"

C'est l'homme qui descend dans l'enfer quand il lui plait, et qui y entraîne avec lui les objets de sa haine.

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"Comment! est-ce lui?" répliqua l'autre ; et, sans dire mot, toutes deux hâtèrent le pas. Cependant l'étranger, qui avait excité leur terreur, leva la tête, sourit, et s'absorba de nouveau dans la lecture de son volume.

En ce moment passa un ecclésiastique, monté sur une mule richement caparaçonnée. Il lâcha un instant sa bride, s'arrêta, et dit à demi-voix: "Lis, Blanc, -lis; demain tu seras brûlé."

Peut-être que l'étranger l'entendit;-il ne leva cependant pas la tête, mais demeura immobile, et continua à lire attentivement. La nuit arriva ;-il ferma le livre en poussant un

soupir, le remit sur l'échoppe, et s'en alla:-il avait resté à la même place depuis la pointe du jour.

Le lendemain matin, comme il s'approchait de nouveau de la boutique, le libraire en sortit, et l'informa que la faction des Noirs l'avait proscrit, dans une des séances secrètes qu'elle tient pendant la nuit au couvent de Saint-Pierre, et qu'il était dangereux pour lui de se montrer publiquement dans les rues de Florence.

"Eh bien!" fut sa seule réponse.

Plusieurs personnes se rassemblèrent autour de lui. "Vous êtes condamné à mort, " dit l'une d'elles.

Sans m'entendre ?"

"J'ai la preuve que cette nuit on se propose de mettre le feu à votre maison, et de vous brûler vif, ou de vous assassiner. Sauvez vos jours par une prompte fuite. "

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"Au nom de celle que vous avez rendue immortelle sur la terre, comme elle l'est dans le ciel," dit un ami qui perça la foule, "au nom de Béatrix, je vous conjure de fuir. "

L'étranger inclina la tête; et, accompagné de son ami, il dirigea ses pas vers la porte Romaine de Florence.

"Comment pourrez-vous vous venger de vos ennemis pour leur cruauté,- leurs insultes?"

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L'étranger ne répliqua point ;—mais tirant de son sein un rouleau de parchemin, il montra d'un air significatif les mots qui y étaient inscrits, Divina Commedia, Inferno.' Alors il jeta un dernier regard sur Florence, et sortit de ses murs à pied et seul. ANONYME.

MILTON.

AINSI se préparoit l'Homère des croyances chrétiennes; ainsi, nourrie dans les factions, exercée par tous les fanatismes de la

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religion, de la liberté, de la poésie, cette âme orageuse et sublime, en perdant le spectacle du monde, devait un jour retrouver dans ses souvenirs le modèle des passions de l'Enfer, et produire du fond de sa rêverie, que la réalité n'interrompoit plus, deux créations également idéales, également inattendues dans ce siècle farouche, la félicité du ciel et l'innocence de la terre. Mais, avant que Milton ait couvert des rayons d'une gloire si pure la triste célébrité qu'avoient encourue ses premiers ouvrages, nous trouverons du moins dans la cause malheureuse où il s'étoit engagé, son nom plus d'une fois honoré par les leçons hardies qu'il adressoit à Cromwell. Les égarements du fanatisme, et non les calculs de la bassesse, pouvoient s'accorder avec tant de génie.

VILLEMAIN. Histoire de Cromwell.

A MADAME DE GRIGNAN.

Voici un terrible jour, ma chère enfant; je vous avoue que je n'en puis plus. Je vous ai quittée dans un état qui augmente ma douleur. Je songe à tous les pas que vous faites, et à tous ceux que je fais; et combien il s'en faut qu'en marchant toujours de cette sorte, nous puissions jamais nous rencontrer! Mon cœur est en repos quand il est auprès de vous c'est son état naturel, et le seul qui peut lui plaire.

Ce qui s'est passé ce matin me donne une douleur sensible et me fait un déchirement dont votre philosophie sait les raisons. Je les ai senties et les sentirai long-temps. J'ai le cœur et l'imagination tout remplis de vous, je n'y puis penser sans pleurer, et j'y pense toujours; de sorte que l'état où je suis n'est pas une chose soutenable : comme il est extrême, j'espère qu'il ne durera pas dans cette violence. Je vous cherche toujours, et je trouve que tout me manque, parce que vous me manquez.d Mes yeux qui vous ont tant rencontrée depuis quatorze mois, ne vous trouvent plus. Le temps

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agréable qui est passé rend celui-ci douloureux, jusqu'à ce que je sois un peu accoutumée; mais ce ne sera jamais pour ne pas souhaiter ardemment de vous revoir et de vous embrasser.

Je ne dois pas espérer mieux de l'avenir que du passé; je sais ce que votre absence m'a fait souffrir, je serai encore plus à plaindre, parce que je me suis fait imprudemment une habitude nécessaire de vous voir. Il me semble que je ne vous ai pas assez embrassée en partant. Qu'avois-je à ménager ? je ne vous ai point assez dit combien je suis contente de votre tendresse ; je ne vous ai point assez recommandée à M. de Grignan, je ne l'ai point assez remercié de toutes ses politesses et de toute l'amitié qu'il a pour moi : j'en attendrai les effets sur tous les chapitres.

Je suis déjà dévorée de curiosité; je n'espère de consolation que de vos lettres, qui me feront encore bien soupirer.Þ En un mot, ma fille, je ne vis que pour vous. Dieu me fasse la grâce de l'aimer quelque jour comme je vous aime. Jamais un départ n'a été si triste que le nôtre; nous ne disions pas un mot. Adieu, ma chère enfant; plaignez-moi de vous avoir quittée, Hélas! nous voilà dans les lettres.

M.me DE SÉVIGNÉ.

LA BIBLE.

L'ÉCRITURE surpasse en naïveté, en vivacité, en grandeur tous les écrivains de Rome et de la Grèce. Jamais Homère même n'a approché de la sublimité de Moïse dans ses cantiques, particulièrement le dernier, que tous les enfants des Israélites devoient apprendre par cœur. Jamais nulle ode grecque ou latine n'a pu atteindre à la hauteur des psaumes; par exemple, celui qui commence ainsi : "Le Dieu des Dieux, le Signeur a parlé, et il a appelé la terre," surpasse toute imagination humaine. Jamais Homère ni aucun autre poëte n'a égalé Isaïe peignant la majesté de Dieu aux yeux duquel

"les Royaumes ne sont qu'un grain de poussière; l'univers qu'une tentequ'on dresse aujourd'hui, et qu'on enlève demain." Tantôt ce prophète a toute la douceur et toute la tendresse d'une églogue, dans les riantes peintures qu'il fait de la paix ; tantôt il s'élève jusqu'à laisser tout au-dessous de lui. Mais qu'y a-t-il, dans l'antiquité profane, de comparable au tendre Jérémie, déplorant les maux de son peuple; ou à Nahum, voyant de loin, en esprit, tomber la superbe Ninive sous les efforts d'une armée innombrable? On croit voir cette armée, on croit entendre le bruit des armes et des chariots; tout est dépeint d'une manière vive qui saisit l'imagination: il laisse Homère loin derrière lui. Lisez encore Daniel, dénonçant à Balthazar la vengeance de Dieu toute prête à fondre sur lui; et cherchez, dans les plus sublimes originaux de l'antiquité, quelque chose qu'on puisse leur comparer. Au reste, tout se soutient dans l'Écriture; tout y garde le caractère qu'il doit avoir, l'histoire, le détail des lois, les descriptions, les endroits véhéments, les mystères, les discours de morale; enfin il y a autant de différence entre les poëtes profanes et les prophètes, qu'il y en a entre le véritable enthousiasme et le faux. Les uns véritablement inspirés, expriment sensiblement quelque chose de divin; les autres, s'efforçant de s'élever au-dessus d'eux-mêmes, laissent toujours voir une foiblesse humaine. FÉNELON. Dial. sur l'Élog. de la Chaire.

L'ÉVANGILE.

La majesté des Écritures m'étonne; la sainteté de l'Évangile parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe; qu'ils sont petits près de celui-là! Se peut-il qu'un livre, à la fois si sublime et si sage, soit l'ouvrage des hommes ! Se peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un homme lui-même ? Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire ? Quelle douceur!

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