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J'espère, Sire, que Dieu me pardonnera mes péchés, parce que j'en ressens en moi un repentir bien sincère. Vous êtes l'image de Dieu, et j'ose vous supplier de pardonner au moins à mon fils des fautes que je voudrois avoir expiées de mon sang. Ce sont celles, Sire, qui ont donné à Votre Majesté de l'éloignement pour moi, et qui sont cause que je meurs dans mon lit au lieu d'employer à votre service les derniers moments de ma vie et la dernière goutte de mon sang, comme je l'ai toujours souhaité.

Sire, au nom de ce Roi des Rois devant qui je vais paroître, daignez jeter des yeux de compassion sur un fils unique que je laisse dans ce monde sans appui, sans bien : il est innocent de mes malheurs, il est d'un sang qui a toujours bien servi VOTRE MAJESTÉ. Je prends confiance en la bonté de votre cœur; et, après vous avoir encore une fois demandé pardon, je vais me remettre entre les mains de Dieu à qui je demande pour VOTRE MAJESTÉ toutes le propérités que méritent vos

vertus.

LE KHAN OU KIARVANSERAI.

On appelle du mot générique Khan tous les lieux publics où les voyageurs sont admis: on donne plus particulièrement le nom de Kiarvanserai aux bâtiments assez vastes pour recevoir de nombreuses troupes de marchands, nommées Kiarvan, et que nous appelons assez improprement Caravanes. Ces édifices sont dus, presque tous, à la piété des pachas, ou des riches particuliers qui les ont fait construire, et les ont placés sous la sauvegarde de la religion, en consacrant à des mosquées le modique revenu qu'on en retire.

Les Kiarvanserai sont presque toujours formés de quatre bâitments qui renferment une vaste cour: au rez-de-chaussée sont des écuries et des magasins; l'étage supérieur est divisé en un grand nombre de chambres; elles ont presque toutes une cheminée, et communiquent par une galerie extérieure ;

au milieu de la cour est une fontaine abondante et richement décorée; de magnifiques platanes en ombragent le pourtour, et présentent leur abri aux voyageurs fatigués. C'est un spectacle intéressant que celui d'un Khan, lorsque, vers la fin du jour, plusieurs caravanes arrivent de divers endroits pour y passer la nuit: de longues files de chameaux viennent y déposer leurs charges précieuses; une foule de cavaliers les accompagnent ou les suivent; ils ont des vêtements variés, des armes, des figures differentes. Le mouvement est général; on parle à la fois plusieurs langues; on se retrouve avec surprise; on se reconnoît avec joie; les uns proposent des marchés; les autres s'interrogent sur les dangers de la route : toutes les nations, toutes les religions se rapprochent pour leur intérêt commun. Un vieillard, inspecteur du Khan, chargé d'y maintenir le bon ordre, est assis à l'entrée; il accueille les voyageurs, leur rend le salut et les vœux qu'ils lui adressent; il s'informe de ceux qu'il n'aperçoit point encore: tous se félicitent de le revoir, et le traitent avec égards; il veille aux intérêts de ses hôtes, assigne les places, prévient les discordes. Et si, à la suite de ces riches convois, venus des régions lointaines, il se trouve, par un contraste trop fréquent, quelques malheureux dénués de tout, au nom de Dieu et de Mahomet, ils sont traités comme des frères qui achèvent plus laborieusement que d'autres le pélerinage de la vie. Ils n'ont pas craint d'entrer; sur la porte ils ont lu ces mots, gravés en lettres d'or :

Le paradis est à ceux qui nourrissent, pour l'amour de Dieu, les malheureux sans ressources, les orphelins et les esclaves.

DE CHOISEUL-GOUFFIER. Voyage Pittoresque de la Grèce.

LÉ PRÉSENT, L'AVENIR.

Les hommes passent comme les fleurs qui s'épanouissent le matin, et qui le soir sont flétries et foulées aux pieds. Les

générations des hommes s'écoulent comme les ondes d'un fleuve rapide; rien ne peut arrêter le temps, qui entraîne après lui tout ce qui paroît le plus immobile. Toi-même, ô mon fils, mon cher fils, toi-même qui jouis maintenant d'une jeunesse si vive et si féconde en plaisirs, souviens-toi que ce bel âge n'est qu'une fleur qui sera presque aussitôt séchée qu'éclose: tu te verras changer insensiblement; les grâces riantes, les doux plaisirs qui t'accompagnent, la force, la santé, la joie, s'évanouiront comme un beau songe; il ne t'en restera qu'un triste souvenir; la vieillesse languissante et ennemie des plaisirs viendra rider ton visage, courber ton corps, affoiblir tes membres, faire tarir dans ton cœur la source de la joie, te dégoûter du présent, te faire craindre l'avenir, te rendre insensible à tout, excepté à la douleur. Ce temps te paroît éloigné. Hélas! tu te trompes, mon fils; il se hâte, le voilà qui arrive :a ce qui vient avec tant de rapidité n'est pas loin de toi, et le présent qui s'enfuit est déjà bien loin, puisqu'il s'anéantit dans le moment que nous parlons, et ne peut plus se rapprocher. Ne compte donc jamais, mon fils, sur le présent; mais soutiens-toi dans le sentier rude et âpre de la vertu, par la vue de l'avenir. Prepare-toi par des mœurs pures et par l'amour de la justice, une place dans l'heureux séjour de la paix. FÉNÉLON. Télémaque.

VIE PRIVÉE DE FÉNÉLON.

SON humeur étoit égale, sa politesse affectueuse et simple, sa conversation féconde et animée. Une gaîté douce tempéroit en lui la dignité de son ministere, et le zèle de la religion n'eut jamais chez lui ni sécheresse, ni amertume. Sa table étoit ouverte, pendant la guerre, à tous les officiers ennemis ou nationaux que sa réputation attiroit en foule à Cambray. Il trouvoit encore des moments à leur donner, au milieu des devoirs et des fatigues de l'épiscopat. Son sommeil étoit court ses repas d'une extrême frugalité, ses mœurs d'une pureté irré

a

prochable. Il ne connoissoit ni le jeu ni l'ennui: son seul délassement étoit la promenade; encore trouvoit-il le secret de la faire rentrer dans ses exercices de bienfaisance. Rencontroit-il des paysans? il se plaisoit à les entretenir. On le voyoit assis sur l'herbe au milieu d'eux, comme autrefois saint Louis sous le chêne de Vincennes. Il entroit même dans leurs cabanes, et recevoit avec plaisir tout ce que lui offroit leur simplicité hospitalière. Sans doute ceux qu'il honora de semblables visites racontèrent plus d'une fois à la génération qu'ils virent naître, que leur toit rustique avoit reçu Fénélon.

LA HARPE. Éloge de Fénélon.

PORTRAIT D'UN BON ROI.

QU'EST-CE qu'un roi? c'est l'oint du Seigneur, le bouclier du foible, le fléau du méchant, l'arbitre de l'opinion, la règle vivante des mœurs. C'est un homme dont les devoirs sont aussi étendus que la puissance, qui répond à Dieu d'un peuple entier, et participe par ses vertus à tous les honneurs dus au génie; un homme qui se sanctifie par son propre bonheur, en rendant ses sujets heureux; un homme dont les actions sont des exemples, les paroles des bienfaits, les regards mêmes des récompenses; un homme qui n'est élevé au-dessus des autres, que pour découvrir les malheureux de plus loin; c'est enfin une victime honorable de la félicité publique, à qui la providence a donné pour famille une nation, pour témoin l'univers, tous les siècles pour juges.

LE CARDINAL MAURY.

LES TOMBEAUX.

UN tombeau est un monument placé sur les limites des deux mondes. Il nous présente d'abord la fin des vaines inquiétudes de la vie, et l'image d'un éternel repos; ensuite il élève

en nous le sentiment confus d'une immortalité heureuse, dont les probabilités augmentent à mesure que celui dont il nous rappelle la mémoire a été plus vertueux. C'est là que se fixe notre vénération; et cela est si vrai, que, quoiqu'il n'y ait aucune différence entre la cendre de Socrate et celle de Néron, personne ne voudroit avoir dans ses bosquets celle de l'Empereur romain, quand même elle seroit renfermée dans une urne d'argent, et qu'il n'y a personne qui ne mît celle du philosophe dans le lieu le plus honorable de son appartement, quand elle ne seroit que dans un vase d'argile.

C'est donc par cet instinct intellectuel pour la vertu, que les tombeaux des grands hommes nous inspirent une vénération si touchante. C'est par le même sentiment que ceux qui renferment des objets qui ont été aimables nous donnent tant de regrets. Voilà pourquoi nous sommes émus à la vue du petit tertre qui couvre les cendres d'un enfant aimable, par le souvenir de son innocence; voilà encore pourquoi nous voyons avec tant d'attendrissement une tombe sous laquelle repose une jeune femme, l'amour et l'espérance de sa famille par ses vertus. Il ne faut pas, pour rendre recommandables ces monuments, des marbres, des bronzes, des dorures : plus ils sont simples, plus ils donnent d'énergie au sentiment de la mélancolie. Ils font plus d'effet pauvres que riches, antiques que modernes, avec des détails d'infortune qu'avec des titres d'honneur, avec les attributs de la vertu qu'avec ceux de la puissance.

C'est surtout à la campagne que leur impression se fait vivement sentir une simple fosse fait souvent verser plus de larmes que les catafalques dans les cathédrales : c'est là que la douleur prend de la sublimité: elle s'élève avec les vieux ifs des cimetières, elle s'étend sur les plaines et les collines d'alentour; elle s'allie avec tous les effets de la nature, le lever de l'aurore, le murmure des vents, le coucher du soleil, et les ténèbres de la nuit. Les travaux les plus rudes et les destinées les plus humiliantes n'en peuvent éteindre l'impression dans les cœurs les plus misérables.

Bernardin de SAINT PIERRE. Études de la Nature.

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