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DENISE ET ANTONIN.

C'ETOIT un beau jour d'été. M. de Valbonne devoit aller se promener dans un joli jardin, aux portes de la ville, avec ses deux enfants, Denise et Antonin. Il passa dans sa garde-robe pour s'habiller, et les deux enfants restèrent dans le salon.

Antonin, transporté du plaisir qu'il se promettoit de sa promenade, en courant étourdiment çà et là, heurta du pan de son habit une fleur rare et précieuse, que son père cultivoit avec des soins infinis, et qu'il avoit malheureusement ôtée de dessus la fenêtre, pour la préserver de l'ardeur du soleil.

"O mon frère ! qu'as-tu fait?" lui dit Denise, en ramassant la fleur, qui s'étoit séparée de sa tige.

Elle la tenoit encore à la main, lorsque son père, ayant fini de s'habiller, rentra dans le salon.

"Comment, Denise," lui dit M. de Valbonne, avec un mouvement de colère, "tu cueilles une fleur que tu m'as vu prendre tant de peine à cultiver, pour en avoir de la graine ?”

"Mon cher papa," lui répondit Denise toute tremblante, ne vous fâchez pas, je vous prie."

"Je ne me fâche point," répliqua M. de Valbonne en se calmant. "Mais comme tu pourrois avoir aussi fantaisie de cueillir des fleurs dans le jardin où je vais, et qui ne m'appartient pas, tu ne trouveras pas mauvais que je te laisse à la maison.”

Denise baissa les yeux, et se tut. Antonin ne put garder plus long-temps le silence. Il s'approcha de son père les yeux mouillés de larmes, et lui dit :

"Ce n'est pas ma sœur, mon papa, c'est moi qui ai arraché cette fleur. Ainsi c'est à moi de rester la maison. Menez ma sœur avec vous."

M. de Valbonne, touché de l'ingénuité de ses enfants, et de la tendresse qu'ils montroient l'un pour l'autre, les embrassa et leur dit: "Vous êtes tous deux mes bien-aimés, et vous viendrez tous deux avec moi."

Denise et Antonin firent un bond de joie. Ils allèrent se promener dans le jardin, où on leur montra les plantes les plus

curieuses. M. de Valbonne vit,avec plaisir, Denise presser de ses mains les deux côtés de ses jupons, et Antonin relever les pans de son habit sous chacun de ses bras, de peur de causer quelque dommage, en se promenant entre les plate-bandes.

La fleur qu'il avoit perdue, lui auroit causé sans doute beaucoup de plaisir; mais il eu goûta bien davantage en voyant fleurir dans ses enfants l'amitié fraternelle, la candeur et la prudence. BERQUIN. L'ami des Enfants.

LES GRECS ET LES ITALIENS.

L'ITALIE, où la littérature grecque venoit d'être transportée par les soins de Boccace et de la république florentine, étoit le pays de l'Europe le plus propre à faire revivre l'ancienne Grèce. La nature elle-même s'est plu à doter ces deux magnifiques contrées de dons à peu près semblables. Elle a multiplié, dans l'une et dans l'autre, les sites pittoresques; elle y a entassé des rochers majestueux, creusé des vallons riants, et ménagé des cascades rafraîchissantes; elle a orné, comme pour un jour de fête, leurs campagnes de la plus riche végétation; et, tandis qu'elle a enrichi à l'envia l'Italie et la Grèce par les prodiges de sa puissance, elle a aussi donné aux hommes qui les habitent, des qualités semblables, si du moins l'on peut reconnoître le caractère primitif d'un peuple, lorsqu'il a déjà été altéré par les gouvernements divers. Les qualités communes aux peuples de l'Italie et de la Grèce, les qualités permanentes, dont le germe s'est maintenu sous tous les gouvernements, et se retrouve encore, sont une imagination vive et brillante, une sensibilité rapidement excitée et rapidement étouffée enfin, le goût inné de tous les arts, avec des organes propres à apprécier ce qui est beau dans tous les genres, et à le reproduire. Dans les fêtes du peuple des campagnes, on démêleroit aujourd'hui des hommes en tout semblables à ceux dont les applaudissements animèrent le génie de Phidias,

de Michel-Ange ou de Raphaël. Ils ornent leurs chapeux de fleurs odoriférantes; leur manteau est drapé d'une manière pittoresque, comme celui des statues antiques; leur langage est figuré et plein de feu; leurs traits expriment toutes les passions, et en effet ils sont susceptibles de l'amour le plus impétueux, de la colère la plus bouillante. Aucune fête ne leur paroît complète si les facultés morales de l'homme n'y ont eu quelque part, si l'église où ils se réunissent n'est ornée avec goût et d'une manière pittoresque, si une musique harmonieuse n'élève leur âme vers les cieux. Leurs divertissements portent le même caractère: lorsque, sur leur salaire, ils ont dérobé à leurs besoins une pénible épargne, ils ne la consacrent point à se procurer des boissons enivrantes ou des plaisirs crapuleux; mais ils la portent, comme un tribut, aux théâtres, aux poëtes improvisateurs, aux conteurs d'histoires qui éveillent leur imagination, et qui nourrissent leur esprit. L'Italie est aujourd'hui le seul pays où le bouvier et le vigneron, le laboureur et le berger, remplissent avec leurs femmes et leurs enfants, les salles de spectacle; c'est le seul où ils puissent comprendre des tragédies qui leur représentent les héros des temps passés, et des fables poétiques dont le souvenir ne leur est point absolument étranger.

SISMONDI. Histoire des Républiques Italiennes du moyen áge.

LE CHIEN.

Le chien, fidèle à l'homme, conservera toujours une portion de l'empire, un degré de supériorité sur les autres animaux ; il leur commande, il règne lui-même à la tête d'un troupeau, il s'y fait mieux entendre que la voix du berger; la sûreté, l'ordre et la discipline sont le fruit de sa vigilance et de son activité; c'est un peuple qui lui est soumis, qu'il conduit, qu'il protège, et contre lequel il n'emploie jamais la force que pour y maintenir la paix. Mais c'est surtout à la guerre, c'est

contre les animaux ennemis ou indépendants, qu'éclate son courage, et que son intelligence se déploie tout entière. Les talents naturels se réunissent ici aux qualités acquises. Dès que le bruit des armes se fait entendre, dès que le son du cor ou la voix du chasseur a donné le signal d'une guerre prochaine, brûlant d'une ardeur nouvelle, le chien marque sa joie par les plus vifs transports; il annonce par ses mouvements et par ses cris l'impatience de combattre et le désir de vaincre; marchant ensuite en silence, il cherche à reconnoître le pays, à découvrir, à surprendre l'ennemi dans son fort; il recherche ses traces, il les suit pas à pas, et par des accents differents indique le temps, la distance, l'espèce, et même l'âge de celui qu'il poursuit.

Le chien, indépendamment de la beauté de sa forme, de la vivacité, de la force, de la légèreté, a par excellence toutes les qualités intérieures qui peuvent lui attirer les regards de l'homme. Un naturel ardent, colère, même féroce et sanguinaire, rend le chien sauvage redoutable à tous les animaux, et cède, dans le chien domestique, aux sentiments les plus doux, au plaisir de s'attacher et au désir de plaire; il vient en rampant mettre aux pieds de son maître son courage, sa force, ses talents; il attend ses ordres pour en faire usage; il le consulte, il l'interroge, il le supplie; un coup d'œil suffit, il entend les signes de sa volonté : sans avoir, comme l'homme, la lumière de la pensée, il a toute la chaleur du sentiment, il a de plus que lnia la fidélité, la constance dans ses affections; nulle ambition, nul intérêt, nul désir de vengeance, nulle crainte que celle de déplaire; il est tout zèle, tout ardeur et tout obéissance; plus sensible au souvenir des bienfaits qu'à celui des outrages, il ne se rebute pas par les mauvais traitements; il les subit, les oublie, ou ne s'en souvient que pour s'attacher davantage; loin de s'irriter ou de fuir, il s'expose de lui-même à de nouvelles épreuves; il lèche cette main, instrument de douleur, qui vient de le frapper; il ne lui - oppose que la plainte, et la désarme enfin par la patience et la soumission. BUFFON.

LA CONSCIENCE.

PARTOUT nous rendons hommage, par nos troubles et par nos remords secrets, à la sainteté de la vertu que nous violons; partout un fonds d'ennui et de tristesse inséparable du crime nous fait sentir que l'ordre et l'innocence sont le seul bonheur qui nous étoit destiné sur la terre. Nous avons beau faire montre d'une vaine intrépidité, la conscience criminelle se trahit toujours elle-même. Les terreurs cruelles marchent partout devant nous; la solitude nous trouble; les ténèbres nous alarment; nous croyons voir sortir de tous côtés des fantômes qui viennent toujours nous reprocher les horreurs secrètes de notre âme; des songes funestes nous remplissent d'images noires et sombres; et le crime, après lequel nous courons avec tant de goût, court ensuite après nous comme un vautour cruel, et s'attache à nous pour nous déchirer le cœur, et nous punir du plaisir qu'il nous a lui-même donné.

MASSILLON.

DU REMORDS ET DE LA CONSCIENCE.

LA conscience fournit une seconde preuve de l'immortalité de notre âme. Chaque homme a au milieu du cœur un tribunal où il commence par se juger soi-même, en attendant que l'arbitre souverain confirme la sentence. Si le vice n'est qu'une conséquence physique de notre organisation, d'où vient cette frayeur qui trouble les jours d'une prospérité coupable? Pourquoi le remords est-il si terrible, qu'on préfère souvent de se soumettre à la pauvreté et à toute la rigueur de la vertu, plutôt que d'acquérir des biens illégitimes? Pourquoi y a-t-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre? Le tigre déchire sa proie, et dort: l'homme devient homicide, et veille. Il cherche les lieux déserts, et cependant la solitude l'effraie; il se traîne autour des tombeaux, et cependant il a peur des tombeaux. Son regard est inquiet et mobile; il n'ose

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