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Dans le fond de la Thrace un barbare enfanté
Est venu dans ces lieux souffler la cruauté.
Notre ennemi cruel devant vous se déclare ;
C'est lui, c'est ce ministre infidèle et barbare,
Qui, d'un zèle trompeur à vos yeux revêtu,
Contre notre innocence arme votre vertu.

Et quel autre, grand Dieu! qu'un Scythe impitoyable
Auroit de tant d'horreurs dicté l'ordre effroyable?
Partout l'affreux signal, en même temps donné,
De meurtre remplira l'univers étonné.

On verra, sous le nom du plus juste des Princes,
Un perfide étranger désoler vos provinces ;
Et, dans ce palais même, en proie à son courroux,
Le sang de vos sujets regorger jusqu'à vous.

d

Et que reproche aux Juifs sa haine envenimée ? Quelle guerre intestine avons-nous allumée ? Les a-t-on vus marcher parmi vos ennemis ? Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis? Adorant dans leurs fers le Dieu qui les châtie, Pendant que votre main, sur eux appesantie, A leurs persécuteurs les livroit sans secours, Ils conjuroient ce Dieu de veiller sur vos jours, De rompre des méchants les trames criminelles, De mettre votre trône à l'ombre de ses ailes. N'en doutez point, Seigneur, il fut votre soutien Lui seul mit à vos pieds le Parthe et l'Indien, Dissipa devant vous les innombrables Scythes, Et renferma les mers dans vos vastes limites, Lui seul aux yeux d'un Juif découvrit le dessein De deux traîtres tout prêts à vous percer le sein. RACINE. Esther.

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LE PESSIMISTE.

Er moi...., car à mon tour il faut que je réponde,
Et que par mille faits, enfin, je vous confonde;
Je vous soutiens, Monsieur, qui'ici-bas tout est mal,
Tout, sans exception, au physique, au moral. a
Nous souffrons en naissant, pendant la vie entière,
Et nous souffrons surtout à notre heure dernière.
Nous sentons, tourmentés au dedans, au dehors,
Et les chagrins de l'âme, et les douleurs du corps.
Les fléaux avec nous ne font ni paix ni trève ;
Ou la terre s'entr'ouvre, ou la mer se soulève.
Nous-mêmes à l'envi, déchaînés contre nous,
Comme si nous voulions nous exterminer tous,
Nous avons inventé les combats, les supplices.

b

C'était peu de nos maux, nous y joignons nos vices:
Aux riches, aux puissants, l'innocent est vendu ;
On outrage l'honneur, on flétrit la vertu.

Tous nos plaisirs sont faux, notre joie indécente :
On est vieux à vingt ans, libertin à soixante.
L'hymen est sans amour, l'amour n'est nulle part;
Pour le sexe on n'a plus de respect ni d'égard.
On ne sait ce que c'est que de payer ses dettes,
Et de sa bienfaisance on remplit les gazettes.
On fait de plate prose, et de plus méchants vers,
On raisonne de tout, et toujours de travers;
Et dans ce monde enfin, s'il faut que je le dise,
On ne voit que noirceur, et misère et sottise.

COLLIN-D'HARLEVILLE. L'Optimiste.

L'OPTIMISTE.

VOILA Ce qui s'appelle un tableau consolant!
Vous ne le croyez pas vous-même ressemblant.
De cet excès d'humeur je ne vois point la cause.
Pourquoi donc s'emporter, mon ami, quand on cause?
Vous parlez de volcans, de naufrage........ Eh, mon cher,
Demeurez en Touraine, et n'allez point sur mer.
Sans doute autant que vous je déteste la guerre ;
Mais on s'éclaire enfin, a on ne l'aura plus guère.
Bien des gens, dites-vous, doivent: sans contredit,
Ils ont tort: mais pourquoi leur a-t-on fait crédit ?
L'hymen est sans amour? Ma femme a la réplique.
L'Amour n'est nulle part? Consultez Angélique.
Les femmes sont un peu coquettes ? Ce n'est rien :
Ce sexe est fait pour plaire, il s'en acquitte bien.

Tous nos plaisirs sont faux? Mais quelquefois à table Je vous ai vu goûter un plaisir véritable.

On fait de méchants vers? Eh! ne les lisez pas :

Il en paraît aussi dont je fais très-grand cas.

On déraisonne? Eh! oui, parfois un faux système

b

Nous égare.... Entre nous, vous le prouvez vous-même. Calmez donc votre bile, et croyez qu'en un mot, L'homme n'est ni méchant, ni malheureux, ni sot.

Je ne suis point aveugle; et je vois, j'en conviens,
Quelques maux, mais je vois encore plus de biens;
Je savoure les biens; les maux, je les supporte.
Que gagnez-vous, de grâce, © à gémir de la sorte?
Vos plaintes, après tout, ne sont qu'un mal de plus.
Laissez donc là,a mon cher, les regrets superflus;
Reconnoissez du Ciel la sagesse profonde,
Et croyez que tout est pour le mieux dans le monde.

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L'HORREUR DES GUERRES CIVILES.

D'AILLY portait partout la crainte et le trépas,
D'Ailly tout orgueilleux de trente ans de combats,
Et qui, dans les horreurs de la guerre cruelle,
Reprend, malgré son âge, une force nouvelle.
Un seul guerrier s'oppose à ses coups menaçants:
C'est un jeune Héros à la fleur de ses ans,
Qui, dans cette journée illustre et meurtrière,
Commençait des combats la fatale carrière ;
D'un tendre hymen à peine il goûtait les appas;
Favori des Amours, il sortait de leurs bras.
Honteux de n'être encor fameux que par ses charmes,
Avide de la gloire, il volait aux alarmes.

Ce jour sa jeune épouse, en accusant le Ciel,

En détestant la Ligue, a et ce combat mortel,
Arma son tendre amant, et d'une main tremblante
Attacha tristement sa cuirasse pesante,

Et couvrit, en pleurant, d'un casque précieux
Ce front si plein de grâce, et si cher à ses yeux.
Il marche vers d'Ailly, dans sa fureur guerrière ;
Parmi des tourbillons de flammes, de poussière,
A travers les blessés, les morts et les mourants,
De leurs coursiers fougueux tous deux pressent les flancs;
Tous deux sur l'herbe unie et de sang colorée,
S'élancent loin des rangs, d'une course assurée :
Sanglants, couverts de fer, et la lance à la main,
D'un choc épouvantable il se frappent soudain.
La terre en retentit, leurs lances sont rompues :
Comme en un ciel brûlant, deux effroyables nues
Qui, portant le tonnerre et la mort dans leurs flancs,
Se heurtent dans les airs, et volent sur les vents:
De leur mélange affrenx les éclairs rejaillissent:
La foudre en est formée, et les mortels frémissent.

b

Mais loin de leurs cousiers, par un subit effort, Ces guerriers malheureux cherchent une autre mort. Déjà brille en leurs mains le fatal cimeterre. La Discorde accourut; le Démon de la guerre, La Mort pâle et sanglante, étaient à ses côtes. Malheureux! suspendez vos coups précipités. Mais un destin funeste enflamme leur courage; Dans le cœur l'un de l'autre ils cherchent un passage, Dans ce cœur ennemi qu'ils ne connoissent pas. Le fer qui les couvroit brille et vole en éclats; Þ Sous les coups redoublés leur cuirasse étincelle ; Leur sang qui rejaillit rougit leur main cruelle; Leur bouclier, leur casque, arrêtant leur effort, Pare encor quelques coups, et repousse la mort. Chacun d'eux étonné de tant de résistance, Respectait son rival, admirait sa vaillance. Enfin le vieux d'Ailly, par un coup malheureux, Fit tomber à ses pieds ce guerrier généreux. Ses yeux sont pour jamais fermés à la lumière, Son casque auprès de lui roule sur la poussière. D'Ailly voit son visage; ô désespoir! ô cris! Il le voit, il l'embrasse: hélas! c'était son fils. Le père infortuné, les yeux baignés de larmes, Tournait contre son sein ses parricides armes. On l'arrête, on s'oppose à sa juste fureur ;

Il s'arrache, en tremblant, de ce lieu plein d'horreur ;
Il déteste à jamais sa coupable victoire;

Il renonce à la Cour, aux humains, à la gloire,
Et, se fuyant lui-même, au milieu des déserts
Il va cacher sa peine au bout de l'univers.
Là, soit que le soleil rendît le jour au monde,
Soit qu'il finît sa course au vaste sein de l'onde,
Sa voix faisait redire aux échos attendris
Le nom, le triste nom de son malheureux fils.
Du héros expirant la jeune et tendre amante,
Par la terreur conduite, incertaine, tremblante,

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