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LA VÉRITABLE ET LA FAUSSE DÉVOTION.

Er comme je ne vois nul genre de héros

Qui soit plus à priser que les parfaits dévots,
Aucune chose au monde et plus noble et plus belle
Que la sainte ferveur d'un véritable zèle ;
Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux

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Que le dehors plátré a d'un zéle spécieux,
Que ces francs charlatans, que ces dévots de place,
De qui la sacrilége et trompeuse grimace
Abuse impunément, et se joue, à leur gré,
De ce qu'ont les mortels de plus saint et sacré ;
Ces gens qui, par une ame à l'intérêt soumise,
Font de dévotion métier et marchandise,

Et veulent acheter crédit et dignités

A prix de faux clins d'yeux et d'élans affectés ; a

C

Ces gens, dis-je, qu'on voit, d'une ardeur non commune, Par le chemin du ciel courir à la fortune;

e

Qui, brúlans et prians, demandent chaque jour,

Et prêchent la retraite an milieu de la Cour;

Qui savent ajuster leur zèle avec leurs vices,
Sont prompts, vindicatifs, sans foi, pleins d'artifices,
Et, pour perdre quelqu'un, couvrent insolemment
De l'intérêt du Ciel leur fier ressentiment;
D'autant plus dangereux dans leur âpre colère,
Qu'ils prennent contre nous des armes qu'on révère,
Et que
leur passion, dont on leur sait bon gré, £

Veut nous assassiner avec un fer sacré :

De ce faux caractère on en voit troup paroître.
Mais les dévots de cœur sont aisés à connoître :
Ce titre par aucun ne leur est débattu;
Ce ne sont point du tout fanfarons de vertu ;
On ne voit pas en eux ce faste insupportable,
Et leur dévotion est humaine et traitable:

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Ils ne censurent point toutes nos actions,

Ils trouvent trop d'orgueil dans ces corrections;
Et, laissent la fierté des paroles aux autres,

C'est par leurs actions qu'ils reprennent les nôtres.
L'apparence du mal a chez eux peu d'appui,

Et leur ame est portée à juger bien d'autrui.
Point de cabale en eux, point d'intrigues à suivre ;
On les voit, pour tous soins, se mêler de bien vivre.
Jamais contre un pécheur ils n'ont d'acharnement,
Ils attachent leur haine au péché seulement,

Et ne veulent point prendre, avec un zéle extrême,
Les intérêts du Ciel plus qu'il ne veut lui-même.

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SUR un rocher désert, l'effroi de la nature,
Dont l'aride sommet semble toucher les cieux,
Circé, pâle, interdite, et la mort dans les yeux,
Pleuroit sa funeste aventure.

Là, ses yeux errants sur les flots

D'Ulysse fugitif sembloient suivre la trace.
Elle croit voir encor son volage héros ;
Et, cette illusion soulageant sa disgrâce,
Elle le rappelle en ces mots,

Qu'interrompent cent fois ses pleurs et ses sanglots :

"Cruel auteur des troubles de mon âme,
Que la pitié retarde un peu tes pas :
Tourne un moment tes yeux sur ces climats ;
Et, si ce n'est pour partager ma flamme,*
Reviens du moins pour hâter mon trépas.

"Ce triste cœur, devenu ta victime,
Chérit encor l'amour qui l'a surpris :
Amour fatal! ta haine en est le prix.
Tant de tendresse, ô dieux! est-elle un crime,
Pour mériter de si cruels mépris ?

"Cruel auteur des troubles de mon âme," &c.

C'est ainsi qu'en regrets sa douleur se déclare :
Mais bientôt, de son art employant le secours,
Pour rappeler l'objet de ses tristes amours,
Elle invoque à grands cris tous les dieux du Ténare,b
Les Parques, Némésis, Cerbère, Phlégéthon,
Et l'inflexible Hécate, et l'horrible Alecton.
Sur un autel sanglant l'affreux bûcher s'allume,
La foudre dévorante aussitôt le consume;
Mille noires vapeurs obscurcissent le jour;
Les astres de la nuit interrompent leur course :
Les fleuves étonnés remontent vers leur source;
Et Pluton même tremble en son obscur séjour.

Sa voix redoutable
Trouble les enfers;
Un bruit formidable
Gronde dans les airs;
Un voile effroyable
Couvre l'univers;
La terre tremblante
Frémit de terreur;
L'onde turbulente
Mugit de fureur;
La lune sanglante

Recule d'horreur.

Dans le sein de la mort ses noirs enchantements

Vont troubler le repos des ombres :

Les manes effrayés quittent leurs monuments;
L'air retentit au loin de leurs longs hurlements;
Et les vents, échappés de leurs cavernes sombres,
Mêlent à leurs clameurs d'horrible sifflements.
Inutiles efforts! amante infortunée,

D'un Dieu plus fort que toi dépend ta destinée :
Tu
peux faire trembler la terre sous tes pas,
Des enfers déchaînés allumer la colère;

Mais tes fureurs ne feront pas

Ce que tes attraits n'ont pu faire.

Ce n'est point par effort qu'on aime,
L'Amour est jaloux de ses droits;
Il ne dépend que de lui-même,
On ne l'obtient que par son choix.
Tout reconnoît sa loi suprême :
Lui seul ne connoît point de lois.
Dans les champs que l'hiver désole
Flore vient rétablir sa cour;
L'alcyon fuit devant Eole; a
Eole le fuit à son tour:

Mais sitôt que l'amour s'envole,

Il ne connoît plus de retour.

J. B. ROUSSEAU.

ESTHER IMPLORE LA CLÉMENCE D'ASSUÉRUS EN FAVEUR DES JUIFS.

.O DIEU! confonds l'audace et l'imposture!
Ces Juifs dont vous voulez délivrer la nature,

Que vous croyez, Seigneur, le rebut des humains,
D'une riche contrée autrefois souverains,

Pendant qu'ils n'adoroient que le Dieu de leurs pères,
Ont vu bénir le cours de leurs destins prospères.

Ce Dieu, maître absolu de la terre et des cieux,
N'est point tel que l'erreur le figure à vos yeux.
L'Éternel est son nom, le monde est son ouvrage ;
Il entend les soupirs de l'humble qu'on outrage,
Juge tous les mortels avec d'égales lois,

Et du haut de son trône interroge les Rois.
Des plus fermes États la chute épouvantable,

Quand il veut, n'est qu'un jeu de sa main redoutable.
Les Juifs à d'autres Dieux osèrent s'adresser :
Roi, peuples, en un jour tout se vit disperser! a
Sous les Assyriens leur triste servitude

Devient le juste prix de leur ingratitude.

Mais, pour punir enfin nos maîtres à leur tour, Dieu fit choix de Cyrus, avant qu'il vît le jour, L'appela par son nom, le promit à la terre,

b

с

Le fit naître, et soudain l'arma de son tonnerre,
Brisa les fiers remparts et les portes d'airain,
Mit des superbes Rois la dépouille en sa main,
De son temple détruit vengea sus eux l'injure.
Babylone paya nos pleurs avec usure.
Cyrus, par lui vainqueur, publia ses bienfaits,
Regarda notre peuple avec des yeux de paix,
Nous rendit et nos lois et nos fêtes divines;
Et le temple déjà sortoit de ses ruines.
Mais, de ce Roi si sage héritier insensé,
Son fils interrompit l'ouvrage commencé,
Fut sourd à nos douleurs. Dieu rejeta sa race,
Le retrancha lui-même, et vous mit en sa place.
Que n'espérions-nous point d'un Roi si généreux !
“Dieu regarde en pitié son peuple malheureux,"
Disions-nous: "un roi règne, ami de l'innocence."
Partout du nouveau Prince on vantoit la clémence.
Les Juifs partout de joie en poussèrent des cris.
Ciel, verra-t-on toujours, par de cruels esprits,
Des Princes les plus doux l'oreille environnée,
Et du bonheur public la source empoisonnée !

Y

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